
Il y a eu cette grande réunion de famille. C'était en 2009, au moment de mon retour à Nouméa après une vingtaine d'années en Métropole. Nous avons parlé des anciens, bien entendu, et l'envie m'a pris d'en savoir davantage sur eux. Je me suis penchée sur le côté paternel. Mes grands-parents Dillenseger s'appelaient Louis et Marguerite, née Grimm.

Chez les Dillenseger, les recherches avaient déjà été très bien menées par M. et Mme David. En revanche, chez les Grimm, c'était un grand mystère. Je suis quasiment partie de zéro.
Jean-Baptiste Edmond Grimm, de son nom complet, est né à Strasbourg le 11 avril 1849. Dès qu'il est en âge de le faire, il travaille avec son père Antoine à l'atelier de cordonnerie. En 1868, à l'âge de 19 ans, il s'engage volontairement dans l'armée française et reçoit sa première affectation au 19e Bataillon de chasseurs à pied, en tant que soldat de deuxième classe. Il est fait caporal l'année suivante, puis sergent, et participe à la guerre de 1870 contre les forces allemandes coalisées, qui se solde par la défaite de son camp et la perte de l'Alsace-Lorraine. Comme tous les Alsaciens, Jean-Baptiste doit alors se prononcer quant à sa future nationalité, allemande ou française. Le 15 mai 1872, à la mairie de Versailles, il choisit de rester Français.
En 1872, mon arrière-grand-père est nommé surveillant militaire de troisième classe des établissements pénitentiaires coloniaux. Cette nouvelle affectation signifie notamment qu'il passera désormais une partie de sa vie en mer. L'Orne, le Finistère, le Navarin, le Vénézuela, il naviguera sur bon nombre des bateaux qui effectuent les liaisons. Quatre séjours en Guyane et deux en Nouvelle-Calédonie, ce sont douze traversées,certaines longues de plusieurs mois. À elle seule, une traversée Nouméa-Brest a duré pas moins de six mois !
Je ne sais pas s'il y a eu des escales, ou des avaries, mais c'est extrêmement long, même pour l'époque. Quelques jours avant le grand départ, Jean-Baptiste épouse sa compagne, Marie Augustine Schoubert. Ils embarquent tous deux à bord de l'Orne, le 14 janvier 1873. Jean-Baptiste est affecté à la surveillance des bagnards de l'île Nou. Il conservera ce poste pendant quatre années, montant au grade de deuxième classe, avant d'en démissionner pour une raison que j'ignore, et de rentrer en Métropole. Il rejoint l'administration des forêts, au grade de garde forestier.

L'expérience ne dure que dix mois. Et reprenant du début la carrière qu'il avait embrassée six ans plus tôt, Jean-Baptiste se retrouve surveillant militaire de troisième classe en 1878. Le 26 octobre, il prend ses fonctions au bagne de Cayenne. Son parcours dans l'administration sera désormais assez linéaire, avec des montées en grade régulières jusqu'à sa retraite. Ce n'était pas le cas de tous les surveillants.
"Un certain nombre d'entre eux, assez malveillants, ne faisaient pas carrière bien longtemps dans la pénitentiaire. Ils étaient parfois dénoncés à leur hiérarchie par les bagnards excédés par les actes de maltraitance.Je suis même tombée sur la lettre d'un bagnard qui en appelle à la Ligue des droits de l'homme, et sur le cas d'un autre qui avait tenté de fuir quatre fois pour échapper aux humiliations. En cas de conflit, on donnait bien souvent raison au surveillant, évidemment, mais il est arrivé que des militaires soient écartés. Quant à lui, Jean-Baptiste montera jusqu'au grade de surveillant principal, et sera décoré de la médaille militaire et de la Légion d'honneur. Sa carrière n'est interrompue que par deux "congés de convalescence" d'une durée de plusieurs mois, dont j'ignore la cause précise. Après six années de Guyane, mon ancêtre est envoyé une deuxième fois en Nouvelle-Calédonie, en 1886, pour sept années de service. Il y aura ensuite deux autres séjours en Guyane, un de neuf mois en 1894 et un autre de deux ans entre mars 1895 et mai 1897. Puis c'est le retour en Nouvelle-Calédonie fin 1898, une fois mis à la retraite.

"Il n'en bougera plus jusqu'à son décès, en 1914. Avant un passage par le pénitencier agricole de Pouembout, Jean-Baptiste hérite de son ancienne affectation de l'île Nou, où il s'installe de nouveau, toujours en compagnie de sa femme Marie Augustine. En 1888, les époux donnent naissance à Marie Augustine Marguerite. Un premier enfant quinze ans après leur mariage, c'est assez surprenant.

"Ma grand-mère, qui sera appelée Marguerite toute sa vie, est décédée très jeune, à l'âge de 39 ans, trop tôt pour que je la connaisse. C'est elle qui ancrera la famille en Nouvelle-Calédonie, en devenant institutrice et en fondant une famille avec Louis Dillenseger. Encore un Alsacien !
J'ai remarqué qu'ils avaient tendance à s'unir entre personnes d'une même communauté, même à l'autre bout du monde. Le mariage est célébré le 21 janvier 1915, alors que la guerre fait déjà rage en Europe. Louis est sur le point d'être mobilisé.

Il embarquera six mois plus tard sur le Sontay en compagnie de son frère Paul, pour combattre dans l'armée française, comme son beau-père Jean-Baptiste avant lui. Il ne verra pas la naissance de sa fille Edmonde, en octobre. À Nouméa, Marguerite élève non seulement sa fille mais aussi les quatre enfants de Charlotte Vézia (décédée en 1907), la sœur de Louis et Paul. Au retour de Louis, gazé mais vivant, elle connaîtra quatre grossesses.

Naîtront Jean en 1918, époux de Marthe Lenez, Georges en 1920, époux de Clotilde Bellier, Edmond en 1921, époux de Christiane Leclère et Marguerite en décembre 1927, épouse de Pierre Martineau. La dernière maternité emportera le 2 janvier 1928, une maman, une épouse et un nom : Marguerite est la dernière de notre branche à avoir porté le nom de Grimm. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 16 juillet 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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