
Gilet orange, sacoche sur l’épaule et badge autour du cou : comme tous les jours depuis une semaine, Marie-Claire Jolly enfile, en ce mardi matin, son attirail de l’agent recenseur. Plus qu’un moyen d’identification, cette tenue représente pour la jeune femme de 20 ans une chance supplémentaire de franchir le seuil des portes devant lesquelles elle se présente. "C’est très utile, ça rassure les gens", constate Sanjay Luquet, un des quatre contrôleurs de la zone de Kaméré, Ducos, Numbo et Rivière-Salée, où 43 agents recenseurs sont déployés depuis le 22 avril pour recenser la population, estimée à environ 10 000 personnes.
Pénétrer dans les foyers reste néanmoins un exercice délicat, qu’importe l’accoutrement. "Il y a pas mal de réticences, on n’arrive pas toujours à convaincre", reconnaît André, 37 ans, en charge du recensement de la population de Kaméré vivant "autour de la route des trois baies", au fond du quartier. "En grande majorité, les refus proviennent d’une méconnaissance ou d’une méfiance, qui relève surtout de la peur d’être espionné ou du politique", observe Brigitte Doguet, superviseure de la zone, venue de l’Hexagone pour une mission de deux mois dans le cadre du recensement calédonien. Or, "tout est anonymisé, on ne prend les noms que pour éviter les doublons", insiste-t-elle.
Pour lever les inquiétudes légitimes des habitants, les agents recenseurs ont été formés à les persuader du bien-fondé de l’opération de collecte des données. "Je leur dis que c’est utile pour les services publics, les infrastructures… Pas seulement pour compter la population", raconte André. Lui dispose d’un autre privilège : il vit à quelques rues de la zone dans laquelle il intervient. "Les gens me reconnaissent, c’est un gros avantage."
Le travail réalisé en amont du recensement s’est également avéré essentiel au bon déroulement des enquêtes. "On a distribué des flyers, on a fait des tournées de reconnaissance, les gens étaient prévenus de notre venue", note Sanjay Luquet. Résultat : "ils sont vraiment accueillants, souligne Marie-Claire Jolly. Ils nous offrent tous le café." "Les agents sont à dix cafés par jour, ils commencent à tous demander de l’eau", sourit Sanjay Luquet.

Après une semaine à arpenter les rues de la zone, les 43 agents de Kaméré, Ducos, Numbo et Rivière-Salée sont parvenus à recenser "environ un tiers des habitants". Si les données déjà collectées sont loin d’offrir une analyse claire de la démographie de ces quartiers, une première comparaison avec les chiffres du recensement de 2019 met en lumière "davantage de logements vacants", observe Sanjay Luquet. "Dans certains squats, ils sont deux fois moins nombreux qu’en 2019, on voit vraiment un dépeuplement." Probablement le résultat d’un retour en Brousse ou dans les îles d’une partie de la population la plus pauvre à la suite des émeutes de mai 2024. Le travail de l’Institut des statistiques et des études économiques (Isee) devra confirmer, ou pas, cette explication.
Avant ça, les agents vont multiplier les allers-retours dans les quartiers, les tribus et les squats du pays pour garantir l’exhaustivité du recensement. L’insistance et la patience font partie du job. "Quand il n’y a personne, on laisse un avis de passage, les gens peuvent nous rappeler, explique le contrôleur. Ils le font rarement, mais au moins ils sont courants qu’on repassera forcément." Les 800 agents recrutés par l’Isee ont jusqu’au 22 mai pour mener l’opération de collecte à son terme.
Dans une publication diffusée sur les réseaux sociaux, la police nationale alerte sur de "faux agents de recensement 2025 signalés" ces derniers jours. Les autorités appellent ainsi à la vigilance. Pour éviter les arnaques, "vérifiez l'identité, les vrais agents présentent une carte officielle avec photo, ne partagez pas d'infos sensibles, aucun agent ne demande de données bancaires ou mots de passe" et "en cas de doute vous pouvez vérifier l'identité de votre agent recenseur en appelant le numéro vert au 05 20 00", indique la police nationale.