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[SÉRIE] La famille Gervolino, du bagne à l’Assemblée nationale
LNC | Crée le 09.02.2025 à 05h00 | Mis à jour le 09.02.2025 à 05h00

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Dominique Gervolino et son épouse Félicité Agez, en Australie, à la fin des années 1930. Photo DR
Pascal Gervolino est un marin napolitain installé à Marseille lorsqu’il commet l’irréparable. Condamné aux travaux forcés pour homicide, il devient un concessionnaire laborieux et un bon père de famille. Sa descendance est nombreuse et soudée. Parmi elle, Roger Gervolino, son petit-fils, devient le premier député de la Nouvelle-Calédonie. Ses arrière-petits-enfants retracent leur histoire dans ce 38e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne.

"Pascal était arrivé de Gênes comme moussaillon. À Marseille depuis quelques années, il se lie avec une jeune fleuriste, surnommée Rosa. Il devait l’épouser mais la jeune fille ayant changé d’avis, il la poignarde puis l’aurait portée jusqu’à l’unique apothicaire de la ville où elle décède. Sans doute abasourdi par son geste, Pascal ne fuit pas et se laisse arrêter par les gendarmes. " Cet épisode romanesque tiré des archives de la presse marseillaise est raconté par Monique Gervolino, arrière-petite-fille de l’amoureux éconduit, et Sylviana Talon, sa cousine germaine. Bien qu’espacées, les retrouvailles familiales sont toujours chaleureuses.


De gauche à droite, Sylviana, Philippe, devant lui sa mère Elyane, Jean-Jacques, Jacqueline la mère de Sylviana, Monique et son frère Yves. Photo DR

Assis autour d’une table, cousins, cousines et tantes passent en revue dans un joyeux brouhaha souvenirs et autres photos jaunies. Les fratries Gervolino de cinq, neuf voire quinze enfants sont monnaie courante, pourtant la généalogie et les différents mariages sont connus par cœur des anciennes. Ainsi reconnaît-on les vieilles familles calédoniennes.

Un Napolitain à Bourail

" La cour d’assises d’Aix-en-Provence condamne Pascal Gervolino, le 18 août 1870, à quinze ans de travaux forcés pour homicide volontaire. Il embarque sur la Sibylle le 5 octobre 1872 direction la Nouvelle-Calédonie. Après un passage à l’île Nou, notre arrière-grand-père est envoyé à Bourail et mis en concession le 7 juin 1880. Un mois plus tard, le 15 juillet 1880, il y épouse Marie Tourret, originaire de Fumel dans le Lot-et-Garonne, elle-même condamnée à vingt ans de travaux forcés pour infanticide (avortement).


Jeanne. L’aînée des enfants de Pascal, née en 1882. Le 7 mai 1902, elle épouse Jean Delathière avec qui elle a quinze enfants. Ils s’établissent à Fonwhary. Photo DR

Cette même année, il lui est accordé une remise de peine de trois ans "pour le dévouement qu’il a montré dans le sauvetage de plusieurs concessionnaires dangereusement exposés par un débordement subit des rivières dans la journée du 9 mars", signée par le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie. Nous pensons qu’il mène une vie tranquille de concessionnaire comme il est inscrit sur une demande de grâce : "Sa conduite depuis n’a donné lieu à aucune remarque". Cette demande de levée d’obligation à résidence est d’ailleurs refusée en mars 1892. "


A gauche, Maria. Née en 1889, elle épouse Antonin Gargon, un dentiste. Ils partent vivre en France où Antonin s’engage dans l’armée. Ils ont quatre enfants dont Sylvain, résistant durant la Seconde Guerre mondiale, déporté à Dachau. Devenu magistrat, il revient vivre en Calédonie. A droite, Paule dite Paulette, lors de sa communion. Mariée à Francis Gérard le 1er septembre 1934 à Nouméa, elle a une fille, Michelle. Photo DR

Pascal Gervolino est libéré de 1ere section en septembre 1882 mais il ne quitte pas Bourail. Ses cinq enfants y naissent entre 1882 et 1890 : Jeanne, Dominique, Pierre, Maria, et Blanche qui décède à l’âge d’un an. L’ancien forçat meurt quant à lui prématurément à 51 ans le 14 novembre 1892.

La famille devient nombreuse

" Jeanne, l’aînée des enfants de Pascal, épouse Jean Delathière avec qui elle a quinze enfants. Selon la mémoire familiale, c’était une maîtresse femme très travailleuse, bien qu’elle ait accidentellement perdu l’usage d’un œil. Son frère Pierre était lui aussi handicapé. Il avait un pied bot, ou peut-être des séquelles de la poliomyélite. Il a travaillé comme comptable à la société Bailly puis aux Messageries automobiles et s’est marié à Yvonne Saysset, mais ils n’ont pas eu d’enfant. "

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Elyane se souvient très bien de cet " oncle Pierre": " Je l’avais rencontré en allant au magasin avec ma mère alors que j’étais toute jeune, j’avais à peine 10 ans ; j’étais bien sûr loin d’imaginer que quelques années après, j’épouserais son neveu. Il avait une écriture magnifique. " Maria, la plus jeune des enfants de Pascal, a épousé Antonin Gargon. Ils sont repartis vivre en Métropole et seul un de leurs quatre enfants, Sylvain, est revenu s’installer en Calédonie."


Dominique Gervolino sur son remorqueur, l’Actif. Pendant plus de trente ans, à Vavouto ou à Nouméa, le fils de l’ancien forçat sera mécanicien puis capitaine sur les remorqueurs chargés de porter le minerai à Doniambo. Photo DR

Reste Dominique, " le grand-père ". Marié à la fille d’un militaire, Félicité Agez, il a neuf enfants. " Après quelques années à la mairie de Nouméa en tant que maçon, Dominique est embauché en 1911 au Chalandage comme mécanicien puis capitaine de remorqueur, un emploi qu’il conserve près de trente ans. Ses trois premiers enfants, Roger, Odette et Paulette, naissent à Nouméa. Puis il est muté à Vavouto, l’actuel site de l’usine du Nord, où trois autres enfants viennent au monde : Henri, Marcel et René, mais ce dernier meurt à quatre mois à Nouméa où la famille s’est réinstallée, rue Tourville au Quartier-Latin. Cette demeure devient le fief de la famille. Maurice, Raymond et Robert viennent compléter la fratrie. Notre grand-mère était une gentille femme, très pieuse. Elle était aussi douce que Dominique était coléreux ! "


Roger épouse Albertine Florence Kuhn le 14 mai 1954. Ensemble ils ont trois enfants, Jean-Jacques, Roberte et Richard. Photo DR

Sportifs et pêcheurs dans l’âme

" Chez nous, vous entendrez peu parler de coups de chasse, ou alors sous-marine ! " Yves Gervolino, lui-même adepte des sports nautiques, se souvient du point commun de son père et de ses oncles : " Mon père Robert, le dernier de la fratrie de Dominique, a été champion de chasse sous-marine en équipe avec son frère Roger. Ce dernier a même pêché le premier nautile vivant avec André Leconte, en mai 1958. Ils l’ont tout de suite apporté à l’aquarium. Henri, leur frère, était lui aussi un grand pêcheur. Il nous tissait des éperviers en nylon et m’a appris comment me servir des navettes. Dans son salon des filets pendaient de partout ! "


Les Gervolino ont le pied marin ! Roger, l’aîné des neuf enfants (à gauche sur la photo, tout à droite se trouve Chatou Fayard), était comme ses frères et sœurs un amoureux de la mer. Les petits-enfants de Dominique ont tous des souvenirs de tours de Calédonie agrémentés de coups de senne et de repas de famille à manger des huîtres commandées à la " touque ". Photo DR

Aux souvenirs de mer, se mêlent ceux du football. Robert et Henri, le père de Philippe, portaient le maillot jaune et noir. " Ils jouaient avec "L’indépendante", éternelle adversaire de "L’Impassible". Le foot était une religion ! "

À l’exception de Marcel, qui fut instituteur et dont une école à Nouméa porte le nom, les six petits-fils de Pascal Gervolino ont également en commun d’avoir été employés, notamment, aux établissements Ballande. Roger, avant de devenir le premier député de Calédonie, a commencé sa carrière professionnelle comme comptable chez Ballande.


Le mariage d’Odette Gervolino et Raymond Trouillot. Ils ont une fille, Jacqueline. À droite de la mariée, son père Dominique. Sa mère, Félicité, est à la gauche du marié. L’enfant au côté du marié est Robert, le petit frère d’Odette. Photo DR

Henri y a travaillé comme sténodactylo avant de diriger le secrétariat puis le service assurance, et de rejoindre le groupe Pentecost comme directeur des assurances. Maurice et Raymond étaient, quant à eux, aux expéditions pour le premier et au service entretien pour le second. " Raymond était un sacré ébéniste. Il fabriquait la décoration et les sujets de vitrines. " Et enfin Robert, après avoir dirigé l’agence Alma, a repris Electric Radio.


A gauche, Henri s’unit à Elyane Clavel le 15 novembre 1963 à Nouméa. Ils ont deux enfants, Philippe et Dominique. Au centre, le mariage de Raymond et Jacqueline Morlet. Ils ont trois enfants, René, Sylviana et Pierre. A droite, Maurice épouse Simone Sauvan. Ensemble, ils ont deux enfants, Christian et Christine. Photo DR

Monique, la fille de Robert, fait le constat que " génération après génération, les situations professionnelles et sociales s’améliorent peu à peu. Notre aïeul est arrivé sans rien et a racheté sa faute une pioche à la main. Puis Dominique, notre grand-père, a élevé huit enfants avec un seul et modeste salaire. Certes ils ne manquaient de rien, mais la famille était très pauvre. Ma grand-mère décousait et recousait ses robes, les habits des enfants étaient reprisés autant que possible. Rien ne prédestinait notre oncle à devenir député, il était loin de faire partie de "l’establishment". Les conduites héroïques pendant la guerre, le travail, les études, tout cela a fini par gommer les différences. "


Famille Gervolino A gauche : Marcel et Henriette Marie, son épouse, avec leur fille Mireille. Ils se sont mariés le 25 octobre 1945 à Nouméa. A droite : Lorsque Robert épouse Denyse Noël en 1953, elle a 17 ans. Ils ont trois enfants, Monique, Robert et Yves. Photo DR

Roger, le premier député calédonien


Roger Gervolino.

En 1940, Roger participe aux côtés de Marcel Kollen, Louis Boissery, Jean Gadofte et Charles Chatelain, surnommés les Trois Mousquetaires (ils sont en réalité cinq) à l’organisation de la manifestation contre le gouvernement de Vichy et demandant le ralliement du territoire au général de Gaulle. Engagé volontaire dans les rangs du Bataillon du Pacifique, il embarque avec le 1er contingent sur le Zellandia en direction de Sydney puis du front du Moyen-Orient. Comme les autres 3 700 engagés à Bir Hakeim, il se bat héroïquement contre les Allemands conduits par Erwin Rommel.

À la fin des combats, plusieurs fois décoré, il est appelé à Alger pour représenter la Nouvelle-Calédonie à l’Assemblée consultative provisoire, au sein du groupe UDSR de 1943 à 1945. Le 21 octobre 1945, il est élu député de la Nouvelle-Calédonie à l’Assemblée nationale constituante.

Il est réélu à deux reprises puis battu, en 1951, par Maurice Lenormand. Durant ses mandats, il lutte avec succès contre la dévaluation du franc Pacifique. Il compte aussi parmi les jurés au procès du maréchal Pétain. Un timbre à son effigie sera édité courant 2017. Pour son fils et ses neveux, l’accession de Roger à la députation est remarquable compte tenu de ses origines modestes : " À l’époque, il ne disait pas qu’il était petit-fils de bagnard. Lui-même ne connaissait pas exactement son histoire. À la fin de sa vie, il pensait en toute bonne foi que son grand-père avait été déporté pour s’être insurgé en Italie aux côtés de Garibaldi ! Néanmoins, on ne lui reprochait pas vraiment ses origines italiennes, il était pour tout le monde un Calédonien de souche. C’est son engagement en faveur du général de Gaulle et au Bataillon du Pacifique qui a fait de lui un homme remarquable aux yeux de tous, annihilant tout ce qui, à l’époque, aurait dû l’empêcher d’être un personnage illustre. "

Note

Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 14 janvier 2017.

Quelques exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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