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[SÉRIE] Marie Paillard, le courage d'une mère condamnée 
LNC | Crée le 29.06.2025 à 14h00 | Mis à jour le 29.06.2025 à 15h09

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Marie Paillard et son second mari, Paul Georges Hamelin.
Marie Paillard fait partie des femmes condamnées aux travaux forcés. Elle l'a été pour vol. Arrivée en 1881, mariée à deux reprises, Marie a fait sa vie du nord au sud de la Grande Terre sans avoir d'autre enfant que Jules, né en France, une dizaine d'années avant sa condamnation. Son fils a fait souche en Calédonie. Gérard Paillard, l'arrière-petit-fils de Marie, vit en Australie et il n'a de cesse de chercher à combler les zones encore floues de la vie de ses aïeux. Retour sur la vie de Marie Paillard dans ce 58e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 25 mai 2017.

"Marie est née le 6 avril 1850 à Bosc-Geffroy en Seine-Maritime. De son enfance, nous savons seulement qu'elle a été condamnée une première fois pour vol en 1863 par le tribunal de Neufchâtel. Elle avait alors 13 ans. Puis une seconde fois, en 1871. Elle avait alors 21 ans et était maman d'un petit Jules à peine âgé de 3 ans. Et encore une troisième fois, en 1879. L'année suivante, le 20 février 1880, la cour d'assises de la Seine-Inférieure, à Rouen, condamne Marie à cinq ans de travaux forcés, sans surveillance, pour vols qualifiés et complicité de vols qualifiés par recel. La jeune journalière n'a pas encore 30 ans et Jules moins de 11 ans."


Gérard Paillard est parti s'établir avec femme et enfants en Australie, en 1972.

Gérard Paillard, l'arrière-petit-fils de Marie, raconte l'histoire de son " audacieuse " aïeule non sans un brin de fierté pour cette femme " courageuse " car, si l'envoi à la Nouvelle était éprouvant pour les hommes, il ne l'était pas moins pour les femmes. Déracinées, rapidement mariées, et souvent mères de famille nombreuse, les femmes condamnées ont, elles aussi, eu la vie dure. Aidé de Denise Def, Gérard remonte le fil de son histoire.

Une seconde vie

" Marie embarque donc sur l'Ernestine et arrive dans la colonie le 15 octobre 1881. Il n'y a aucune trace de Jules qui, pourtant, devrait l'accompagner. À son arrivée, elle est envoyée au couvent de Bourail sous la surveillance des sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Elle y rencontre Pierre Charry dit Lacouere, un cordonnier âgé de 52 ans, ancien condamné, libéré et concessionnaire au grand Méaré, à La Foa, depuis 1880. Le mariage est célébré à peine huit mois après son arrivée, le 7 juin 1882, à Bourail, et il semble qu'il n'y ait eu aucune descendance de ce mariage. "


Jules, l'unique fils de Marie. Sur le feuillet matricule de Marie, il est écrit quelle a cinq enfants au moment de sa condamnation mais jamais les descendants nont pu retrouver la trace de ces autres enfants, s'ils ont vraiment existé.

Marie est libérée en 1885. Son fils Jules rejoint l'année suivante le pensionnat de Néméara. Gérard n'a pas de trace écrite de l'enfance de son grand-père Jules, seulement les récits familiaux.

Le 17 octobre 1892, à bord du Polynésien, Jules quitte la Calédonie, direction l'Australie.

" Mon père m'avait raconté qu'à la suite d'une bêtise commise dans l'église, Jules était parti dans le nord de la Grande Terre. Là-bas, il aurait rencontré des prospecteurs avec qui il a travaillé. De là serait née son envie de devenir exploitant minier. " Cette histoire relève de la tradition orale, mais une chose est sûre, le 17 octobre 1892, à bord du Polynésien, Jules quitte la Calédonie, direction l'Australie.

L'ancrage dans le sud

Pierre Charry s'éteint le 23 mars 1897 à l'hôpital des libérés de Ducos. Son décès est déclaré par deux surveillants militaires et son acte mentionne qu'il est célibataire. Pourtant, nulle part il n'est fait mention de divorce avec Marie, et que fait-elle tandis que son mari est à Ducos ? Ces questions restent aujourd'hui encore sans réponse.


Marie Paillard et son second mari, Paul Georges Hamelin.

La famille Paillard perd la trace de Marie jusqu'en 1907. " Cette année-là, le 2 février 1907, Marie Paillard se remarie à Prony avec Paul Georges Hamelin, un ancien condamné devenu mineur. Sur l'acte de mariage, il est écrit que Marie est veuve de Pierre Charry... Les conditions et l'année de leur rencontre sont un mystère, Paul est de quatorze ans le cadet de son épouse. En 1913, après plusieurs demandes, il obtient la levée de son obligation de résidence, mais il ne repart pas de Nouvelle-Calédonie. "

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Marie est une femme entreprenante. Elle ouvre un commerce et, selon la mémoire familiale, tente de faire pousser de la vigne. Les époux ne quittent pas Port-Boisé où Paul décède en 1926, à 62 ans. Marie, elle, s'éteint à Nouméa à l'hôpital de l'Orphelinat, deux ans plus tard, à 78 ans, " après une vie passée à servir les hommes qui ont traversé sa vie ".

 

La descendance

Jules a 23 ans lorsqu'il quitte Nouméa pour Sydney en 1892. L'année suivante, le 5 décembre 1893, il épouse Margareth Sinclair, une fille de médecin. Jules est alors artisan. De cette union naissent trois enfants : Eugene en 1895, (Jules est déclaré cuisinier dans un club australien sur l'acte de naissance), Lionel en 1897 (Jules est cette fois fermier), puis Oliver-Elvyn en janvier 1899. Quelques mois après avoir accouché de son troisième fils, Margareth décède, laissant Jules veuf avec trois enfants en bas âge.

 


Jules, chez lui, dans sa maison de la pointe Chaleix, entouré de son fils Lionel André (1« à gauche), sa fille Mathilde née en 1919 avec son époux Emilien (debout derrière Jules), sa fille Juliette née en 1917 et le fils de celle-ci, Henri, Rose Marguerite née en 1929, puis Jeanne née en 1925 assise au côté de son mari Robert. Crédit photo : ANC - fonds Arthur Lavine


Lionel André, le père de Gérard, épouse Andrée Hardy le 29 juin 1946 à Nouméa. À cette époque-là, il était colporteur. Les jeunes mariés sont entourés des parents d'Andrée, Joséphine et Etienne Hardy.

Ils vont vivre entre l'orphelinat et la famille de leur mère. Le parcours de son grand-père est difficile à retracer pour Gérard. " En 1899, l'année où sa femme meurt, Jules est passager sur le bateau le Ville de La Ciotat en provenance de Marseille. Mon oncle Oliver, que j'avais interrogé à ce propos, disait qu'il était reparti quelques mois en France à la recherche de sa famille. " Revenu en Australie, Jules reprend le travail, des encarts publicitaires à son nom sont publiés dans le journal en septembre 1900.

 

Difficile de dater son retour définitif en Nouvelle-Calédonie, a priori dans le courant de l'année 1901. Jules s'installe alors avec sa mère et son beau-père Paul Hamelin dans le sud de la Grande Terre, et exerce comme ce dernier le métier de mineur exploitant de nickel et de bois.

Jules est condamné pour coups et blessures volontaires. La tradition familiale raconte qu'il s'est défendu contre des voleurs

En mars 1907, alors qu'il travaille dans le magasin de sa mère, Jules est condamné pour coups et blessures volontaires.

La tradition familiale raconte qu'il s'est défendu contre des voleurs. Jules fait quelques semaines de prison avant son jugement mais la cour criminelle ne le renvoie pas derrière les barreaux, charge à lui de bien se tenir pendant cinq ans.


Jeanne, Marguerite et Juliette, trois des filles de Jules et Virginie. Toutes les trois ont vécu aux USA.

En mars 1914, il épouse Virginie Jaouen à Nouméa où il réside alors. Ensemble ils ont huit enfants. Après Lionel, le père de Gérard, né en 1914, sont nés Juliette, Mathilde, Albertine Anne-Marie et Jean-Albert, tous deux décédés en bas âge, Jeanne, Rose-Marguerite qui naît à Yaté où Jules était surveillant de lignes, et enfin Paule-Michelle. Jules, prospecteur, est souvent absent et laisse Virginie à Port-Boisé s'occuper de la maison et des enfants. La vie est rude, la mémoire familiale rapporte qu'il fallait notamment tirer la charrette remplie de victuailles arrivées par la pilotine.

 

De 1923 à 1936, Jules et Virginie obtiennent les permis d'exploitation de quatre mines de chrome et cobalt dont Bonne mine et Attila à Port-Boisé, Juliette et Juliette extension à Cap N'Doua où il a gardé le phare. Jules décède en 1950, à Nouméa à l'âge de 81 ans. Ses descendants font souche en Nouvelle-Calédonie mais aussi en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis.

 

Bribes après bribes, Gérard continue d'éclaircir le parcours de ses aïeux. " Les rares photos que nous avons de Jules nous montrent qu'il avait le visage très marqué. Usé par la vie d'un fils naturel d'une femme condamnée que rien ne prédestinait à réussir. "

Virginie Jaouen, la seconde épouse de Jules Paillard


  

Née sur l'ile de Callac dans les Côtes-d'Armor, Virginie est la fille de Pierre Jaouen et Anne-Marie Plourin. Pierre Jaouen est arrivé en Nouvelle-Calédonie avec femme et enfants en 1898 afin de travailler pour la Société Le Nickel.

Anne-Marie est décédée à Thio le 26 août 1900, en donnant naissance à des jumelles mortes-nées. En 1914, l'année du mariage de Virginie et Jules, Pierre et sa fille sont domiciliés à Touho où il exerce la profession de cultivateur.

Eugene, Lionel et Oliver, trois Anzac, engagés dans l'Australian Imperial Force.


  

Lionel Théodore et Oliver (à gauche) sont deux des trois fils de Jules et Margareth. Eugene, Lionel et Oliver sont tous trois Anzac, engagés dans l'Australian Imperial Force.

Eugene, l'aîné, n'a servi que lors de la Première Guerre mondiale. Le 14 août 1915, à l'Hôpital de La Valette à Malte, il décède de ses blessures. Lionel s'engage pour les deux guerres mondiales. Après sa libération le 17 octobre 1945, il devient prospecteur et décède prématurément en 1954 en Australie dans un accident du travail. Oliver rejoint l'Australian Imperial Force le 18 mai 1916 à l'âge de 17 ans. Puis, le 7 mai 1941, à Paddington, il s'engage à nouveau. Il est libéré le 17 septembre 1947. Il s'éteint en

1978. Tous deux ont servi durant les deux guerres de 1914-1918 et de 1939-1945.

Note

Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].

Cet article est paru dans le journal du samedi 25 mai 2017.

Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.

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