Promesse tenue, pour le ministre de la Santé, qui avait garanti à l’assemblée un texte sur le cannabis avant la fin de l’année. Il faut dire que le gouvernement avait subi une salve de critiques, au Cesec puis à Tarahoi courant novembre, pour ses premiers pas sur ce dossier cher à Moetai Brotherson. L’exécutif avait commencé par faire retirer la législation votée le 5 janvier, sous la mandature d’Édouard Fritch, jugeant le texte pas assez ambitieux, inadapté et beaucoup trop complexe à mettre en œuvre. Face à ceux qui lui reprochaient de " déconstruire sans reconstruire ", Cédric Mercadal avait assuré qu’un autre projet de cadre réglementaire était sur le point d’être mis sur la table. Il a été validé, ce matin, en conseil des ministres.
Lors de son discours des 100 jours, Moetai brotherson avait parlé d’une politique des petits pas en matière de paka, mais le texte, qui va être envoyé vers le Cesec et l’APC (Autorité polynésienne de la concurrence), est finalement assez large. Il prévoit globalement de légaliser les produits à base cannabis à faible teneur en THC, et notamment ceux à base de cannabidiol. Ce " CBD ", composant naturel du cannabis qui n’est pas considéré comme une substance psychotrope, avait été au centre de longs débats juridiques en Europe et en France, où son utilisation a été officiellement autorisée et encadrée en 2022.
Au fenua, certains avaient déjà joué sur le flou de la loi pour en importer ou en vendre, sous forme de produit de vapotage, d’huiles, de monoï, ou de crème, non sans friction avec les douanes ou les autorités. Le projet de loi viendra clairement légaliser, et là aussi encadrer, ces importations.
Et pas seulement l’importation : le texte prévoit également d’autoriser la culture du " cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes ", ouvrant donc le champ à une filière de paka thérapeutique locale. " Le texte encadre notamment, les conditions d’importation et de cession de semences, les conditions de culture et les variétés de cannabis autorisées " détaille le gouvernement. Les taux de THC autorisés, dans les variétés de plantes comme dans les produits importés et commercialisés, ne seront pas précisés directement dans la loi : le gouvernement les fixera, après discussions et conclusions d’études, par arrêté.
Il est jusqu’à présent question de ne légaliser que les produits comportant une teneur en THC inférieure à 0,3 %, le plafond aussi retenu en Europe pour qualifier les produits " CBD ". Certains militants, notamment du côté du syndicat polynésien du chanvre, demande un rehaussement de ce taux à 1 %, pour prendre en compte le " climat local ". Rien n’est acté, mais il est clair que cette hausse compliquerait probablement la législation, en ouvrant la porte à des produits considérés comme " stupéfiants " par les autorités nationales.
[VIDÉO] Le CBD, une solution pour soulager certaines douleurs ? [1]
Le ministère de la Santé vise surtout, avec ce texte, à répondre à la demande des patients qui veulent se soigner avec des produits dérivés du cannabis ou de ses composés chimiques. Aux termes du projet, " les professionnels de santé pourront établir des prescriptions médicales à base de cannabis et les pharmaciens seront autorisés à préparer et dispenser ces médicaments aux patients ". Là encore, des discussions devraient avoir lieu avant la fixation, par arrêté de la nature exact des produits et médicaments qui peuvent être distribués ou utilisés.
Le projet de loi couvre finalement l’essentiel des points évoqués dès le mois de juin par le président du Pays auprès de l’association Tahiti herb Culture. Seul oublié, l’usage du cannabis récréatif, qui avait été au centre d’un projet de loi présenté par Moetai Brotherson lorsqu’il était député. Un sujet nettement plus complexe politiquement et juridiquement que ceux de la culture locale de chanvre, du CBD ou du cannabis thérapeutique, sur lesquels la Métropole et l’Europe ont déjà largement avancé.
Avant d’entamer cet autre débat, il faudra faire aboutir ce projet de loi, et cela devrait prendre plusieurs mois : après l’avis Cesec, les éventuelles corrections, les débats en commission, et le vote à l’assemblée, il faudra mobiliser la Direction de la Santé, la DGAE (Direction générale des affaires économiques), la DICP (Direction des impôts et des contributions publiques) ou l’Arass (Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale) pour travailler sur des textes d’applications. Le gouvernement, qui avait qualifié " d’usine à gaz " la loi votée sous Édouard Fritch et désormais abrogée, promet que tout a été fait pour réduire le nombre d’arrêtés et de délibérations nécessaires à cette entrée en vigueur.