
Aux Portes-de-Fer, dans le secteur de l’église de l’Espérance, l’édifice n’a sans doute jamais aussi bien porté son nom pour ces habitants d’une ruelle, piégés entre émeutiers et bâtiments en flammes, qui faute de forces de l’ordre et de pompiers, n’avaient plus d’autre choix que d’attendre que le jour se lève enfin.
"C’était la nuit la plus longue de ma vie", glisse, les traits tirés, une riveraine, ce mardi matin où plusieurs voisins, déjà en contact grâce aux réseaux sociaux, sont sortis dans la rue pour dresser le bilan, très lourd, de ces exactions. L’enseigne XL programmation ainsi qu’une habitation ont entièrement été détruites par les flammes, sans compter les innombrables décombres fumants et les câbles arrachés dans le secteur.
"Je vis avec ma famille à côté de la maison incendiée où heureusement la propriétaire n’était pas présente. Nous avons d’abord évacué le bébé de deux mois chez une voisine qui habite plus bas pour ne pas qu’il soit intoxiqué par les fumées car on ne pouvait plus respirer, raconte ce Calédonien. Comme on était complètement démunis et acculés, on les a ensuite rejoints avec des barres à mines pour se mettre en sécurité. On n’a pas sorti les armes, parce qu’on ne veut pas ça. Mais s’il avait fallu se défendre, on l’aurait fait."

S’ils comprennent que pompiers et forces de l’ordre sont débordées, ils n’en ressentent pas moins un profond sentiment d’abandon face à des émeutiers chez qui la violence ne retombe pas.

"Ils étaient attroupés à l’entrée de la rue. Ils mettent le feu, puis reviennent pour voler à l’intérieur. Heureusement, il n’y avait pas de vent cette nuit et les flammes ne se sont pas propagées, raconte un autre habitant, qui lui non plus n’a pas fermé l’oeil de la nuit, et ne dissimule pas sa crainte. Il y a de la tristesse de voir plus de 30 ans de discussions qui en arrivent là, mais aussi de la colère, et forcément de la peur. Que faut-il faire ? Se réfugier dans l’église qui elle est intacte ? En cas de problème, on ne peut que reculer et encore reculer car on n’est pas aussi nombreux que dans certains quartiers où les habitants érigent les barrages. "

Mais comme dans beaucoup de quartiers, l’union de ses habitants reste une force. "Clairement, cette nuit, j’ai eu des moments de panique, raconte cette riveraine. Mais heureusement, nous sommes tous en lien et nous avons une super solidarité pour nous entraider". Un soutien qui ne pourra pas éternellement se substituer à l’intervention de forces de l’ordre, que ces Nouméens, appellent de tous leurs vœux.

Dans ce quartier, l’entreprise XL Programmation a entièrement été détruite par les flammes cette nuit. Une scène que cet employé, venu découvrir l’ampleur des dégâts, a suivie en direct de chez lui depuis leur caméra de vidéosurveillance.
"Il n’y a rien à sauver. Je n’ai pas de mot, c’est n’importe quoi. On est atterrés, lâche le salarié de cette entreprise qui emploie 21 personnes et sous-traite des logiciels de gestion et de comptabilité pour 2000 sociétés. Chacun peut porter ses valeurs, mais on n’a pas le droit de détruire les biens des gens. Je ne sais pas s’ils se rendent compte qu’ils mettent la Calédonie au chômage."

La nuit a été agitée pour l’ensemble des habitants de ce quartier, confinés chez eux. Parmi eux, Suzanne, de La Foa, est hébergée par de la famille à Nouméa et ne peut pour l’instant pas rentrer en Brousse.
"Cette nuit on a entendu les explosions, les cris, mais on est plus loin. Là, quand je vois ça, je suis écœurée. Je suis pour l’indépendance de mon pays, mais surtout pas comme ça, déplore cette grand-mère, qui se pose des questions en cascade depuis lundi. Je suis en colère de tout ce que je vois. Mais qu’est-ce qu’on a bien pu mettre dans la tête de ces gosses pour en arriver là ? Cela n’a jamais été l’appel du FLNKS, où on prône la voie pacifique. Je me demande bien comment tout ça va évoluer ? Le pays allait déjà très mal économiquement. Nouméa, ce n’est plus vivable en ce moment, mais on n’a pas le choix, on ne peut pas rentrer chez nous en Brousse où c’est très calme.