
Edmond Papavoine est âgé de 29 ans lorsqu'il est condamné à vingt ans de travaux forcés par la cour d'assises de la Vendée, le 4 mai 1879, pour assassinat. Il a tué le mari de sa bien-aimée et tenté, avec l'aide de complices, de faire passer ce meurtre pour un suicide. La supercherie a vite été découverte et mon arrière-grand-père démasqué."

Henri Def connaît aujourd'hui l'histoire de sa famille grâce à sa femme Denise et sa cousine Rose-May Cuer, deux passionnées de généalogie, aidées dans leurs recherches par Louis-José Barbançon et les archives de Nouville.
Les classeurs sont nombreux et peu de questions n'y trouvent pas réponse. " Edmond est d'abord enfermé à la prison de La Roche-sur-Yon et une note du gardien chef dit qu'il tente de sen évader le 2 juin 1879, à 5h30 du matin, soit quelques jours après le rejet de son pourvoi en cassation.
Edmond arrive finalement le 12 mars 1880 à Nouméa, à bord du Tage. Trois ans plus tard, il est mis en concession sur un terrain en rive du Diahot à Ouégoa et, avec sa femme et ses enfants, il va développer un véritable petit empire, pourrions-nous dire.

" Comme certains transportés à l'époque, mon arrière-grand-père bénéficie d'un mariage "arrangé". Il épouse à Bourail, le 28 janvier 1885, Célestine Sidonie Gosse, une condamnée à la réclusion (six ans) pour incendies volontaires de récoltes et arrivée dans la colonie le 13 juillet 1884 à bord du Dupuy de Lome. Ensemble ils repartent à Ouégoa, où leurs huit enfants vont naître.
En 1894, Edmond loue 15 hectares de terrain supplémentaires. Leur concession est florissante, et l'administration établit des rapports très élogieux sur leur compte, les considérant comme une famille modèle : "Concessionnaire des plus actifs, s'est créé une situation presque indépendante et cela uniquement par son travail et sa bonne conduite. Bien secondé par sa femme dont la conduite na jamais donné lieu à aucune critique".
En 1894, malgré les intempéries et les sauterelles, ils font de très bonnes récoltes de maïs, de haricots et produisent beurre, lait et fromage, ce qui leur assure un revenu très convenable. La valeur de l'ensemble de la concession et des animaux est estimée à 10 175 francs, une fortune à l'époque! Ils possèdent une voiture à cheval, une voiture à bœufs, des chevaux et du bétail. Une situation très aisée pour ce couple parti de rien !

Célestine est libérée le 21 novembre 1888 et Edmond le 30 mai 1898. Mon arrière-grand-père demande alors la remise de sa résidence obligatoire et l'accès au statut de libéré définitif. Il l'obtiendra, mais beaucoup plus tard. En 1899, Célestine se voit refuser une demande de " commerce de liquides à consommer sur place ". Pourtant, elle travaille dur, les enfants aussi. Filles comme garçons, tout le monde est employé aux champs.
En 1904, les Papavoine déménagent. Edmond acquiert des terrains à Yahoué puis une propriété au Pont-des-Français. "
" Edmond avait vraiment à cœur de racheter sa faute et de devenir un honnête citoyen reconnu comme tel. Il s'est battu pour obtenir la remise de son obligation à résidence, mais c'était symbolique car à aucun moment il n'a souhaité repartir en Métropole. Il l'obtient le 23 novembre 1909.
En 1911, il vend la propriété du Pont-des-Français à son fils Edouard et, en 1915, il achète un terrain à la Montagne-Coupée. " Edmond décède en octobre 1918 à 68 ans, son épouse s'éteint en 1936. Sept de leurs huit enfants se marient à Nouméa ou dans les environs ; seul le dernier, Emile, va vivre en union libre avec Jeanne Cortot et n'aura pas d'enfant.
" Trois des fils de l'ancien bagnard partent pour le front lors de la Première Guerre mondiale. Nous l'ignorions jusqu'à peu, ce sont des informations de Sylvette Boubin-Boyer qui nous l'ont appris.

Edouard part dès avril 1915 par le Sontay, il est blessé à Barleux en 1916. Gustave Albert est mobilisé en 1916 et embarque l'année suivante pour Marseille. Et enfin, Isidore Jules débarque lui aussi à Marseille, et intègre le bataillon mixte des tirailleurs du Pacifique en mai 1917. Il est blessé à la main gauche et reçoit une croix de guerre avec étoile de bronze et une citation à l'ordre du bataillon: "Belle conduite au cours des combats de 1918, blessé le 25 octobre devant Vesles Caumont en servant sa pièce."
"Seul Edouard est marié, et père, avant de partir. En 1912, il a épousé Germaine Refay. Gustave Albert s'unit à Mathilde Pamart en 1921, il se déclare charpentier de marine.

Isidore Jules se marie avec Mathilde Jarossay en 1920. Jean-Noël Pinsat est le petit-fils de Jules, il se souvient de son grand-père : " Il était aussi dur que sa femme Mathilde était douce ! Après le départ des Américains, il a arrêté le taxi pour être mécanicien chez Meto rue de l'Alma. Il souffrait des poumons, il nous disait qu'il avait été gazé pendant la guerre. "

" Le registre des immatriculations conservé aux Archives de Nouville nous apprend que les trois frères vont avoir le même métier : la même année, en 1926, chacun achète la même voiture, une Donnet Zedel (10 CV). Emile le 20 mars 1926, Jules le 3 décembre et Edouard le 4 décembre. Et en 1946, ils sont encore trois frères à exercer la profession de voiturier de place. Edmond et Raymond, deux de leurs fils, vont reprendre le flambeau. "

" Mon arrière-grand-mère était une femme dure et courageuse. Ses filles l'ont été aussi. Séraphine, l'aînée, a épousé Antoine Deroche, un propriétaire domicilié à Saint-Louis. Avec sa canne, ma grand-tante menait tout le monde, mari comme employés ! Leur ferme faisait du lait et livrait les boucheries de Nouméa en viande. Je me souviens d'elle au volant de sa Fiat 600.

Sa sœur, Gabrielle, ma grand-mère paternelle, a épousé Henri Def, un maçon venu de France. Ensemble ils sont partis vivre à Thio mais vingt ans après son mariage, Gabrielle divorce. Elle quitte son mari et Thio et décide de vivre seule à Nouméa avec ses quatre enfants, Annaël, Marie-Louise, Arlette et Henri, mon père.

Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle exerce plusieurs métiers, infirmière puis blanchisseuse. Ils habitaient dans une maison vraiment modeste du Receiving. Lorsque j'étais enfant, nous allions la voir en fin de semaine et pendant les vacances. Je me souviens qu'à 82 ans elle binait toujours son jardin avec son chapeau de paille cloué sur la tête.

C'était une grand-mère sévère mais juste, et qui avait bon cœur. Sa cour ressemblait à la Spanc, elle recueillait tous les animaux blessés et malades du quartier. Une fois par an, nous devions avaler une cuillère d'huile de foie de morue, et pas question de refuser, sinon double ration ! Elle est décédée en 1978 à Nouméa, à l'âge de 87 ans. Une sacrée femme ! "

Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi 10 décembre 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
[2] https://atupnc.blogspot.com/
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