
"Louis Maxime est né le 7 août 1863 à Chantenay-sur-Loire, un faubourg de Nantes. Ajusteur mécanicien, il fait partie d'un groupe de jeunes qui cambriolent les maisons. Ils sont une douzaine, une vraie bande. Il vit en concubinage avec une couturière, Marie-Anne Le Goff, avec qui il a un enfant, Louis-Charles. Louis Maxime et ses complices sont arrêtés et jugés par la cour d'assises de Nantes.
La minute du procès relate au sujet des cambriolages et de leurs auteurs que "leur extrême fréquence et l'audace des malfaiteurs avaient jeté l'émoi dans le public [...] Chaque nuit pour ainsi dire, tantôt sur un point de la ville tantôt sur un autre, des caves ou des boutiques étaient dévalisées".
" Le 26 mars 1886, mon grand-père est condamné à cinq ans de travaux forcés, la durée minimum pour cette peine."

Louis-José Barbançon narre l'histoire de sa famille à la manière du professeur qu'il a longtemps été, posément, en la ponctuant d'explications. Si aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire qu'il est le spécialiste de l'histoire de la colonisation pénale, sa famille n'a pas échappé au non-dit.
Lorsque Louis-José trouve le patronyme de sa grand-mère, Albani, dans une liste de concessionnaires, sa mère lui répond que non ils ne descendent pas des bagnards : " Ton grand-père a posé son sac sur le quai. " Sans doute sa mère Pierrette ne connaissait-elle pas la vérité mais comment imaginer que sa grand-mère ait pu ignorer les origines de son mari, elle-même fille de condamnés... Cette éternelle quête de vérité de l'historien n'a pas toujours, et aujourd'hui encore, été comprise par certains esprits chagrins. Loin de dévaloriser ces familles ou de manquer de respect aux anciens partis avec leur secret, la révélation de ce passé douloureux honore ceux qui, selon Louis-José " ont dû, comme les Kanak ou les engagés asiatiques, baisser la tête pour que leurs enfants puissent, un jour, marcher la tête haute ".
" Louis Maxime est transporté à bord du Fontenoy parti de Saint-Martin-de-Ré le 27 décembre 1886. Mon grand-père subit sa peine de cinq ans comme prévu puis il est libéré le 13 mai 1891. Reste le doublage. Comme chaque forçat condamné à une peine inférieure à huit ans, il doit rester un temps égal à sa peine sur la colonie avant de pouvoir repartir.

Le 3 octobre 1895, il épouse Marie-Eléonore Coinon à Nouméa. Il a 32 ans, elle en a 16 et de leur union naîtront quatre enfants : Louis, décédé à 5 ans, Blanche, future épouse de Teddy Mac Manus, Charles, employé à la Société havraise calédonienne et l'époux de Marie Carié, enfin Yvonne qui épouse Edmond Chalvidan, commissaire des Messageries maritimes. Louis Maxime et Marie Eléonore divorcent en 1907, l'année de naissance d'Yvonne.
Louis Maxime n'est pas concessionnaire. Son métier initial le conduit à devenir officier mécanicien sur les navires des Messageries maritimes et a réussir ainsi sa réinsertion.
Six mois avant sa réhabilitation prononcée en novembre 1908, Louis Maxime épouse Ursule Albani. Elle est la fille du libéré corse Philippe-Marie Albani et de Marie-Thérèse Bureau, dont les parents étaient concessionnaires à Bourail. Ma mère m'a toujours raconté qu'Ursule, sa mère, était arrivée un jour chez elle. Ses parents lui avaient alors présenté un monsieur âgé qui était là, en ces termes : "Ma fille, voilà ton mari". Elle avait 16 ans, Louis Maxime 45.

Ensemble ils ont six enfants et malgré ce mariage arrangé, j'ai lu dans les lettres qu'il envoyait à sa femme depuis ses escales beaucoup de marques de tendresse. "
" Les Morandeau ont pour terroir la ville de Nouméa. Nous sommes des citadins, des gens du Sud, qui allons à la pêche et non à la chasse. Nous n'avons ni terrain en Brousse, ni chien de chasse, et plutôt des éperviers et des sennes que des fusils.
Clin d'œil de l'histoire, Henri, le fils aîné d'Ursule et Louis Maxime, devient gardien chef au Camp-Est. Il épouse Alfredine Roustan. Ursule, la cadette, née en 1910, se marie avec Paul Barthélemy. Louis, le troisième de la fratrie, né en 1913, devient chef de la brigade des douanes à Nouméa et son petit frère Jean, chef d'atelier à la France Australe. Seul Yvon, l'avant-dernier, exerce comme son père le métier de mécanicien. Il est embauché sur les bateaux de la SLN puis aux ateliers.

Pierrette, ma mère, dernier enfant de Louis Maxime et Ursule, devient institutrice chez les sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Elle perd son époux, Raymond Barbançon, mon père, en 1953, alors qu'il était mécanicien sur la Monique. J'avais 3 ans. Louis Maxime est décédé en 1932, à 69 ans, et ma grand-mère ne s'est jamais remariée. Elle a élevé ses six enfants seule et difficilement. Elle est devenue blanchisseuse et repasseuse pour l'armée, à une époque où les fers étaient à charbon et les uniformes blancs. J'avais 15 ans quand elle est décédée à son tour en 1965.
" Je sais maintenant que la vie de la première épouse de mon grand-père, Marie Eleonore, a été difficile. Après un court séjour en France, au lendemain du divorce, elle revient à Nouméa et assume la charge d'élever deux générations : ses enfants puis ses petits-enfants, Simone et Maurice. Elle exerce, elle aussi, comme blanchisseuse pour subvenir à leurs besoins. Simone et Maurice ont fait souche en Calédonie. Simone épouse Albert Sautron qui lui donne deux filles, Annie et Brigitte ; Maurice épouse Carmen Monin, ce sont les parents de Jean-Marc et Véronique, dont je connaissais l'existence mais que j'ai rencontrés pour la première fois vers l'âge de 40 ans.

" De par la disparition de mon père, j'ai surtout été élevé avec les Morandeau et mon enfance est marquée par la troisième génération, celle des cousins germains.
Nous étions treize dont les naissances s'étalent entre 1935 et 1965 : Roger, Sylvia, Jacky, Daniel, Yolande, Gérard, Jean-Michel, Claude, Christian, moi-même, Gaby, Pierre, Sara, ma demi-sœur, et Philippe. Roger, Jacky, Daniel et Claude sont aujourd'hui décédés.

Les enfants et petits-enfants de cette génération sont trop nombreux pour être cités mais ils sont tous issus d'unions où se côtoient des familles d'origines calédonienne, bourbonnaise, kanak, wallisienne, indonésienne, vietnamienne, métropolitaine, et Sylvia a épousé un descendant de Japonais: nous sommes une famille d'ici. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi 20 mai 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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