
Lorsqu’elle observe Kenu-In en proie aux flammes, en mai 2024, Cathy comprend vite que la crise insurrectionnelle qui s’empare du pays vient de détruire l’emploi qu’elle occupait depuis vingt ans. Pendant plusieurs mois, l’habitante de Rivière-Salée se retrouve "paralysée, complètement perdue". Mais elle en est bien consciente : "je ne pouvais pas attendre que Carrefour soit reconstruit sans rien faire, il fallait bien que je mange". Il aura tout de même fallu plus d’un an pour que la femme de 53 ans entrevoie le bout du tunnel.
Après un mois de formation à la Direction de l’emploi et du logement (DEL) de la province Sud, elle a obtenu un entretien pour un poste de secrétaire en agence immobilière. Elle fait partie des 800 demandeurs d’emploi à avoir bénéficié d’un nouveau programme d’accompagnement destiné aux personnes qui ont perdu leur emploi durant les émeutes.
Le dispositif a été rendu possible par la réorientation des crédits alloués à la DEL dans le cadre du contrat de développement 2024-2027 signé entre la province Sud et l’État. Sur les 271 millions de francs de budget (financés à hauteur de 75 % par l’État), 105 millions initialement consacrés au chantier d’insertion ont été transférés vers le nouveau programme. "C’était une manière de s’adapter à la crise, explique Sonia Backès, présidente de la province Sud, lors d’une visite conjointe des locaux de la DEL, mercredi 18 juin, avec le haut-commissaire Jacques Billant. On a dû faire face à un nouveau public que nous n’avions pas l’habitude de voir, des gens qui ont parfois travaillé pendant 20 ans dans la même entreprise et qui n’étaient pas habitués à la recherche d’emploi, qu’il faut accompagner vers une réinsertion."

Si le dispositif reste modeste – 800 bénéficiaires sur 18 000 demandeurs d’emploi reçus depuis le début de l’année – il s’avère particulièrement efficace : 92 % des personnes qui l’ont suivi ont retrouvé un emploi, affirme la Direction de l’emploi et du logement.
Concrètement, le dispositif consiste en un accompagnement individualisé, couplé à une formation d’un mois pour (ré) apprendre à candidater à une offre d’emploi : ateliers de rédaction de CV, de lettre de motivation, coaching d’entretien d’embauche… "On accompagne chacun avec la réponse qui correspond à sa problématique, salue Sonia Backès. Et cette réponse individualisée, c’est une vraie réussite."
Cathy ne dit pas l’inverse. "J’ai retrouvé confiance en moi, je sais désormais mieux communiquer", expose l’ancienne hôtesse de caisse. Charles, ex-employé sur mine, n’a pas encore d’idée fixe sur son souhait de réorientation, mais a déjà "beaucoup appris". "Maintenant, il faut le temps de tout assimiler."
Devant le haut-commissaire, Jacques Billant, venu rencontrer les stagiaires et découvrir le dispositif, il a dit tout le bien qu’il pensait du programme et de l’équipe qui le porte. "Il y a une vraie reconnaissance de cet accompagnement", a constaté le haut-commissaire, soulignant la nécessité d’un tel programme "puisqu’on sait que le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 10 % entre mai 2024 et mai 2025". Ils seraient actuellement 7 700 à chercher un travail en province Sud. Pour Jacques Billant, l’argent injecté par l’État dans ce type de mission de service public se traduit "par des actions concrètes qui changent la vie des Calédoniens, voilà le plus important".

Reste que la réorientation du budget se fait au détriment des chantiers d’insertion, menés dans les quartiers et les tribus défavorisés de la province Sud, afin d’aller directement à la rencontre d’un public très éloigné de l’emploi. Une décision motivée par l’insécurité qui aurait gagné ces secteurs depuis les émeutes, et qui mettrait en danger les agents de la DEL, affirme la Maison bleue. "Ce qui s’est passé l’an dernier a rendu difficile la mise en place de chantiers d’insertion dans certains endroits, assure Sonia Backès. Mais l’idée n’est pas de les arrêter, parce qu’il y a eu aussi des succès grâce à ces chantiers, en tribu comme en quartier. On est capables d’être assez souples, donc si on doit à nouveau faire évoluer nos dispositifs, on demandera à l’État de nous accompagner."
