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[MAGAZINE] Lisa Ardoin, glaciologue : "Au bout d’une heure, tu gèles"
Propos recueillis par Patricia Calonne - L Calédonie | Crée le 06.07.2025 à 06h00 | Mis à jour le 06.07.2025 à 12h16

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Si Lisa Ardoin s’intéresse aux glaces, c’est que celle présente au Groenland et en Antarctique, en piégeant des bulles de gaz, a enregistré l’atmosphère du passé au moment de sa formation. "Le gaz qui est piégé dans ces glaces montre qu’il y a eu de la vi Crédit photo Pole / @IPEV/PNRA.
Géologue de formation et doctorante au laboratoire de glaciologie de l’ULB (Université libre de Bruxelles), Lisa Ardoin, 28 ans, en troisième année de thèse, s'intéresse aux glaces très profondes. Elle revient d’une mission de trois mois dans une base en Antarctique par moins 40 degrés. Un défi. Une interview proposée par notre partenaire le magazine L Calédonie, paru en mai.

Lisa, peux-tu nous parler de ton projet de recherches ?

Je travaille sur les glaces très profondes au Groenland comme en Antarctique, et j’essaie de comprendre l’interaction entre le socle rocheux sur lequel reposent les glaces et les glaces qu’il y a au-dessus qui ne comportent pas de cailloux. Ça dépend des lieux de forage, mais on est environ entre 1,5 à 3 km de profondeur. Ce n’est donc vraiment pas facile de récupérer des échantillons à ces profondeurs.

Qu’attendez-vous de ces recherches ?

La glace présente au Groenland et en Antarctique a enregistré l’atmosphère du passé au moment de sa formation. Elle a piégé des bulles de gaz, et c’est le seul enregistrement direct qu’on a de cette atmosphère du passé. Quand on arrive en profondeur, donc proche du socle rocheux, on perd ce signal dit paléoclimatique, puisque c’est le climat du passé. J’essaie de comprendre les interactions entre la glace et le socle rocheux pour comprendre pourquoi on perd ce signal climatique. En mesurant les gaz, on s’est également rendu compte qu’il y avait une activité biologique. Ça a éveillé la curiosité scientifique parce qu’on se rend compte que le gaz qui est piégé dans ces glaces bien particulières, montre qu’il y a eu de la vie à une époque. C’est une entreprise qui pourrait fournir des clés essentielles pour comprendre l’évolution du climat mondial à une époque charnière.

Comment se prépare-t-on pour une mission en milieu extrême ? On parle tout de même de températures à – 40 degrés…

C’était ma première mission de terrain. Après, j’ai une passion pour la randonnée et je suis allée randonner au Groenland l’année dernière. Donc, je sais partir en autonomie toute seule. Mais là, c’était très particulier, parce que je savais que ça allait être un milieu extrême. On nous prête du matériel, mais on a eu la liste de matériel un peu tard, il a donc fallu que je me débrouille un peu. J’ai eu la chance d’être très bien coachée par une chercheuse qui était partie en Antarctique et qui avait acheté du matériel spécifique pour les femmes.

Ça consiste en quoi exactement ?

Des leggings super chauds tout d’abord. Et puis, des paires de chaussures pour les moments de détente. Les grosses bottes pour aller à l’extérieur sont prêtées par les organismes. Mais juste les petites chaussures pour être à l’intérieur dans des petites pointures, c’est tout bête, mais du 38 ou du 39, il n’y en a pas forcément dans les dotations. Ainsi que des lunettes, des bonnets, des gants de petite taille.

Et concernant l’hygiène, la protection de la peau… Une fois de plus, rappelons qu’avec des températures à -40 degrés, on n’utilise pas les mêmes produits je suppose.

Tout à fait, pas de crème hydratante qui contient de l’eau par exemple. Moi, j’ai pris de la vaseline simple et efficace. Et ça marche aussi pour les crevasses ! Pour tout ce qui est crème solaire, ça faisait partie de la dotation. Parce qu’au final, il ne faut pas oublier que le soleil ne se couche pas à la saison à laquelle je suis partie. Donc le soleil fait aussi partie des dangers. Et pour tout ce qui est produit de lavage, on ne peut pas utiliser n’importe quoi. Notamment quand on est à la station Concordia, qui est dans le centre du continent antarctique par lequel je suis passée, ils fournissent shampoing et savon car il y a tout un système de recyclage de l’eau. On ne peut pas utiliser n’importe quel produit.

Le record précédent pour les glaces récupérées était de 800 000 ans […]. Cette année, on a récupéré de la glace qui a environ 1,2 million d’années. On en saura plus avec les analyses en laboratoire une fois que la glace arrivera en Europe, en mai-juin. Là, on est parti pour 20 ans de recherche sur cette glace. Donc, il va falloir être patient.

En parlant de douche, ça ne doit pas être évident de se laver…

Oui, il y a aussi des contraintes. Sur le camp, on devait pelleter de la neige pour avoir de l’eau liquide pour prendre notre douche. Franchement, pelleter 40 kg de neige, c’est sympa. Mais on ne le fait pas tous les jours ! En général, on prend deux douches par semaine. Entre-temps, on peut utiliser des lingettes hygiéniques. Mais il faut faire gaffe parce qu’il ne faut pas qu’elles contiennent d’eau. Parce que si elles contiennent de l’eau, elles gèlent. Donc, il faut trouver des lingettes à l’huile.

Et c’est surtout un milieu d’hommes, non ?

Clairement. Dans notre équipe, nous étions 7 femmes pour 9 hommes, un record. (Elle part d’un grand rire). Sur les stations, il y a à peu près 80 personnes. On est passées par la station italienne et la station française. À chaque fois, il y a 4 femmes, maximum.

Du coup, ça a posé un problème que vous soyez plus nombreuses ?

Quand notre petit groupe débarquait avec 7 femmes, je me suis rendu compte que c’était vraiment anormal. Ils étaient un peu décontenancés du style : " On va être obligés de leur faire un dortoir que pour elles. " Mais on les a rassurés en leur disant qu’on était tous là pour le travail.

Au quotidien, comment se passe une journée de travail ?

Avant tout, il y a le timing des repas qui, je pense, est primordial pour garder un cycle sain. Donc, on travaillait en shift. Il y avait plusieurs équipes avec différents horaires. Moi, je faisais partie de l’équipe scientifique, donc on était 4 à avoir un rythme à peu près similaire avec une journée de travail classique en laboratoire. Enfin classique… On travaillait dans un conteneur qui est maintenu à moins 30 degrés pour que les glaces ne fondent pas et que les propriétés physiques et chimiques ne soient pas modifiées. Donc, on bossait par tranches de 1h15 à 1h30. Au-delà, tu commences à avoir mal aux pieds, mal aux mains à cause du froid donc tu sors. Parce que les risques pour la santé sont réels, en fait. Et puis, de toute façon, au bout d’une heure, une heure et quart, tu gèles.

Et à cela s’ajoute le problème de l’altitude…

Oui, c’est une autre chose à prendre en compte, qui nous a bien fatigués, c’est l’altitude. On était à 3 000 m d’altitude. Et comme on est au pôle, l’atmosphère est beaucoup plus ténue. Donc la pression, normalement, elle est de 1 bar. Là, elle était de 0,6 bar. Et ça, on le sent. On monte trois marches, on est essoufflés, même une fois qu’on est acclimatés. C’est un truc de dingue.

Tu t’es sentie en danger à un moment donné ?

On était sur une équipe qui était extrêmement bienveillante qui nous a bien formées. Ils étaient venus plusieurs fois sur le terrain donc, ils avaient les bons gestes. Ils savaient comment ça allait se passer. Et du coup, la mission a été une réussite complète. Donc, il y a eu plus de moments de joie que de moments de peur.

Tu parles de réussite, tu peux développer…

Le record précédent pour les glaces récupérées était de 800 000 ans, record qui a été atteint au début des années 2000 avec le projet Beyond EPICA*. Cette année, on a récupéré de la glace qui a environ 1,2 million d’années. On en saura plus avec les analyses en laboratoire une fois que la glace arrivera en Europe, en mai-juin. Là, on est parti pour 20 ans de recherche sur cette glace. Donc, il va falloir être patient.


Crédit photo Pole / @IPEV/PNRA. /L Calédonie


L Calédonie

Le projet de recherche Beyond EPICA

Le projet de recherche Beyond EPICA a démarré en 2019 et doit durer 7 ans. Il est coordonné au niveau européen par Carlo Barbante, professeur à l'université de Venise. Le principal objectif de la mission scientifique Beyond EPICA Oldest-Ice Core est d'obtenir des informations quantitatives, à haute résolution, des changements climatiques de ces derniers 1,5 millions d'années.

Note

Retrouvez le numéro 5 du magazine L Calédonie, paru en mai, dans de nombreux points de vente et sur la page Facebook L Calédonie magazine. [1]

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