
Alors que le secteur associatif multiplie les "cris d’alarme" depuis le déclenchement des émeutes, deux études ont été menées en parallèle pour dresser un état des lieux de ce secteur sinistré, qui représente environ 5 % de l’emploi salarié privé en Nouvelle-Calédonie. Le premier travail a été porté par l’Isee (Institut de la statistique et des études économique) et s’est focalisé sur les 274 associations "employeuses" (dont 145 ont répondu aux questionnaires) pour la période mai-novembre 2024. La deuxième enquête sur les impacts de la crise insurrectionnelle, pilotée par las cabinets Alter conseil et T!lt, s’est penchée sur l’intégralité des acteurs en s’intéressant plus précisément à leurs difficultés et à leurs besoins.
Les conclusions de ces études, toutes deux financées par l’AFD (Agence française pour le développement), font état d’un secteur complètement sinistré, tant sur le plan financier que sur le plan humain, qui se traduit par des surcharges de travail de plus en plus marquées dans un contexte de crise du bénévolat.

Plus d’une association employeuse sur deux déclare avoir été gravement affectée par ces événements (impact sévère ou critique), tandis que 41 % signalent un effet modéré ou faible. Autrement dit, 97 % des acteurs interrogés par l’Isee ont été plus ou moins affectés par la crise insurrectionnelle. Les structures les plus durement touchées œuvrent majoritairement dans les domaines du spectacle et des activités artistiques, de l’action sociale, humanitaire et caritative.
Dans les premières semaines après les exactions, 79 % de ces associations ont dû interrompre et/ou réduire leurs activités, soit près de 200 structures. Les domaines de l’enseignement, du sport, de la culture, de la santé, des loisirs et de l’action sociale ont été les plus touchés par les interruptions et les arrêts d’activité qui ont concerné 90 % des associations.
Entre mars et novembre 2024, les associations "employeuses" ont dû composer avec une diminution de 30 % de leur budget prévisionnel, passant de 20,8 à 14,6 milliards de francs. Les domaines du spectacle et surtout des loisirs ont été particulièrement pénalisés, ayant respectivement reçu 60 % et 49 % des montants attendus. Les dotations des provinces et du gouvernement ont par exemple subi de lourdes diminutions. En effet, seuls 56 % des fonds provinciaux et 55 % des fonds gouvernementaux ont été versés aux associations. L’État, lui, leur a octroyé 82 % des montants prévus.

Sans surprise, fin 2024, le principal impact des émeutes est donc d’ordre financier pour les trois quarts des associations. Celles œuvrant dans le domaine des sports (95 %), des loisirs (85 %), de la culture (73 %) ou de la santé (70 %) ont dû annuler des évènements et suspendre ou reporter des projets.
Sur fond de crise économique, la moitié (52 %) des associations employeuses ont également été confrontées à des pertes de partenariats et donc de financements privés. Dans ce contexte, en novembre 2024, les associations font également état d’une perte estimée à 3,5 milliards de francs de ressources hors subventions, en grande partie due à une baisse de 56 % du mécénat.
Sans oublier que 22 % d’entre elles ont également été directement touchées dans leur logistique, à travers la destruction de tout ou partie de leurs locaux ou équipements commise lors des violences insurrectionnelles. Plus globalement, la seconde étude évalue quant à elle à 18 % la baisse globale des recettes dans l’ensemble du secteur l’an passé.
Selon l’étude portée par T!lt et Alter Conseil, le tissu associatif calédonien a perdu près de 2 milliards de francs de subventions annuelles entre 2019 et 2020 (année correspondant au début de la pandémie de Covid). Des financements qui n’ont plus augmenté depuis et auxquels s’ajoute un nouvel effondrement de l’ordre de 1,3 milliard en 2024, sachant que les baisses prévues en 2025 s’annoncent encore "pires". La crise ajoute donc de profondes difficultés à un secteur déjà "très tendu" avant les émeutes. Pour autant, les associations, qui réinjectent les subventions dans l’économie, n’ont globalement pas bénéficié d’aides, notamment des dispositifs de l’État comme le fonds de solidarité destiné aux entreprises.
Le secteur alerte depuis près d’un an sur la fuite marquée des bénévoles qui permettent de faire vivre les associations pour des raisons diverses : départs du pays, perte de motivation, précarisation du cadre familial, etc. Là encore, ce phénomène se vérifie, chiffres à l’appui, dans ces études.
L’Isee note qu’avant le 13-Mai, les associations employeuses mobilisaient 12 790 bénévoles, une donnée qui, six mois plus tard, avait déjà chuté de 940 individus, soit une baisse de 7,4 % des effectifs. Parmi les secteurs les plus touchés, l’action sociale et caritative où, paradoxalement, la demande de services a significativement augmenté (besoins d’aide alimentaire, psychologique ou médicale, etc.).

Du côté des salariés, les associations déclarent avoir perdu 260 emplois, soit une baisse de 8,6 % de leurs effectifs. Un phénomène particulièrement marqué dans le monde de la culture (-17 %). Sans oublier le recours accru au temps partiel qui concerne 20 à 27 % des postes.
La perte de bénévoles affecte par ailleurs l’ensemble du secteur. "Les associations ont constaté une forte diminution de leurs ressources humaines, qu’il s’agisse de bénévoles, de salariés ou de personnels en appui (services civiques, stagiaires, contrats aidés). Le recul du bénévolat, pourtant socle de l’engagement associatif, témoigne à la fois d’un épuisement généralisé et d’une forme de recul de l’engagement dans certains secteurs", note l’étude portée par T!lt et Alter Conseil. Dans ce contexte, de nombreuses structures alertent sur des "surcharges de travail" de plus en plus difficiles à gérer et 13 % des associations employeuses craignent leur "dissolution" dans un avenir proche.
Les deux études témoignent donc d’un effondrement des ressources, mais aussi d’un manque criant de reconnaissances des pouvoirs publics qui se conjugue avec la chute nette de la mobilisation des citoyens. Les structures s’inquiètent ainsi que ce climat favorise, à court et moyen terme, une rupture du lien social tout en aggravant les inégalités, déjà prégnantes avant les émeutes. C’est pourquoi le secteur demande notamment une "meilleure lisibilité" sur les financements publics à venir, une reconnaissance de l’utilité économique et sociale de ses actions ainsi qu’une implication dans les décisions publiques, notamment au sujet de la reconstruction du pays, sachant que le Collectif des associations n’a, par exemple, pas été convié au sommet de Paris sur l’avenir institutionnel.
"Ces deux études sont les seules réponses qu’on a apportées aujourd’hui à nos nombreux cris et alertes depuis un an. Ces données sont essentielles car elles vont être un précieux appui à faire valoir auprès des pouvoirs publics", estime Thibaut Bizien, au nom du Collectif des associations (CDA), dont les membres ne "décolèrent pas" face à l’absence de considération de leur travail, dont le rôle est sans doute encore plus important en temps de crise. "Depuis près de dix ans, bien avant les émeutes, il n’y a eu aucun portage politique sur les problèmes que l’on rencontre et que l’on dénonce. Notre colère est une bonne chose car quand les associations seront résignées, ce sera trop tard. Il n’y aura plus de solution. Aujourd’hui, nous sommes surchargés et en même temps nous subissons un manque de moyens et de considération. La résilience a ses limites."