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"On ne pouvait pas regarder les gens mourir" : à Koumac, un "Smur populaire" pour pallier la fermeture des urgences
Baptiste Gouret | Crée le 03.06.2025 à 18h00 | Mis à jour le 03.06.2025 à 18h06

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Véronique Besançon, Olivier Joséphine et Kevin Leclère sont à l’origine de l’initiative de "Smur populaire", lancée en fin d’année dernière après la fermeture des urgences de Koumac. Photo Baptiste Gouret
Des soignants et des secouristes de Koumac se sont équipés d’un véhicule d’urgence et interviennent désormais sur des accidents à la demande du Samu. Samedi 31 mai, ils ont été appelés pour tenter de sauver un homme victime d’un malaise cardiaque, finalement mort sur le parking de l’hôpital P. Thavoavianon. Une initiative bénévole, aux contours juridiques flous, qui traduit l’angoisse d’une population livrée à elle-même depuis la fermeture des urgences de la commune, en début d’année.

L’étoile bleue déborde légèrement de l’autocollant à la tête de sanglier, coiffée d’un casque de pompier, qui la recouvre partiellement. Sur la carrosserie du camion blanc, le symbole des sapeurs-pompiers du SIVM Nord n’a pas complètement effacé l’ancienne vie du véhicule. Ce qui était une ambulance privée a pris, ces derniers mois, une tout autre dimension : celle d’un "Smur populaire", dernier rempart face à la disparition de l’offre de soins dans le Grand Nord.

Le camion médicalisé, capable d’intervenir sur n’importe quel type d’urgence ou d’accident, fonctionne depuis septembre 2024, géré par une petite équipe de soignants, de secouristes et d’habitants de Koumac, tous bénévoles. Depuis le début de l’année, il s’est imposé comme un rouage essentiel d’un système de santé en perdition, jusqu’à devenir un interlocuteur privilégié du Samu, qui n’hésite plus à le "déclencher" en cas d’urgence. "On intervient à Koumac, Gomen, Ouégoa. On est déjà allés à Touho plusieurs fois, mais aussi dans la chaîne et même sur un minéralier", rapporte Kévin Leclère. Dernière intervention en date : samedi 31 mai, sur le parking de l’hôpital de Koumac, où un homme de 47 ans est mort, victime d’un malaise cardiaque (lire plus loin).

Une convention avec le CHN

Pompier professionnel, Kévin Leclère est à la tête de l’association des sapeurs-pompiers du SIVM Nord qui a acheté, sur fonds propre, le véhicule en milieu d’année dernière. À l’origine, l’ambulance avait vocation à renforcer les postes de secours installés sur les grands évènements, tels que la foire de Koumac. Le projet a pris une tournure différente à la fermeture des urgences de Koumac, d’abord la nuit, décidée le 1er août 2024. "La direction du CHN [Centre hospitalier du Nord NDLR] nous a approchés parce qu’elle rencontrait des difficultés à trouver des ambulances capables d’emmener les patients jusqu’à Koné", raconte Kévin Leclère.

Il réunit quelques soignants et amis afin d’instaurer un "planning d’astreinte" et assurer la réactivité du nouveau service. Très vite, les bénévoles font face à leurs premiers cas graves. "Dès le départ, on se retrouve avec deux urgences sur des enfants, un avec une plaie importante à la tête et l’autre tombé dans le feu et brûlé sur tout le dos." Quelques jours plus tard, ils interviennent sur un accident de la route : une femme fauchée par un véhicule. "C’est là qu’on a commencé à se dire qu’il fallait qu’on soit plus qu’un simple transport de patients."

La fermeture totale des urgences de Koumac, début 2025, va accélérer cette transformation. "C’était une réponse aux besoins de la population et des pompiers, qui n’avaient plus nulle part où déposer les patients et dont le champ de compétences était dépassé sur les cas graves", relève Kévin Leclère. Les bénévoles décident alors de s’équiper : ils signent une convention avec le CHN, qui leur fournit les médicaments et met à disposition du matériel médical ainsi qu’une salle de stockage dans la maternité fermée de l’hôpital de Koumac. Le planning d’astreinte est abandonné. Désormais, le "Smur populaire" intervient sur appel du Samu. "Ils suivent à la lettre les consignes du médecin régulateur, avec qui ils sont en lien permanent par téléphone, ils ne font aucun geste de leur propre initiative", explique le pompier professionnel. Sur chaque intervention, au moins un médecin et un infirmier sont mobilisés.

"Obligation de résilience"

Le dispositif doit sa pérennité à la seule volonté des soignants bénévoles. Après quelques semaines de fonctionnement, l’hôpital a en effet décidé de mettre un terme au remboursement des interventions du Smur. "On s’est demandé s’il ne fallait pas qu’on arrête." Mais les donateurs, des habitants et des associations inquiets de la situation sanitaire, se multiplient. Les frais se limitent au carburant, "et certaines stations nous ont même proposé de nous offrir le plein", raconte Kévin Leclère. La décision est prise : "tant qu’on a les moyens de le faire fonctionner, on garde le Smur."


Pompier professionnel et président de l’association des sapeurs-pompiers du SIVM Nord, Kevin Leclère a rassemblé une équipe de soignants bénévoles, composée de médecins et d’infirmiers, pour intervenir sur des accidents à la demande du médecin régulateur du Samu. Photo Baptiste Gouret

Derrière cette action de solidarité se cache une réalité plus sordide : celle d’un bassin de population, de Poum à Koumac en passant par Ouégoa, qui doit composer avec une offre de soins dérisoire. "On ne pouvait pas regarder les gens mourir", lâche, très remontée, Véronique Besançon, membre du "noyau dur" du "Smur populaire". Infirmière à la retraite, elle a vu le système de santé s’effondrer ces 30 dernières années dans le Grand Nord. "On est revenus 80 ans en arrière." Pour Kévin Leclère, l’initiative traduit une "obligation de résilience". "Si on ne fait pas ça, on est seuls, donc on doit se débrouiller."

Quitte à courir des risques majeurs en évoluant dans un cadre juridique flou. "On est assuré pour pouvoir mettre des victimes dans le véhicule", souligne Kévin Leclère, et la convention avec le CHN circonscrit les interventions à des cas de "détresse vitale". Mais le caractère inédit du dispositif alimente les zones d’ombre. Jusqu’où peuvent aller les bénévoles pour sauver une victime ? Tous les gestes, même les plus risqués, sont-ils permis ? Qui est responsable en cas d’erreur médicale ? "Bien sûr qu’il y a un risque, on peut perdre nos diplômes", reconnaît Olivier Joséphine, ancien infirmier devenu gérant d’une maison de retraite et troisième "pilier" du Smur populaire. "Mais on connaît nos limites, on assume et on est prêts à prendre ce risque", affirme Véronique Besançon. "Si je devais me retrouver devant le tribunal, j’aurais ma conscience pour moi", abonde Kévin Leclère.

"C’est très hypocrite"

Ces dernières semaines, le concept a continué d’évoluer. Désormais, chaque mercredi soir, l’équipe du Smur populaire organise des rencontres avec les habitants intéressés par la cause. Des formations aux gestes de premiers secours, des rencontres avec les pompiers ou les médecins y sont régulièrement proposées. Une façon de "ne pas faire mourir l’engouement", indique Kévin Leclère, mais aussi de former "des petites mains" utiles en cas de "gros accidents".

L’association compte aujourd’hui 48 bénévoles et vient de formuler une demande pour obtenir un agrément de "réserve communale de sécurité civile". "On veut être les futurs soutiens des forces de l’ordre, des pompiers et du Samu" lorsque les urgences de Koumac reprendront du service. Aux yeux de ceux qui le portent, ce "Smur populaire" ne doit pas disparaître. "En vérité, on n’a pas remplacé les urgences, on a créé quelque chose d’unique à Koumac", soutient Kévin Leclère. Mais les soignants bénévoles en sont conscients : se substituer aux pouvoirs publics pourrait bien jouer contre eux. Car pourquoi rétablir les urgences, si certains se chargent de pallier gratuitement leur absence ? "On leur a servi la solution sur un plateau, admet Véronique Besançon. On nous autorise à exercer, sans nous financer ni vraiment nous reconnaître, c’est très hypocrite. Mais est-ce qu’on peut décemment laisser mourir les gens pour faire réagir les institutions ? Pas selon nous."

Un homme meurt devant les urgences de Koumac

Un homme de 47 ans est décédé, samedi 31 mai, sur le parking de l’hôpital de Koumac, ont rapporté nos confrères de NC La 1ère. Il a succombé à une crise cardiaque. Père de quatre enfants, il avait été transporté jusqu’aux urgences par sa famille, alors que le service est fermé depuis janvier par manque de personnel soignant. Prévenu, le Samu a alors déclenché le "Smur populaire" et les pompiers de Koumac, arrivés sur les lieux en vingt minutes. Toujours selon NC La 1ère, ces derniers ont réalisé un massage cardiaque, une réanimation cardiopulmonaire et une perfusion d’adrénaline sans parvenir à réanimer la victime.

Alors que les élus du Congrès étaient réunis, lundi 2 juin, pour évoquer notamment la situation sanitaire de la Nouvelle-Calédonie, l’élu du groupe Calédonie ensemble Philippe Michel a estimé que ce drame représentait le "premier mort officiel de la situation de pénurie de soignants. Derrière ce cas, il y a des dizaines voire des centaines de nos compatriotes qui ont perdu des chances ou qui sont décédés en silence à cause de cette pénurie".

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