
"C’est dur. C’est un énorme gâchis. Nous étions une entreprise emblématique, historique." Huit mois après la destruction de la société Le Froid, à Montravel, et alors qu’une partie des décombres ont été déblayés, l’émotion reste palpable pour les équipes de l’usine connue pour produire localement le Coca-cola, la bière Manta ou encore le Tulem.
Ce jeudi matin, son directeur général a ouvert les portes de ce site en ruines, le plus grand outil industriel classé ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) mis à terre par les exactions, au nouveau membre du gouvernement en charge de l’économie Christopher Gygès. L’occasion de lui présenter la situation de cette société contrainte de placer plus d’une centaine de ses 130 salariés au chômage partiel et de se tourner vers nos voisins pour poursuivre, a minima, son activité.
Actuellement, la société achète et importe notamment son Coca-cola depuis Fidji et continue de fabriquer sa bière dans une usine australienne. Et ce, tant que l'entreprise ne se sera pas dotée d’un nouvel outil local de production.

"Aux lendemains des exactions, nous avions quelques semaines de stocks et nous avons envoyé nos maîtres brasseurs en Australie où nous envoyons nos ingrédients locaux pour continuer de fabriquer la bière dans une usine avec laquelle nous avons contracté, explique Nicolas Troboas, le directeur général, qui appelle de ses vœux un vote au plus vite du Congrès afin d'obtenir une exonération temporaire (le temps de la reconstruction) des droits de douane sur ces marchandises produites chez nos voisins, de sorte à pouvoir rester concurrentiel sur le marché. Actuellement, le pack de six Manta sortirait à 2 000 francs sur les rayons, alors que la concurrence est moitié moins chère. Ce n’est pas envisageable. Par conséquent, nos bières arrivées en octobre sont toujours sous douane."
Une difficulté parmi tant d’autres, comme l'inconnue sur les montants des indemnités d'assurance, qui freinent les ambitions de relance de l’industriel, estimant que le coût de la reconstruction d’une nouvelle usine sera "extravagant", "au-dessus" de 10 milliards de francs. Quant à savoir où et quand ? La direction ne se risque aujourd’hui à aucun pronostic, mais assure avoir la volonté de reprendre, à terme, l’activité.
"Une fois que nous aurons achevé la deuxième phase de destruction, à savoir la mise à nue de la dalle, la troisième phase se fera en fonction de l’usage futur qui sera décidé par la maire de Nouméa, notamment en termes de dépollution du site, détaille Nicolas Troboas. Aujourd’hui, la société Le Froid est très affaiblie mais toujours debout et motivée. En ce qui concerne l’endroit de reconstruction de l’usine, ce sujet sera l’objet de discussions avec la mairie, mais ce sont aussi des décisions qui viendront des assurances. Car réglementairement, elles peuvent nous imposer la reconstruction en l’état pour toucher les indemnisations. Est-ce que les assurances nous permettront une flexibilité sur l’emplacement géographique ? C’est encore à définir. Ce qui est sûr, c’est que la Calédonie ne se relèvera pas, si les entreprises comme la nôtre ne repartent pas."

Quant au devenir de la centaine de salariés placés au chômage partiel (seule une vingtaine d’employés sont actuellement maintenus en poste), l’inconnue demeure pour ce patron. "On espère qu’avec un redéploiement, nous serons capables de maintenir des équipes, notamment des compétences locales qu’il faut maintenir absolument."

Autant de défis et de préoccupations qui ont retenu l'attention de Christopher Gygès, qui n'a pas choisi ce site au hasard, pour sa première visite de terrain en tant que membre du 18e gouvernement en charge de l'économie. Objectif : "montrer qu'on est aux côtés de ceux qui ont tout perdu le 13 mai. On a un véritable devoir moral vis-à-vis de ceux qui ont subi ces exactions et qui aujourd'hui ont de nouveau confiance dans la Nouvelle-Calédonie pour réinvestir, lance l'élu, qui liste les priorités à instaurer dans son secteur. Il faut déjà leur simplifier la vie en mettant en place un guichet unique avec des référents désignés dans l'ensemble des administrations. Je ferai le tour à la fois de la province, des mairies, du gouvernement, pour ce qui me concerne, et de l'État, ainsi que des assurances et des banques. Mais faciliter les démarches administratives, c'est aussi les réduire. Et donc réduire toutes les contraintes qui sont liées à la reconstruction, que ce soit de l'ordre économique, de l'emploi ou environnemental."
Autre enjeu, selon Christopher Gygès : "aller chercher des aides à leur côté, auprès de l'État, auprès de fonds européens, auprès d'autres organismes, pour qu'ils puissent avoir des aides importantes sur la reconstruction." Mais encore faut-il que les assureurs jouent le jeu, ce qui est "une urgence absolue" martèle le membre du gouvernement, qui assure avoir pris les devants : "J'ai rencontré les responsables des assurances, avant même d'avoir l'officialisation de mes secteurs. Ils m'indiquent que ça devrait se débloquer assez rapidement, maintenant que les rapports d'expertise ont été rendus. Une accélération dans les prochaines semaines va être réalisée, annonce Christopher Gygès pour qui, enfin, la question des nouveaux contrats d'assurance est également centrale. "On ne va pas tergiverser : l'État doit garantir le risque émeutes en Nouvelle-Calédonie. Il faut que ce sujet soit porté à Paris assez rapidement. Je souhaite qu'il puisse être évoqué dans le cadre des discussions institutionnelles, qui auront lieu en février, du moins par ceux qui y seront. En tout cas, localement, on travaillera pour que ce fonds puisse se mettre en place rapidement et qu'on puisse offrir à la fois une réassurance aux entreprises qui souhaitent reconstruire ou qui continuent leur activité, mais également un prix compétitif. Parce que réassurer à des tarifs qui seraient inaccessibles serait tout aussi contre-productif."