Les fusées de détresse périmées s’amoncellent à vue d’oeil, faute de filière de traitement. « C’est simple, tout le monde en a et personne ne sait quoi en faire » glisse Emma Colombin, manager du cluster maritime de Nouvelle-Calédonie. « En tenant compte de la durée de vie des dispositifs et des chiffres d’importation, on estime le gisement […] entre 3 à 5 tonnes par année », note une étude menée par le cluster Acotred* pour le compte de la province Sud. La réflexion sur la faisabilité d’une filière de traitement de ce déchet, particulièrement dangereux, est ainsi engagée.
Pour des raisons de sécurité publique notamment. Car le déchet encombrant s’accumule vite. D’une durée de vie moyenne de quatre ans, « le matériel importé dispose rarement d’une durée de vie aussi longue, poursuit l’étude. En moyenne, la durée de validité des dispositifs avoisine les trois ans et parfois même seulement une année. » Deux causes sont identifiées dans ce rapport. D’un côté « les importateurs ne sont pas vigilants lors des commandes », de l’autre « les vendeurs profitent de l’éloignement du territoire pour écouler leur stock de dispositifs vieillissants qu’ils ne peuvent plus vendre sur place. »
Lorsqu’elles commencent à s’oxyder, les vieilles fusées présentent un réel danger.
En résulte un stock historique estimé à plus de 50 tonnes sur près de dix ans. Une poudrière, craignent les experts. Sensibles au choc, à la friction, au feu ou aux sources de lumière, les gisements les plus anciens sont très instables. « Lorsqu’elles commencent à s’oxyder, les vieilles fusées présentent un réel danger, si vous les frottez, il y a tout qui part » met en garde Jean-Pierre Garceran, gérant de la Scadem (société calédonienne de dépollution et d’expertises maritimes). La province Sud le sait, et espère lancer une vaste opération de déstockage dès 2019 pour absorber le gisement historique.
A terme, une filière « dédiée » devra émerger pour éviter une reconstitution du stock. « Il faudra mettre en place un cadre, commente Jean-Pierre Garceran. Vous ne pouvez pas traverser une ville, à n’importe quelle heure, avec une cargaison remplie d’explosifs. » De l’avis de l’expert, les contraintes administratives pour un traitement à domicile du déchet explosif ont déjà de quoi dissuader les meilleures volontés. « Il vous faut un camion capitonné et homologué par la Dimenc, avec des quantités autorisées pour un transport d’un point A à un point B », reprend le gérant de la Scadem.
D’ici la mise en place d’une filière, importateurs, marinas, clubs de plongée, ou plaisanciers sont tenus de mettre leur stock « à l’abri de l’humidité et de la lumière » recommande le cluster Acotred. Et certainement pas à la poubelle, où elles risquent d’exploser dans les bennes de ramassages des ordures ou d’incendier plus tard les décharges.
« Toxiques pour les organismes aquatiques avec des effets à long terme », selon la fiche de sécurité du produit, ces substances n’ont pas non plus leur place sous l’eau. Les jeter, ou les déclencher en mer est vivement déconseillé. « Des gens s’amusent à les tirer en mer, ou à les garder pour le Nouvel An », déplore Aurore Genot du Cluster Acotred. Une très mauvaise idée à en croire la spécialiste. « Il y a non seulement un risque de pollution, mais il y a aussi un risque de se blesser tout seul, prévient la jeune femme. Ce type de produit peut vous exploser dans la main ».
* Association des professionnels de collecte et traitement des déchets
Traiter au mieux les flux pour éviter les stocks
Les Nouvelles calédoniennes : Un gisement de fusées de détresse s’est constitué en Nouvelle- Calédonie, sait-on pourquoi ?
Il n’y a jamais eu de filière dédiée à ces produits une fois arrivés en fin de vie. Le boom de la plaisance aidant, les délais de péremption relativement courts et la prise de conscience des usagers font qu’au final un important stock s’est constitué. Estimée à plus de 50 tonnes à l’échelle pays d’après la direction des affaires maritimes, cette quantité augmente d’environ 3 à 5 tonnes par an.
Ces stocks présentent-ils des risques ? Si oui, lesquels ?
Oui, bien entendu, dans la mesure où ils ne sont pas stockés dans de bonnes conditions, alors que ce sont des produits classés comme déchets dangereux qui peuvent exploser, en cas de forte chaleur par exemple. Et bien entendu, de ce fait, il ne faut pas les jeter n’importe où, qui plus est, dans la nature puisqu’ils sont également potentiellement très polluants…
Une étude de faisabilité d’une filière de traitement a été commanditée par la province Sud, quelles sont ces conclusions ?
L’étude a été menée à notre demande par le cluster Acotred. Elle a permis d’identifier plus précisément le gisement, les contraintes à la fois techniques et réglementaires pour la collecte et les options de traitement. Parmi les solutions identifiées se trouvent le brûlage, l’inertage à l’eau, ou l’export. Certaines sont plus onéreuses que d’autres, l’objectif est de trouver la solution au meilleur coût, avec un impact environnemental moindre.
Ce déchet peut-il aussi faire l’objet d’une filière à responsabilité élargie des producteurs ?
C’est une option intéressante, l’idée est de fédérer les importateurs et de leur permettre de gérer les flux, de les traiter au mieux, et ainsi d’éviter les stocks. Le stock historique en revanche devra être traité à part, et c’était aussi l’objet de l’étude.
La mise en place d’une éco-participation sur le principe du pollueur-payeur pourrait-elle financer une telle filière, à l’instar de ce qui existe déjà ?
C’est effectivement l’idée sur le modèle d’autres produits, comme les piles ou les huiles minérales, qui sont soumis à une éco-participation qui permet de dégager les recettes nécessaires au fonctionnement des filières et à la valorisation des déchets.
La province Sud se heurte-telle à des complications dans la mise en place d’une réglementation autour de ce déchet pas comme les autres ?
Nous avons grâce à l’étude les idées plutôt claires sur les contraintes à lever, notamment en termes de transport de déchets dangereux et de lieux de traitement. Il reste quelques points à caler, ainsi que sur le financement, mais l’opération de résorption du stock historique pourrait se mettre en place début 2019, puis, sur le moyen terme, une filière dédiée pourra émerger.
Selon une étude de l’antenne locale de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) sur l’éco-navigation, près de 27 000 navires sont immatriculés aux Affaires maritimes. Un chiffre qui en dit long sur les engins pyrotechniques périmés stockés à bord.
Sur le principe du pollueurpayeur, la province Sud a lancé en 2008 la responsabilité élargie du producteur (REP) pour améliorer la gestion des déchets. Ce dispositif étend la responsabilité des importateurs et des fabricants locaux, désignés comme « producteurs », jusqu’à l’organisation et le financement de la gestion de leurs produits arrivés en fin de vie.
En France, la navigation de plaisance, la pêche professionnelle et la marine de commerce produisent chaque année 1 million de fusées périmées, soit 300 tonnes de déchets dangereux pour l'homme et pour l’environnement.