Comment cet homme que tous décrivent comme "calme", "travailleur", bienfaisant - en un mot exemplaire - a-t-il fini par tuer quelqu'un ? Ces deux coups de fusil sont-ils la conséquence d'une véritable volonté ou d'une perte de contrôle ? Ces questions ont travaillé la cour d'assises, mercredi, au premier jour du procès de Frédéric Waikata, 43 ans au moment de ces faits qu'aucun des sept témoins ne l'imaginait capable de commettre. L'homme est professeur de technologie et d'arts plastiques, il est aussi président du syndicat d'initiative d'Ouvéa. Il est respecté pour ses engagements, pour la sagesse qu'il répand. Mais ce matin du 28 février 2019, la dame qui l'arrête pour lui demander une cigarette le trouve méconnaissable, "perdu ", un fusil sur le siège passager. "Il se tapait la tête contre le volant. Il disait que s'il trouvait Elia [Wadrea, NDLR], il allait le renverser ou le flinguer." Ces menaces ont été entendues par d'autres, auparavant.
À la tribu, l'ambiance est parfois étouffante. Le conflit concerne la terre. Il concerne aussi le comportement d'Elia. Ce dernier est certes "travailleur", "serviable", reconnaît un voisin, qui ne peut cependant plus le supporter et avoue carrément qu'il aurait pu sévir, lui aussi. L'homme traîne une réputation de voyeur, d'exhibitionniste, renforcée par une toute dernière accusation, lancée le matin du drame par la femme de l'accusé. Ses airs inquiètent, tout comme ses condamnations pour des menaces et des violences, dont un coup qui avait assommé Frédéric Waikata, l'envoyant à l'hôpital. "Toutes les femmes de la tribu avaient peur de lui", souffle une habitante d'Ognat.
"J'avais la frousse, assure l'accusé, même si en tant que responsable je ne devais pas montrer" cette peur de croiser Elia Wadrea. Ce soir du 28 février, à la tombée de la nuit, dans la pénombre des abords de la tribu, il tient toujours son fusil au moment de la rencontre fatale. "Est-ce qu'il prend un fusil uniquement pour se rassurer ? Ou pour s'en servir ?", questionne la présidente, Zouaouia Magherbi. "Je ne peux pas le savoir", oppose l'expert psychiatre, Henri Schmitt, qui assure cependant que le "champ de conscience" de l'accusé "a été obscurci par la peur" au moment crucial. Me Julien Marty, avocat de la défense, répète l'une de ses expressions :"la conséquence irréfléchie d'un moment de panique".
Me Martin Calmet, avocat de la partie civile, insiste sur la "volonté" de tuer, exprimée à plusieurs reprises, bien avant ce moment de panique.
"Il a regretté l'instant d'après, il était complètement à côté de la plaque", complète le psychiatre, qui explique ainsi le fait que Frédéric Waikata n'ait pas lui-même porté secours à la victime agonisante, laissant un autre homme effectuer le garrot, seul dans l'obscurité, regagnant plutôt son domicile pour démonter son arme. "Voulait-il tuer ou blesser ?", se demande le Dr Schmitt. "Lui seul peut le dire."
Les jurés devront se prononcer sur cette question, qui pourrait radicalement changer la peine qui sera prononcée dans la soirée.