
"Pourquoi je m’appelle Pascal ?" J’ai posé cette question à mon père il y a très longtemps, autour de 1998. Il n’avait pas de raison précise à me donner ce prénom. Il leur plaisait, à ma mère et à lui, c’est aussi simple que cela. Il avait quand même une histoire à me raconter, une histoire qui date de décembre 1971. Quelques jours après ma naissance, mon père m’a emmené chez son grand-père pour lui présenter le petit dernier de la famille. Quand on lui a annoncé qu’on m’avait baptisé Pascal, l’arrière-grand-père s’est trouvé submergé par l’émotion. Mon père ne comprenait pas les larmes au coin de ses yeux. En reprenant ses esprits, mon arrière-grand-père lui a alors appris que Pascal, c’était le prénom du premier Colomina en Nouvelle-Calédonie. Mon père n’en avait aucune idée.

Quand il m’a raconté cette scène que j’avais vécue, ça a déclenché quelque chose en moi. Ça a titillé ma curiosité. J’ai eu besoin de savoir. Et comme je travaillais au musée de Bourail, je savais comment m’attaquer à des recherches généalogiques. Mon amie Evelyne Henriot, qui était aussi au musée, m’a apporté son aide précieuse. Les mairies d’ici, celles de France et d’Espagne, le centre d’Aix-en-Provence, les contacts des contacts…, j’ai écrit à un peu tout le monde. Et j’ai trouvé beaucoup de choses.

Pascal Colomina Grenado, dit Christobal Galaud Lopez y Francisco, c’est son nom complet. Je fais partie de la sixième génération de ses descendants. Il est né en 1845 à Alicante, sur la côte méditerranéenne espagnole, en dessous de Valence. Ses parents sont des cultivateurs très modestes. Pascal va probablement à l’école car des documents ultérieurs indiquent qu’il sait lire et écrire. Malgré cela, il reste bien loin du rang social de Marie Mateaux (Matto ou encore Mattos selon les différents écrits), la demoiselle dont il fait la connaissance, qui vient d’une famille de bourgeois français installés dans la ville de Malaga, au sud du pays, où ils font commerce de tissu.
La relation est très mal vue par la famille de Marie, qui ne supporte pas qu’elle fréquente un paysan. Pour échapper à la pression familiale, les deux amoureux quittent le sud de l’Espagne et s’enfuient à Madrid.
" Pascal n’a que 19 ans, Marie en a 20, et les deux n’ont déjà plus de famille autour d’eux. Ils se marient en mars 1864 et ont un fils, Charles, surnommé Carlitos, deux ans plus tard. Ils n’ont pas trouvé le bonheur à Madrid, car ils sont repartis quelques années plus tard, direction l’Algérie française cette fois-ci. La vie n’y sera pas facile non plus : Pascal est marchand ambulant, Marie est blanchisseuse. La famille vit dans des conditions précaires.

Pour couronner le tout, le couple a de graves ennuis avec la justice. En 1875, la cour d’assises du département d’Alger reconnaît Pascal coupable de " tentative de vol d’une montre et de sa chaîne […] avec violence et port d’armes […] complicité de tentative de meurtre […] complicité d’association de malfaiteurs comme membre et auteur".
La sentence est des plus lourdes : les travaux forcés à perpétuité. Par ricochet, Marie est également condamnée dans la même affaire, au motif d’une prétendue complicité, à huit ans de réclusion. Elle refuse d’abandonner son homme à son sort et demande à le suivre dans l’exil.
Embarqué à Alger, Pascal fait un bref passage par le bagne de l’île de Ré avant que le Loire ne démarre sa longue route vers le Pacifique Sud.

Le 1er août 1876, le matricule 8284 est incarcéré au bagne de l’île Nou, où il passera très exactement trois ans avant sa mise en concession provisoire à Bourail. En janvier 1878, le Buffon débarque Marie et le jeune Charles à Nouméa. Elle est rapidement transférée au couvent des femmes de Bourail, Charles est envoyé à l’internat de Néméara, avant de rejoindre Pascal sur la concession.
Cinq ans après sa condamnation, Pascal se défend encore des accusations. Dans une lettre au ministre des Colonies datée de 1880, écrite à la troisième personne par un écrivain public, il prie l’administration de reconsidérer l’affaire : puisqu’il était "en prison sous prévention de vol simple lorsque les faits dont il s’agit ont eu lieu, [Colomina] ne saurait donc, par conséquent, être considéré comme complice. L’alibi est facile à prouver, il n’y a qu’à consulter les registres d’écrou de la prison d’Alger". L’argument ne fera pas mouche. L’administration mène des recherches et, par courrier, dément l’alibi.

L’année suivante, Marie est libérée, moins de quatre ans après son arrivée au bagne ! Pascal bénéficie de remises de peine en cascade pour bonne conduite avant sa libération en 1901. Avant la fin de la même année, Marie et Pascal obtiennent leur concession définitive, ce qui leur permet d’envisager l’avenir plus sereinement. Sur leurs terres, l’élevage de poules, de porcs, de bœufs s’agrandit. Les cultures de café et de maïs prospèrent. Plusieurs terrains adjacents sont achetés, puis d’autres encore, dans une vallée qui s’appellera bientôt Colomina. Lorsque Pascal et Marie décèdent, respectivement en 1906 et en 1908, la famille a repris racine à Bourail. Charles aura cinq enfants, qui auront tous une famille nombreuse. Cent ans plus tard, il n’y a plus une ville en Calédonie sans un Colomina ! "

" J’ai eu l’occasion de me rendre compte qu’il n’y a pas qu’ici que le passé est une affaire extrêmement sensible. Il y a quelques années de cela, au cours de mes recherches généalogiques, j’ai retrouvé la trace d’une branche Colomina en Espagne, en Catalogne plus précisément. Je voulais entrer en contact avec ma lointaine cousine, mais je me doutais bien que ce ne serait pas simple de lui parler de notre histoire. Je l’ai abordée par e-mail et nous avons échangé, en français et en anglais. Je lui ai parlé de notre vie à Bourail, elle m’a parlé de sa famille, nous nous sommes très bien entendus. Progressivement, j’essayais d’orienter la discussion vers le moment critique, vers la raison pour laquelle un Colomina s’est retrouvé sur une île du Pacifique. Un jour, j’ai glissé un mot à propos de l’ancêtre Pascal et du bagne. Plus de nouvelles pendant des mois. Je me suis dit que c’était fichu, elle ne me parlerait plus jamais. Mais quelque temps plus tard, nos échanges ont repris. Et petit à petit, e-mail après e-mail, nous arrivons à discuter du passé. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 9 avril 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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