
" Nous avons toujours su que notre arrière-grand-père était un immigré français. Qui peut prétendre le contraire avec un patronyme comme Baret ? Il y a quelques années, la fille d’une cousine et moi-même avons voulu percer le mystère de ses origines. Nous ne savions rien. Nous avons alors engagé un généalogiste en 2010 qui a réalisé les recherches pour nous, et tout s’est éclairci."
Lynette vient pour la première fois en Nouvelle-Calédonie.
Ces dix jours lui ont permis de connaître un peu mieux le bagne français dont beaucoup d’Australiens ignorent l’existence, et un peu mieux le parcours de cet Henri Baret, son arrière-grand-père. " Nous n’avions jamais pensé qu’il puisse être un prisonnier mais en même temps, cela explique le mystère autour de son arrivée en Australie. "
" Henri Victor Baret est né dans un petit village de la Creuse, le 10 août 1843, d’une famille simple et modeste. Pourtant il est instruit, l’acte de condamnation stipule qu’il est clerc d’avoué et qu’il sait bien lire et bien écrire.
Il a plusieurs fois été condamné à de petites peines pour vol. Mais le 30 octobre 1868, il est condamné à dix ans de travaux forcés par la cour d’assises de la Seine pour avoir "commis des soustractions frauduleuses la nuit à l’aide d’escalade et d’effraction". Il embarque à Toulon à bord de la Sibylle et pose le pied à l’île Nou le 27 mai 1870.

Rien n’est mentionné à propos de son caractère, s’il avait été violent ce serait inscrit, or il n’a eu d’autres punitions que quelques jours de cachot pour bagarre, lorsqu’il était encore à Toulon. Il obtient même un an de réduction de peine en 1876. Le 7 janvier 1878, il est libéré mais reste astreint à résidence perpétuelle. Les quelques mois qui vont suivre sont un mystère. Que fait-il jusqu’en décembre, date à laquelle il embarque à bord du Gunga pour Sydney ?

Sans doute travaille-t-il pour payer son billet, nous avons cherché son nom dans la liste des concessionnaires, il n’y figure pas. Et pourquoi part-il ? Ces questions sont encore sans réponse. Sur la liste des passagers, son prénom est interverti avec celui d’un autre jeune homme, voyageait-il avec un ami ? Nous avons cherché dans la liste des bagnards le patronyme Paix, sans succès, sans doute l’orthographe du registre était-elle mauvaise. "
" Nous n’avons pas de trace de lui pendant ses trois premières années australiennes. En septembre 1881, il épouse Mary Fleming Nethercott à l’église Saint-James de Sydney. Mais ils se sont rencontrés à 400 km de là, dans la petite ville de Temora où la jeune fille était servante dans une pension et où Henri était sans doute venu chercher de l’or.

Dans l’acte de mariage, il se présente comme mineur mais je n’y crois pas une seconde ! Il était en fait restaurateur. Nous le savons car, pendant sept années, entre 1881 et 1887, un procès va l’opposer à monsieur Deutscher, un riche propriétaire qui avait créé une sorte de barrage sur la rivière le long de son terrain, lequel avait, par un jour de crue, inondé le local de mon aïeul.
Henri Baret avait gagné le droit à des indemnités, qui je crois n’ont jamais été payées ! Une autre question me taraude, comment a-t-il appris l’anglais ? Sans doute sur le tas, inutile de parler l’anglais pour chercher de l’or ou faire la cuisine…

Sur les différents actes de naissance de ses enfants, Henri, Charlotte et Ada, il se présente comme cuisinier ou ouvrier. Lorsque leur dernière fille, Lily naît, – elle va mourir quelques mois plus tard – Mary, l’épouse d’Henri, est déclarée comme gérante d’une pension de famille. Ils louaient deux maisons, la leur et une autre qu’ils sous-louaient à cinq hommes selon les registres de recensement. "
"C’est en venant ici à Nouméa que je me suis rendu compte qu’il était resté illégalement en Australie. Son autorisation n’était que temporaire. C’est, à mon avis, une des raisons pour lesquelles c’est madame qui est déclarée comme gérante de la pension de famille. En 1885, alors qu’il aurait dû être revenu en Nouvelle-Calédonie, un détective français, Jean-Pierre Roché, est chargé de faire une enquête, pas seulement sur lui mais sur tous les anciens condamnés français présents à Sydney. Dans la liste de son rapport, il mentionne les statuts, noms, professions et domiciles.
Beaucoup sont proxénètes ou en prison. En face de mon aïeul il est inscrit : libéré, cuisinier, sans adresse fixe. Il aurait pu se faire arrêter n’importe quand !"
Lynette comprend très bien le français mais le parle difficilement. " Ma grand-tante Ada disait que son père Henri traduisait des courriers de l’anglais au français et inversement. Son épouse n’a jamais appris le français mais il le parlait avec ses enfants. Mon grand-père Henri parlait très bien français et une de mes cousines l’enseigne.

Aujourd’hui, nous avons fait la lumière sur nos origines et c’est une bonne chose. Finalement, ce n’est qu’un bagnard de plus, j’en ai recensé quatre dans mes ascendants.
En Australie, les descendants de prisonniers sont très nombreux. Il n’y a pas réellement de non-dit à ce propos.
Mon arrière-grand-père s’est peut-être senti honteux de son passé, j’ignore si son épouse, qui elle-même venait d’une famille modeste voire peu recommandable, connaissait son histoire. Il est clair que ses enfants, eux, l’ignoraient totalement. En tous les cas, sa vie australienne a été très honorable et tous ses descendants ont eu une vie très respectable ! "

La loi du 30 mai 1854, article 6, stipule qu’un libéré " […] pourra quitter momentanément la colonie, en vertu d’une autorisation expresse du gouverneur. Il ne pourra en aucun cas être autorisé à se rendre en France." " Tout libéré coupable d’avoir […] quitté la colonie sans autorisation, ou d’avoir dépassé le délai fixé par l’autorisation, sera puni de la peine de un à trois ans de travaux forcés."
L’obtention d’une autorisation temporaire d’absence est liée à la possession d’une somme de 800 francs, une somme énorme et irréalisable pour la plupart des libérés.
Mais comment le retrouver et comment le sanctionner lorsqu’on lui a donné l’autorisation de se rendre en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Amérique ?
Cette pratique a permis la réussite d’évasions… En 1884, une décision de Jules Ferry prise " à la suite des réclamations formulées par les autorités australiennes " met fin à la pratique des autorisations temporaires d’absence vers les colonies anglaises. Seules celles accordées à des libérés servant comme équipage sur des navires de commerce demeurent.
(Aimablement communiqué par L-J. Barbançon.)
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre "Le Bagne en héritage" édité par les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. [1]
Cet article est paru dans le journal du 17 septembre 2016.
Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.