
Magalie et Cyril sont allés au bout de leur rêve. Deux fois. Ces deux jeunes marins (100 ans tout ronds à eux deux) viennent de boucler leur deuxième tour du monde à la voile. Ils sont rentrés à bord de Black Lion, leur catamaran de 11 mètres, mercredi soir à Nouméa, leur port d’attache depuis 2001.
S’ils partagent trente ans de vie commune, ils ont épousé la mer en 2006, sans rien connaître au monde des marins après un coup de cœur pour un bateau, Pirates.com. En 2010, sans avoir jamais vraiment navigué, ils tournent le dos à leur vie de terriens et se jettent à l’eau pour vivre une aventure de six ans autour du globe, avec leur fils Jonathan [1]. Vanuatu, Salomon, Papouasie, Asie, puis océan Indien, le cap de Bonne Espérance, les Antilles, Panama, puis retour dans le Pacifique… Six années de découverte et d’aventures qu’ils partagent sur un blog.
Après quelque temps amarrés à Nouméa, l’appel du large se fait de nouveau entendre pour Cyril et Magalie, qui décident de remettre les voiles en 2018 sur un nouveau bateau, Black Lion. "Le confinement de la période Covid nous a propulsés, explique la maîtresse de bord. On a compris que les gens avaient besoin de s’évader et on a monté une chaîne Youtube [2]" où on peut vivre leurs aventures par procuration. Elle compte aujourd’hui près de 26 000 abonnés, "souvent des gens qui ont le rêve de partir ou des malades, ça les fait voyager", poursuit Magalie.
Comment choisissent-ils leur cap ? "C’est le vent qui nous dirige, on ne programme rien à l’avance. En mer, on vit au jour le jour", affirme Magalie. Pour leur second tour du monde, ils mettent cap sur le nord de la Calédonie, ils font d’ailleurs partie des derniers bateaux à pouvoir aborder les Chesterfield avant leur classement en réserve. Puis l’Australie, où ils assistent à une dramatique attaque mortelle de requin, ils sont ensuite poursuivis par des pirates au large du Mozambique et traversent des tempêtes où "on s’est vu mourir", se souvient Cyril. Alors que la planète est confinée pour cause de Covid, ils traversent cette période en profitant d’une liberté qui fait des jaloux. L’épidémie frappe alors qu’ils sont au Sri Lanka. Ils filent à Mayotte où "on a eu un super confinement", s’amuse le capitaine. Les deux marins poursuivent le récit de leurs aventures évoquant la côte des Squelettes de la Namibie, leur échouage aux Bahamas après "un orage monstrueux", l’hélitreuillage de Cyril pour un problème de santé, la peur de voir tout s’arrêter.
Rien qu’à écouter leurs récits, en voyant leurs yeux briller, on se prend nous-mêmes à rêver de tout abandonner pour hisser les voiles. Mais Cyril nous ramène vite sur terre : même s’il faut vivre ses rêves, la mer sait nous remettre à notre place et la vie de marin n’est pas facile. "En mer, tu dois savoir tout faire, réparer, anticiper, s’adapter et surtout, il faut être humble", insiste le marin.

Par leur expérience, ils souhaitent aussi témoigner des dégâts subis par notre planète. "En vingt ans, on a vu les effets du changement climatique. La pollution, les populations de poissons en baisse, les dauphins avec des ulcères, on ne voyait pas ça avant, détaillent-ils. On essaie aussi de sensibiliser à cette problématique." Alors, le lagon calédonien est-il vraiment le plus beau du monde ? "Il y a de très beaux endroits dans le monde, notamment à Mayotte, mais le lagon calédonien est en tout cas le mieux préservé", souligne Cyril. Ce Parisien d’origine, qui vient de passer le cap des 50 ans, avoue que "c’est de plus en plus dur, le stress, la fatigue, les éléments…" "On a plus peur qu’avant avec l’expérience", ajoute Magalie. Contre vents et marées, leur couple a tenu bon tout ce temps grâce à leur amour commun pour la mer. "Le monde du bateau est un révélateur, beaucoup de couples se séparent à cause de la mer, mais nous, nous avons fait un rêve ensemble."

Pour ceux qui hésitent encore à larguer les amarres, Cyril encourage : "Il faut partir avant qu’il soit trop tard, le plus tôt possible." "Et ne pas avoir peur de sortir de sa zone de confort", complète la Toulousaine, qui prévient : "La mer est un monde de menteurs et de machos, mais il ne faut pas se mentir, c’est une école d’humilité et de vérité. Il ne faut pas avoir peur de dire qu’on a eu peur, qu’on a craqué parfois, qu’on a pleuré…"
Pas de quoi cependant leur faire regretter leur choix. Les deux marins ne resteront pas longtemps dans leur port d’adoption. Bientôt ils remettront les voiles, "cette fois-ci pas de tour du monde, mais pour rejoindre notre fils en Afrique du Sud". De quoi alimenter en aventures leur chaîne Youtube et faire rêver les pauvres terriens coincés sur le plancher des vaches. Et leur donner envie de goûter à l’air salé de la liberté.