
"Dominique Grassi est né à Baretalli dans l'arrondissement de Bastia en Corse, le 31 janvier 1864. Il est agriculteur. Ses parents, Pascal Grassi et Marie Casalta, ont quitté le village familial pour s'établir en ville avec leurs trois enfants." C'est là que, selon les faits décrits par le procureur général, Dominique et un certain Ferdinand Lari "vivaient en mauvaise intelligence au sujet d'une femme".
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Une dispute a éclaté entre eux sur le port. L'un, armé d'un bâton et d'un couteau, a poursuivi l'autre qui s'est caché dans une marbrerie voisine. Dominique a finalement mortellement blessé son adversaire. La cour d'assises de la Corse siégeant à Bastia l'a donc condamné le 18 mai 1885 à quinze années de travaux forcés. "Notre grand-père n'était pas novice en matière de délinquance, il avait déjà été condamné à deux reprises pour vol." Attablées sur la terrasse de la maison de l'une d'elles, à Plum, les deux cousines passent en revue documents et photos. Ensemble, elles ont cherché les origines des Grassi, cette famille calédonienne tout à fait comme les autres, sans grand destin mais en tout point honorable, laissant les vieux esprits obtus penser dans leur coin que le bagne est infamant.
"Dominique quitte donc la maison d'arrêt de Bastia direction Marseille puis Saint-Martin-de-Ré où il embarque sur le Navarin. Il arrive à l'île Nou avec le 56 ème convoi le 6 janvier 1886. Dès le 23 avril 1886, soit moins de trois mois après son arrivée, il est de nouveau condamné pour évasion et vol. Nous ne connaissons pas les circonstances de ces faits mais le conseil de guerre permanent de Nouméa le condamne à quarante ans de travaux forcés! La punition est chère et cette différence avec les quinze ans prononcés contre lui pour homicide s'explique sans doute par la récidive. Plus de quinze ans après son arrivée au bagne, Dominique tente une nouvelle fois de s'évader et est une nouvelle fois condamné. Le 5 février 1901, le tribunal maritime spécial prononce contre lui une peine de trois ans de travaux forcés. Le voilà condamné jusqu'en 1929! "
Dominique obtient néanmoins une concession, le lot numéro 2 à Farino, 8 hectares de terre, en janvier 1916. La même année, le 28 août 1916, il épouse Émilie Paouro. Dominique a 52 ans, elle en a 22. "Notre grand-mère est née à Couli, elle est descendante du clan Paouro de Sarraméa. La tradition familiale dit qu'elle a travaillé chez les Mariotti; Marguerite Mariotti est d'ailleurs témoin à leur mariage". Cette union légitime Henri et Hélène nés en 1911 et 1913, puis Rose née en 1915. Neuf enfants vont naître dans la famille Grassi. Après Rose viennent Émilie Alphonsine, Dominique, Louis, Henriette (la mère de Raymonde), Charles (le père de Dominique) puis Pascal. Les deux premiers naissent à Sarraméa, les sept suivants à Farino.


"Le 6 septembre 1921, Dominique obtient la remise du restant de sa peine, il est libéré. En janvier 1925, il abandonne sa concession mais reste à Farino. Son acte de décès mentionne qu'il était journalier, il travaille donc pour le compte d'autrui." Mais en trois années, les parents et deux enfants Grassi vont décéder. En 1930, les aînés Henri et Hélène meurent brutalement, ils ont alors à peine 20 ans. Hélène était mariée à M. Richard dont elle avait un enfant. Le dernier de la fratrie, Pascal, naît en mai 1931 mais six mois après, le 25 novembre, Émilie, la mère des neuf enfants, décède elle aussi, à Couli.
Deux ans plus tard, c'est au tour du père, Dominique. L'ancien forçat s'éteint à l'hôpital de Nouméa d'une gangrène de la jambe. "Nos grands-parents laissent derrière eux cinq jeunes enfants. Nos parents se souviennent qu'ils sont restés quelque temps chez leur sœur Rose. Ils donnaient la main pour ramasser le café à Thia et allaient pieds nus à l'école. Ils ont ensuite été recueillis à La Foa chez Mme Bone. Aucun ne garde le souvenir d'une enfance malheureuse malgré tout."

Les sept enfants encore vivants, devenus adultes, vont s'établir entre Farino, La Foa et Nouméa. Raymonde, Dominique et leurs cousins ont passé leur enfance en Brousse. "Lorsque nous étions petits, nous allions à Petit Couli et Grand Couli voir nos tantes Marthe et Suzanne. Nous avons des souvenirs de vacances à jouer autour et dans la grande case de Couli. Nous étions bien reçus dans les familles kanak et nous nous sentions comme chez nous à la tribu de notre grand-mère."

Bien des années plus tard, Raymonde est partie, accompagnée de sa mère Henriette, sur les traces d'autres racines, celles de ce père et grand-père venu de Corse. "En 1977 nous avons fait le voyage jusqu'à Baretalli. C'est un petit village en hauteur. L'accueil a été plutôt frais jusqu'à ce que nous révélions que nous étions des descendantes des Grassi et Casalta. D'un seul coup, les villageois sont sortis de chez eux ! Nous n'avons pas retrouvé la trace des sœurs de Dominique, mais dans le village, les anciens savaient qu'un Grassi avait été envoyé au bagne. Dans le dossier de Dominique, nous avons d'ailleurs retrouvé une demande de son père qui cherchait à avoir des nouvelles de son fils condamné."


Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 11 mars 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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