
"La commission d’instruction de la CJR a rendu une décision de non-lieu", a annoncé Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, dans un bref communiqué, lundi 7 juillet, sans détailler les motivations des magistrats. Cette décision n’est pas une surprise. Le non-lieu requis en mai par le ministère public en faveur de l’ancien Premier ministre (mai 2017-juillet 2020), de l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn (mai 2017-février 2020) et de son successeur Olivier Véran (février 2020-mai 2022) éloignait la perspective d’un procès, même s’il revenait à la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (CJR) de trancher, étant la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
L’information judiciaire avait été ouverte en juillet 2020 pour mise en danger de la vie d’autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, à la suite d’une série de plaintes (médecins, patients, syndicats…) dénonçant une mauvaise anticipation du gouvernement ou des mesures tardives. Selon Santé publique France, 168 000 personnes sont décédées du Covid-19 entre 2020 et septembre 2023, date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé a mis fin à l’urgence sanitaire mondiale.
Rémy Heitz avait expliqué, en mai, que les investigations qui ont porté sur le premier semestre 2020 avaient établi que "de nombreuses initiatives (avaient) été prises par le gouvernement pour combattre la pandémie de Covid-19, faisant obstacle à ce que l’infraction d’abstention volontaire de combattre un sinistre soit constituée à l’encontre" d’Édouard Philippe et Olivier Véran. Concernant Agnès Buzyn, le parquet général avait relevé qu’elle avait quitté ses fonctions le 16 février 2020, soit avant le premier décès d’un malade contaminé, neuf jours plus tard.
D’après ces réquisitions, s’il est estimé que les mesures prises "n’ont pas été suffisantes pour éviter des drames qui ont endeuillé de nombreuses familles", il est indiqué que le Code pénal "ne vise pas à réprimer une politique publique qui n’aurait pas atteint entièrement son objectif", "mais des individus qui volontairement ont refusé de prendre toute mesure de nature à combattre un sinistre". "Tel n’est pas le cas d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran, qui, chacun a leur niveau, ont combattu l’épidémie dès son émergence en France."
Si les masques ont en particulier manqué aux soignants du milieu libéral en mars 2020, cela résultait d’un "choix" gouvernemental de "prioriser les services hospitaliers" et non d’une "abstention d’agir". Le confinement, jugé trop tardif par des plaignants, est aussi un "choix politique" pour "arbitrer entre différents objectifs" : "la santé publique, la liberté d’aller et venir, de travailler"…
Cette analyse semble diverger de celle des magistrats de la commission d’instruction qui, même s’ils ont décidé d’un non-lieu, ont souligné "l’excessive centralisation", "la trop grande complexité des dispositifs administratifs" ou encore "le dimensionnement insuffisant de Santé publique France", avait relevé le parquet général en mai. Ce dossier viendra nourrir l’information judiciaire ouverte contre X au Pôle santé publique du tribunal de Paris, pour mise en danger de la vie d’autrui, homicides et blessures involontaires.
Concernant le jugement, qui était attendu, Agnès Buzin a déclaré, dans le journal Libération, "On a fait le maximum de ce qu’il était possible de faire à l’époque […] pour sauver le maximum de vies". "La CJR ne s’est pas penchée que sur les ministres, pas sur les éventuelles responsabilités, l’impréparation et le manque de réactivité d’autres personnes", a-t-elle ajouté, pointant du doigt la "passivité initiale d’autres institutions, comme le président de l’Ordre des médecins" ou l’écho reçu par le professeur Didier Raoult. Olivier Véran a évoqué de son côté dans un communiqué "un non-lieu sans joie ni soulagement", disant qu’il "n’effacera ni les menaces de mort, ni les insultes", et adressant ses pensées aux victimes, à leurs familles et aux soignants. Édouard Philippe n’avait pas encore réagi.