
" Gabriel Avelot est né le 26 mai 1834 à Saint-Germain-en-Laye, d’un père taillandier et d’une mère jardinière. Domicilié à Paris, il est serrurier et sait bien lire et écrire.
Je pense néanmoins que la famille est pauvre et qu’il commet des vols par nécessité. En 1859 et 1861, il est condamné à un an puis six mois de prison. Cette même année, il entre par effraction dans une maison d’habitation. Le vol de trop pour lequel la cour d’assises siégeant à Versailles le condamne le 5 mai 1862 à huit ans de travaux forcés. "

Émile Avelot tient devant lui ses classeurs, un pour chaque condamné de la famille, où les retranscriptions de documents officiels tentent de retracer une vie restée secrète près de 140 ans.
"Gabriel est tout d’abord envoyé au bagne de Toulon où il arrive le 12 septembre 1862. À cette époque, la colonisation pénale de la Nouvelle-Calédonie n’a pas commencé.
Quelques mois après sa condamnation, en novembre 1862, il est puni de quatre jours de retranchement pour avoir " été saisi avec un morceau de sucre ", cela en dit long sur la sévérité qui régnait alors dans les bagnes.

Le 6 janvier 1866, il est transporté sur la frégate la Sibylle. Le deuxième convoi part pour l’île Nou avec à son bord deux cents condamnés. Gabriel porte le matricule 276, il est parmi les tout premiers forçats envoyés à la Nouvelle. "
" Je n’ai aucune photo de mon arrière-grand-père. La description physique de son dossier nous informe qu’il était grand et blond aux yeux bleus. Il est libéré le 24 juin 1870, matricule 99, mais sa peine initiale de huit années l’empêche de repartir en Métropole.

Le 22 février 1873, il épouse Catherine Berger. Catherine est née à Cuffy, dans l’Oise, en 1851. Nourrice, sachant lire et écrire, elle est condamnée le 20 octobre 1871 par la cour d’assises de la Seine à deux ans de prison pour soustraction frauduleuse. Partie de Toulon sur la Virginie aux côtés de 180 forçats et 31 femmes, elle arrive dans la colonie le 24 novembre 1872 après 157 jours de mer pendant lesquels deux femmes sont décédées. Libérée le 20 octobre 1873, elle est, contrairement à son époux, libre de quitter la colonie si elle le souhaite.

Le couple Avelot a quatre enfants entre 1874 et 1879 : Emile, Augustine, Auguste, qui décède à un an en 1878, et Jean-Baptiste. Tous naissent à Nouméa où Gabriel exerce son métier initial de serrurier mécanicien. La famille habite alors près de l’actuel commissariat, rue de Sébastopol.
Catherine décide de repartir en France avec ses trois enfants. Ils embarquent le 5 octobre 1887 mais, à peine quelques mois plus tard, elle écrit au ministère de la Marine et des Colonies pour demander son rapatriement en Nouvelle-Calédonie : "… Depuis cette époque mes enfants sont constamment malades du froid qu’il fait en France depuis sept mois, car ils sont nés tous les trois à la Nouvelle-Calédonie et ils ne peuvent pas s’acclimater en France parce que la température est trop froide et je crains de les perdre ; d’un autre côté je ne puis trouver du travail à Paris pour subvenir à leurs besoins ainsi qu’aux miens.

Je viens vous prier, monsieur le ministre, d’avoir la bonté et la bienveillance de me faire obtenir mon voyage gratuit ainsi que celui de mes trois enfants […] " Cette demande est acceptée et Catherine revient à bord du Polynésien accompagnée de ses enfants, le 28 mars 1897.
Cette même année, Gabriel est réhabilité mais décède deux ans plus tard, le 12 mars 1899.
" Emilie, la fille aînée de Gabriel et Catherine, épouse en 1891 Jean Cascarret, un parfumeur coiffeur de Nouméa dont la boutique est rue de Rivoli, actuelle rue Georges-Clemenceau. La jeune fille décède prématurément et Jean, devenu veuf, épouse la sœur cadette de celle-ci, Augustine, le 18 avril 1905. Ensemble ils ont cinq enfants, Jean, Simone Marie Louise, Renée Gabrielle, Roger Rémy Auguste, et enfin Henri Robert Albert.

Jean-Baptiste, mon grand-père, le fils de l’ancien forçat, devient mécanicien sur les voies ferrées. Il travaille notamment sur la ligne Païta-Nouméa et à Karembé.
Marié à Adèle Gaash, il a quatre enfants, Jean, Emile, Gabrielle dite Blanche et Paul. Tous naissent à Nouméa entre 1905 et 1911. La famille habite au Sémaphore car Jean-Baptiste est également gardien des Phares et Balises.
Alors que les enfants sont encore jeunes, ils partent s’installer aux Nouvelles-Hébrides où le chef de famille participe à la construction du chemin de fer pour la mine de phosphate à Forary. Adèle décède du paludisme à Tanna, Jean-Baptiste place alors ses enfants à l’internat de Port-Vila puis part pour Tahiti, sur l’île de Makatéa où d’importants gisements de phosphate ont été découverts.
Là-bas, il refait sa vie et a deux autres enfants avec une Tahitienne. Jean-Baptiste décède à l’hôpital de Papeete des suites d’un accident à la mine où il conduisait les locomotives. "
" Trois des quatre enfants de Jean-Baptiste commencent leur vie aux Nouvelles-Hébrides avant de revenir faire souche en Nouvelle-Calédonie.
Blanche épouse en 1931 à Port-Vila Pierre Perronnet puis ils viennent habiter à Nakety où elle tient la poste tandis que son époux est cantonnier pour la municipalité. Ils ont ensemble cinq enfants.
Jean revient à Nouméa à 20 ans et épouse Marie Bouscasse avec qui il a un fils, Paulo. Jean devient ferblantier couvreur pour la mairie de Nouméa.

Émile, mon père, revient en 1939 et épouse l’année suivante Francia Saminadin, une métisse kanak-bourbonnaise, dont le grand-père, Vingrasanon Saminadin, était arrivé de l’île de La Réunion en tant que blanchisseur au service de M. Routier de Granval. François, le père de Francia, est né de l’union de Vingrasanon et de Draoma, une femme indigène de la tribu de Poya. Émile est chauffeur de camions pour la mairie de Nouméa. Depuis, de nombreux Avelot travaillent ou ont travaillé pour la ville ! Paul, le dernier fils de Jean-Baptiste et Adèle, quitte jeune les Nouvelles-Hébrides pour la France dans l’idée d’entrer au séminaire. Mais finalement, après l’obtention d’un diplôme d’ingénieur électricien, il épouse, en 1933 dans le Var, Antoinette Furno avec qui il a six enfants dont deux filles devenues religieuses chez les carmélites à Toulon. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre "Le Bagne en héritage" édité par les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. [2]
Cet article est paru dans le journal du 27 mai 2017.
Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.