
La fumée se mêle à la grisaille matinale, ce mercredi, dans le ciel nouméen. L’odeur de feu ne quitte plus les quartiers. Au 6e km, le trafic est dense, ralenti par les carcasses de voitures et les autres objets enflammés qui occupent la chaussée. Les traits tirés, Simon, Amélie et Danielle discutent ce matin autour d’un café sorti du thermos. Les trois voisins observent, désespérés, ce qu’il reste de la clinique vétérinaire l’Hippocampe, incendié dans la nuit.
Il est 21 heures lorsque les flammes commencent à ravager la façade du bâtiment, mardi soir. Entre voisins, les boucles de messagerie s’activent pour organiser une intervention au pied levée. En quelques minutes, les résidents descendent "pour sauver les animaux", raconte Amélie. Les dix chats qui passent la nuit dans leurs cages sont sortis in extremis du bâtiment.

Devant l’absence d’intervention des pompiers, les habitants jouent aux soldats du feu, malgré des moyens limités. "Les gens ont réagi vite, ils sont venus de la résidence d’en face avec leurs extincteurs", salue Simon, qui s’est longuement inquiété pour sa maison située juste à côté de la clinique. Des tuyaux d’arrosage sont tirés des habitations alentour pour tenter de limiter les flammes au seul bâtiment déjà en feu. "On était convaincu que nos maisons allaient brûler", reprend Danielle. Les flammes ne dépasseront finalement pas le périmètre de la clinique.
Au lendemain d’une nuit sans sommeil, "c’est la sidération qui domine", lâche Simon. Amélie, elle, oscille entre désespoir et reconnaissance. "C’est très ambivalent car on se dit que ce n’est pas possible ce qu’on est en train de vivre, et en même temps c’était beau cette mobilisation, hier soir."
Une solidarité que saluent également Éric Lecomte et Guillaume de Savigny, gérants associés de la clinique. Pour eux, c’est désormais l’heure du constat et des appels sans fin aux assurances.

"On est sonné", lâche Éric. Installé en Nouvelle-Calédonie depuis 23 ans, il ne s’attendait pas à une telle escalade de la violence dans son "pays d’adoption". "Jusque-là, je pensais vraiment à la possibilité d’un destin commun, à la solution au niveau politique, mais tout ça a pris une bonne claque cette nuit." S’il se dit "écœuré", Guillaume, lui, se veut davantage optimiste. "On va se battre, on va reconstruire, j’ai la foi que, derrière tout ça, il en sorte quelque chose et qu’on reprenne nos vies", espère le co-gérant, qui compte bien "rouvrir rapidement une clinique provisoire".

Un peu plus au nord de la capitale, deux longues files d’attente se sont formées dans la matinée devant les dernières enseignes ouvertes, Ô Sésame et Iaora. Le long de la route, les gens patientent, parfois plusieurs dizaines de minutes, dans l’espoir de se ravitailler. En arrière-plan, la scène donne le ton de l’insurrection en cours. Sur la route, trois lignes de barrage formées par des pelles de chantier volées et des véhicules incendiés empêchent tout passage vers Auteuil, devant les tours de Saint-Quentin. Une dizaine de jeunes militants veillent à la fermeture de cet axe qui relie Dumbéa et Nouméa.

Non loin, face à un Decathlon encore fumant, plusieurs insurgés tournent autour du Carrefour Kenu-In armés de barres de fer. Ils parviendront, quelques minutes plus tard, à s’introduire dans le centre commercial, devant une poignée d’employés impuissants. "Ça devient du grand n’importe quoi là", déplore un agent de sécurité, en poste devant la station Shell, elle aussi victime d’une intrusion dans la nuit.
Sur la bretelle menant au rond-point du Pont-des-Français, Stanley observe les émeutiers en train d’occuper la RT1. "Ici, les jeunes sont bien énervés et ça va empirer", présage l’habitant du Mont-Koghi, tout juste informé de l’adoption, au même moment à l’Assemblée nationale, du projet de réforme constitutionnelle. "C’est terrible, parce qu’on était quand même une grande famille ici."
