
C’est le fruit de quarante années d’un "travail de titan" qui se concrétise et aboutit enfin. L’association Témoignage d’un passé (Atup) vient de mettre en œuvre la base de données Orgon. Derrière ce nom un brin énigmatique, se cache une petite révolution pour l’histoire du Caillou. Cette plateforme numérique inédite permet à l’ensemble des Calédoniens de découvrir s’ils ont des liens, de près ou de loin, avec l’époque du bagne.
Le principe est simple : il suffit de taper un nom de famille dans la barre de recherche, connectée à plus de 30 000 fiches individuelles qui renvoient sur le passé de l’ensemble des transportés, des relégués, des déportés et des surveillants militaires (dont il manque une centaine de fiches pour cette catégorie) qui ont vécu sur le Caillou durant cette période.
"C’est exceptionnel. À ma connaissance, un tel outil sur l’histoire du bagne n’existe qu’en Tasmanie, lance Yves Mermoud, le président de l’Atup, qui précise que la plateforme ne sera, dans un premier temps, disponible que sur les ordinateurs du site historique de l’île Nou, à Nouville (avant de "prochainement" mettre en place une application tout public). "L’idée, c’est de faire venir les Calédoniens dans ce musée qui est fréquenté à 75 % par des touristes et des Métropolitains de passage. On espère ainsi capter une nouvelle cible, en particulier cette nouvelle génération, pour lui faire découvrir cette histoire mais aussi les liens plus intimes qu’elle peut avoir avec cette période."
Cette initiative sera ainsi dévoilée, ce mercredi 8 mai, au cours d’un grand évènement festif organisé par l’association : la Journée des familles des descendants du bagne, au musée de Nouville (lire par ailleurs), pour marquer le 160e anniversaire de l’arrivée du premier convoi de condamnés à bord de la frégate Iphigénie. Si cette manifestation vise à fédérer et "étoffer" le réseau des "600 à 700 familles" calédoniennes concernées, toutes les personnes qui s’intéressent à cette période ou qui se posent des questions sur leurs ancêtres seront également les bienvenues. Car les liens, parfois insoupçonnés, avec le bagne existent au sein de l’ensemble des communautés du Caillou.
"Pendant longtemps, les gens ont cru que c’était l’histoire des "blancs", sauf que c’est beaucoup plus complexe. Le bagne a aussi concerné les habitants d’Afrique du Nord, dont les Kabyles, les Indochinois ainsi que les Kanak. Parmi eux, 115 ont été condamnés et il ne faut pas les oublier, mais ils étaient surtout nombreux à avoir travaillé dans la police indigène ou dans l’administration pénitentiaire, rappelle Yves Mermoud, qui met un point d’honneur à vouloir rassembler le pays autour de cet épisode, qui a notamment été le point de départ à bien des métissages, au gré des unions dans le pays. Il y a encore dix ans, quand on parlait du bagne en Nouvelle-Calédonie, c’était tabou. Aujourd’hui, cela fédère plus que cela ne divise car le bagne fait partie de ces marqueurs forts qui permettent de faire des ponts entre les communautés pour les rapprocher. À une période où on observe la radicalisation de certains propos et un contexte économique morose, nous continuons de nous battre pour rassembler les gens autour de cette histoire."

L’Atup invite également l’ensemble des visiteurs à venir avec leur déjeuner afin de partager tous ensemble le repas du midi, histoire de "tisser des liens".

Mickaël Forrest, membre du gouvernement chargé de la culture, lance officiellement ce mardi 7 mai, au Musée maritime, le premier comité de pilotage (Copil) consacré à l’inscription du bagne calédonien au patrimoine mondial de l’Unesco. Une grande satisfaction pour l’Atup et bon nombre d’historiens qui militent en ce sens depuis plusieurs années.
Cette inscription est un engagement pris par le gouvernement lors de la déclaration de politique générale prononcée par le président Louis Mapou, qui avait annoncé vouloir " accompagner le processus d’appropriation historique et identitaire engagé en valorisant la contribution de toutes les communautés à l’histoire, à l’identité et à la culture, pour conforter le poteau central de la Nouvelle-Calédonie ".