
En 2024, les services de la commune se sont attachés à "sauvegarder" la collectivité. "La ville a dû adapter sa gestion pour survivre", indique Patrick Guillon, 3e adjoint en charge du budget, lors de la présentation du document d’orientation budgétaire (DOB) aux élus lors du conseil municipal, mardi soir. "Les émeutes ont eu des conséquences humaines et matérielles lourdes."
Aujourd'hui, la liste de ce qui va mal est longue : un indice du climat des affaires au plus bas, un environnement économique très dégradé avec 60 % des entreprises qui prévoient une baisse d’activité, la chute de l’emploi salarié, le secteur métallurgique au plus mal, un niveau historiquement bas des ventes de ciment, l’arrêt temporaire du tourisme, etc. Globalement, il y a "un manque de perspective et un pessimisme généralisé", relève Patrick Guillon.
La ville a connu une baisse notable de ses recettes fiscales de 2,4 milliards de francs en 2024 (-1,1 sur les centimes additionnels et -1,2 milliard sur le FIP, fonds intercommunal de péréquation). Conséquence, la commune a été "contrainte de prioriser les dépenses". Toutes diminuent : les charges de personnels, les dépenses de gestion – avec la réduction voire la suppression de certaines prestations, comme les festivités de fin d’année -, les subventions et contributions – en raison de projets annulés ou reportés. Autre effet : la dégradation des ratios financiers (épargne dégagée, taux d’endettement et capacité de désendettement). Malgré tout, ils restent en deçà des limites préconisées.
Si Nouméa a pu s’en sortir en 2024, c’est grâce à un soutien de l’État de 5 milliards de francs reçus en fin d’année.
Concernant les investissements, certaines opérations n’ont pu être réalisées ou ont été modifiées. Seuls les chantiers prioritaires lancés ont été poursuivis : les travaux de la route du Port-Despointes, l’aménagement du terrain de l’ancienne clinique de l’Anse-Vata, la construction du bâtiment des archives municipales, la réfection des trottoirs, etc., pour un montant de près de 5,2 milliards.
"Les financements attendus pour 2025 en matière de fiscalité et de dotations du FIP sont incertains pour bâtir des projections réalistes", note Patrick Guillon. Dans ses projections sur les trois années à venir, l’exécutif prévoit une baisse des recettes de fonctionnement. Sur la période, les prévisions tablent sur une perte de 4,7 milliards de francs par rapport aux exercices 2022-2023. Les impacts seraient nombreux. Cette diminution des ressources entraînerait une chute du taux d’épargne (qui permet d’investir et de rembourser la dette, NDLR), qui deviendrait nulle à partir de 2026. L’épargne serait alors insuffisante pour rembourser le capital de la dette, et Nouméa ne serait plus en mesure de proposer un programme d’investissement l’année prochaine, faute de pouvoir le financer ni par l’épargne, ni par l’emprunt. "On a fait énormément d’économies, avec notamment 147 emplois en moins depuis 2018. Il faut relancer l’économie et donner du travail aux entreprises. Quand on dit qu’en 2026 on aura 0 investissement, ça commence à être difficile", s’inquiète la maire, Sonia Lagarde.
La situation pourrait se maintenir à une seule condition : trouver 2,7 milliards de francs, afin de garantir le remboursement du capital de la dette et permettre la mise en place d’un programme d’investissement minimal. "La ville ne pourra pas relever les défis pour garantir son avenir sans un soutien urgent et d’ampleur."
Pour l’année 2025, le budget est à l’équilibre grâce à une recette exceptionnelle : sur les 6 milliards de francs de dégâts, la ville a reçu 5 milliards des assurances, c’est-à-dire "le plafond de ce qu’on pouvait toucher", précise Sonia Lagarde.
La ville a établi un programme lié à la reconstruction pour 2,1 milliards de francs. Voiries : 1,4 milliard, réseau d’éclairage public : 237 millions, vidéoprotection : 87,6 millions, véhicules et engins : 112 millions, mur d’escalade : 200 millions, relocalisation de la direction des risques sanitaires : 60 millions, et études bâtimentaires en vue de la reconstruction : 20 millions.
Les chantiers prioritaires sont : le bâtiment des archives, le terrain de la polyclinique, le pôle jeunesse, c’est-à-dire la réhabilitation de l’ancien hôtel de police en espaces dédiés au pôle jeunesse [1], l’aménagement de la rue Jaurès, la route du Port Despointes, la piste cyclable du Faubourg-Blanchot, les trottoirs, la sécurisation de talus et la rénovation de la place Bir Hakeim pour une enveloppe de 1,56 milliard de francs.
Emmanuel Bérart, élu Générations NC, a jugé le débat d’orientation budgétaire "trop optimiste", au vu de la situation économique et sociale. Le représentant suggère à l’exécutif de travailler sur la réduction des avantages en nature et autres primes des 1083 agents que compte la commune, afin de réduire la masse salariale. "D’autres collectivités et établissements publics se posent des questions, réfléchissent à des programmes de départs volontaires, de préretraites, etc."

Entretien avec la maire de Nouméa Sonia Lagarde
C’est un exercice très difficile pour l’ensemble des communes. On a souffert toute l’année 2024 et aujourd’hui, au moment où on doit construire le budget avant la fin mars, on n'a aucune perspective, on ne fait que des évaluations. On va mettre 50 % en moins sur les centimes additionnels, 40 % en moins sur le FIP, mais on n’a aucune visibilité. On avance à tâtons et la situation est très compliquée. Sans les 5 milliards de francs des assurances, qui sont une recette exceptionnelle, on n’aurait pas pu équilibrer le budget. Ce qui manque aujourd’hui, c’est vraiment la trésorerie, on est passé en épargne négative, et dans ce cas, les prêteurs ne vous prêtent pas. Cela va faire l’objet de discussions et d’affinement. Les 5 milliards seront consacrés à la reconstruction. Il n'y a aucune obligation de refaire à l'identique, on peut évoluer. Le tout, c'est de faire des choses et de ramener la vie dans les quartiers. On va essayer d'y croire.
Cela pose surtout des problèmes pour payer la dette. Quand on a 67 millions de francs en caisse, on ne peut pas payer 1,6 milliard de remboursements de capital de la dette sur l’année. On gère au jour le jour. Cela mérite qu’on se penche davantage sur les problèmes des communes. Avec les collègues de l’agglo, c’est un casse-tête épouvantable pour voter un budget. On ne dort pas beaucoup et on essaie de ne pas arriver à devoir licencier. On essaie aussi d’avoir une aide de l’État.
On n’y est pas. Je l’ai dit à Alcide Ponga. Il y a l’association des maires. Moi, je n’ai rien contre Pascal Vittori, mais les quatre maires de l’agglomération, et le ministre l’a bien compris, c’est-à-dire ceux qui ont le plus souffert, ne sont pas autour de la table. Nos problématiques ne sont pas les mêmes, ne nous mettez pas de côté. Ce n’est pas la voie choisie, mais à un moment donné, il faudrait bien nous écouter et qu’on ait une réunion avec le gouvernement pour savoir où on va, parce qu’on est à l’aveugle.
Il y a notamment le pôle jeunesse. On a hésité à y aller, puis on s’est dit qu’il le fallait. On parle beaucoup de la jeunesse, et si on ne fait pas un endroit où on peut les rassembler toutes ethnies confondues et qu’on essaye d’avoir une vision différente sur la jeunesse, on n’y arrivera pas.
On va relocaliser dans une école qui était fermée à la Vallée-des-Colons (Émily-Panné) notre service des risques sanitaires, qui était à Montravel et qui a complètement brûlé. On est en train de faire les études de béton pour voir ce qu’on fait avec le pôle de services de Rivière-Salée, où il y avait la maison de la famille. On réfléchit aux médiathèques, mais on ne va pas reconstruire les écoles, parce qu’on a une déperdition d’enfants et qu’on en avait déjà, en particulier dans les quartiers nord, qui se vidaient, donc ce serait inutile. La voirie aussi a été fortement endommagée, l’éclairage avec les lampadaires mis à terre.