
On devine leur jeune âge derrière les morceaux de tissu qui dissimulent leurs visages. Installés autour du rond-point, à l’entrée du village de Païta, les militants de la CCAT, en grande majorité cagoulés, allument des feux et bloquent l’accès à la route du Mont-Mou. Ils s’agitent à l’arrivée des forces de l’ordre, tentent de leur barrer la route avec quelques pierres et des débris. La circulation est fluide, mais la tension est palpable.
Moins de 100 mètres plus loin, les couleurs (celles du drapeau FLNKS) sont les mêmes mais l’ambiance, elle, est bien différente. Sous les tivolis qui occupent la place du village, les militants boivent le café en famille et accueillent à la table ceux qui veulent discuter. Malgré une revendication commune, le retrait du projet de loi constitutionnelle, tout semble désormais opposer ces deux mobilisations indépendantistes apparues dès le déclenchement de la crise, le 14 mai.
André Selefen plaide pour un mouvement "digne et responsable", lâche le dirigeant du Comité nationaliste et citoyen de Païta, organisation de proximité issue du FLNKS. Une manière de dire qu’en face, ces valeurs ne sont pas toujours respectées. "On n’est pas là pour détruire les acquis, on ne veut pas de retour en arrière", poursuit le vieux militant, en référence aux commerces pillés et incendiés. Sur la place municipale, lui et ses compagnons du Parti de libération kanak (Palika) jugent d’un œil critique les méthodes employées par la dizaine de militants de la CCAT. "La différence, elle est dans la manière d’être, dans la liberté de parole et dans la façon de se comporter avec les autres et de discuter. Eux, ils sont plus virulents", note André Selefen.

Il est déjà allé s’entretenir avec les responsables de cette autre mobilisation, notamment pour leur demander d’en finir avec "les feux de pneus", qui ont tendance à rendre malades "les mamans qui habitent juste au-dessus". Eux sont également venus les voir pour "demander de l’aide pour calmer les jeunes", devenus ingérables aux premiers jours de la crise.
Le procédé n’est pas le seul contraste entre les deux groupes. Sur le fond, aussi, les avis s’opposent. "On ne peut que partager une souveraineté avec la France", pense André Selefen, loin des désirs d’indépendance pleine et entière manifestés quelques dizaines de mètres plus haut. Même divergence autour de l’accord global, "dont ils ne veulent pas", déplore ce dernier. "Chacun fait ses actions devant chez lui et ce, jusqu’au retrait du projet de réforme constitutionnelle et l’accès à la pleine souveraineté", confirme une porte-parole de la CCAT.

L’occupation du rond-point, c’est la seule manière d’éviter que des jeunes reviennent pour détruire le reste des commerces du village, justifie-t-elle. "Nous assurons une présence physique sur le terrain et nous faisons aussi de l’information sur des sujets tels que la décolonisation, le dégel du corps électoral et l’Accord de Nouméa." Elle affirme également que les jeunes manifestants participent au ravitaillement des magasins et au transport du personnel soignant depuis Nouméa.
D’un bout à l’autre de cette portion de RT1, chacun défend sa légitimité. Ce qui n’empêche pas de maintenir des relations cordiales entre les membres de deux mobilisations. Au fond, peu importent les divergences, le combat vers l’indépendance est rassembleur. "On n’est pas opposés à la CCAT", assure André Selefen. Il le reconnaît aussitôt : "Ce sont aussi des gens à nous sur ce rond-point."
