
" Balbino est né le 31 mars 1824 à Canalès, en Espagne. Il sait lire et écrire et exerce la profession de cordonnier. Au moment de sa condamnation, il est domicilié à Bayonne et marié à Marie Araux avec qui il a quatre enfants. Parmi eux, Pedro, leur fils aîné, né en Espagne également, le 21 octobre 1847. Pedro, célibataire, exerce alors le même métier que son père. Dans son dossier, les faits qui les envoient en exil à la Nouvelle sont très précisément exposés.

En octobre 1872, un riche négociant, Frédéric Raush, est assassiné un soir par un groupe d’individus, à la sortie d’un café qu’il avait l’habitude de fréquenter. La victime est détroussée de ses effets, "un très beau chronomètre en or, une chaîne et un briquet du même métal" et de son argent.
Après plusieurs mois d’enquête, les premiers coupables, deux Espagnols, sont identifiés grâce à un bijoutier de San Sebastian, en Espagne, à qui ils ont revendu les objets dérobés. L’un d’eux est décédé entre-temps et l’autre sera condamné à mort. L’enquête révèle également que Balbino, Pedro son fils aîné, et Augustino son cadet, ont pris part au guet-apens "en aidant à la reconnaissance de Raush" et bénéficié du butin volé, "Banuelos père avait entre les mains quelque argent dont il n’a pas pu expliquer la provenance".

Le 9 février 1874, Balbino et ses deux fils sont reconnus coupables par la cour d’assises des Basses-Pyrénées de complicité de vol et assassinat. Augustino est condamné à dix ans de réclusion qu’il purge en France. Balbino et Pedro sont, quant à eux, condamnés aux travaux forcés, à perpétuité pour le père, et à vingt ans pour le fils. Ils ont 50 et 26 ans. Tous deux embarquent sur la Loire et arrivent en Nouvelle-Calédonie le 16 juillet 1874. "
Juanita Conzatti tient devant elle ses recherches généalogiques débutées depuis une dizaine d’années. Elle est partie de rien, ignorant tout. Et ce n’est pas un bagnard qu’elle a découvert dans sa famille, mais cinq. Dignola, Soenne, Le Manchec puis les deux Banuelos. Autant de familles qui se sont unies entre elles, signe d’une époque désormais révolue, où les mondes ne se mélangeaient guère.

" Balbino Banuelos est mis en concession sur un lot urbain à La Foa le 9 janvier 1883, où il ouvre un atelier de cordonnerie. Quelques mois plus tard, son fils Pedro est lui aussi mis en concession sur un lot proche. À partir de ce moment-là, nous n’avons plus de détails de la vie de Balbino. Sur l’acte de mariage de Pedro, il est dit que l’ancien forçat est perruquier et vit avec son fils. Tout laisse à penser que sa femme ne l’a pas rejoint en Calédonie avec ses autres enfants, il n’y a aucune trace d’elle.
La condamnation de Balbino aux travaux forcés à perpétuité est commuée en peine de vingt ans, puis il est finalement libéré le 18 septembre 1902 et décède à La Foa en 1908.

Le 1er mars 1884, Pedro épouse à La Foa Angélina Dignola, la fille de Joseph Dignola, un sellier d’origine sicilienne, condamné aux travaux forcés en février 1879 pour contrefaçon et émission de fausse monnaie. Angélina était arrivée quelque temps auparavant avec sa belle-mère Mattéa Barbagallo, seconde épouse de son père devenu veuf, et sa demi-sœur Cécilia. Cinq enfants vont naître du mariage de Pedro et Angélina : Pedro, Jean-Albert, Joseph, Félix et Cécile. "
Après deux remises de peine, Pedro est finalement libéré le 12 mars 1892 mais il décède cinq mois plus tard des suites d’une bronchite chronique. Le titre définitif de sa concession sera attribué à sa veuve et à ses enfants en 1896.
" Pedro fils va vraisemblablement quitter la Calédonie et nous ne savons rien de lui. Jean-Albert, son frère cadet, mon grand-père, épouse Blanche Soenne. Leur fils Georges naît en 1912. Mobilisé en avril 1915, Jean-Albert part pour le front. A son retour, il reprend son emploi de maréchal-ferrant, divorce puis épouse, à Nouméa le 21 août 1923, Henriette Jamain, avec laquelle il a deux enfants, Désiré et Augustine.

Joseph est le troisième fils de Pedro et Angélina. Il se marie avec Justine Josset, mais ils n’ont pas d’enfant. Justine, enseignante à Fonwhary, décède en 1944. Joseph se remarie alors avec Henriette Heymann. De cette seconde union nait Lucette. Joseph va marquer l’histoire de son village natal. Hôtelier réputé pour sa bonne table, il devient maire de La Foa en 1961 puis est réélu en 1967.
Chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, il décède en exercice le 18 janvier 1971 et les responsables politiques viennent en nombre assister à ses obsèques.
Félix, l’avant-dernier de la fratrie, épouse Eugénie Vincent. Il est mécanicien ajusteur. Ensemble ils partent s’installer en Australie, nous ignorons s’il a une descendance.
Et enfin Cécile, la petite dernière, naît quelques mois avant le décès de son père en 1892. Elle épouse Paul Valette en 1941 à Nice. Cécile décède en 1973 sans enfant.

Le berceau de la famille Banuelos est à La Foa, c’est là que tout a commencé, que deux des fils de l’ancien forçat restés en Calédonie font leur vie. Puis Georges, mon père, va être hôtelier à Koumac où il tient " L’étoile du Nord ", c’est d’ailleurs là que je suis née. Je me souviens qu’il était aussi projectionniste ambulant, il allait de commune en commune, notamment à Tiébaghi, et projetait des films.
Il a aussi conduit des cars scolaires. Les deux autres enfants de Jean-Albert, Désiré et Augustine, vont vivre à Nouméa où Désiré devient inspecteur de police. Lui connaissait l’histoire de nos origines. Il n’a jamais rien dit. Et pourtant, le petit-fils du bagnard devenu policier, ça se raconte !


Hôtelier à La Foa depuis 1910, Joseph Banuelos contribue par son accueil et par sa table réputée, assidûment fréquentée par les gens de Nouméa, à animer le village. Il est, de 1928 à 1963, président fondateur de la Société des courses. L’hippodrome de Fo Moin prendra ensuite le nom d’hippodrome Banu. Passionné de la mer, il occupe ses loisirs à pêcher dans le lagon à bord de sa pétrolette baptisée l’Albatros et fait don, pendant la guerre, de ses collections de coquillages au Muséum d’histoire naturelle de Washington. Il rachète les restes du cinq-mâts France échoué sur le récif de Téremba, et construit avec les éléments récupérés garages et remises. Farouche partisan du gouverneur Henri Sautot, c’est chez lui qu’on mit en résidence surveillée le colonel Denis le 22 septembre 1940 et l’amiral Thierry d’Argenlieu le 9 mai 1942.
(Sources : Calédoniens de P. O’Reilly, Ils ont créé La Foa, de J. Delathière.)
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre "Le Bagne en héritage" édité par les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. [1]
Cet article est paru dans le journal du 8 avril 2017.
Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.