
Leilany Ipunesso a à peine trois ans lorsqu’elle tombe par hasard, à la télévision, sur un match de Serena Williams à l’Open d’Australie, alors que son père, ses oncles et son grand-père cherchent le match de foot qu’ils veulent regarder. C’est une révélation. "Quand j’ai vu ces images, j’ai dit : "Attendez !". Et j’ai regardé toute la rencontre. À partir de là, j’étais en mode : 'Papa, j’ai trop envie de faire du tennis'. Je voulais devenir comme elle. Du coup, ils n’ont pas regardé le foot." (Rires). Depuis, la même aspiration porte Leilany Ipunesso. Accéder à ce tournoi du Grand Chelem. Et devenir une des plus grandes joueuses mondiales de tennis.
Son père, quelque peu circonspect au départ, pense qu’il ne s’agit que d’une passade. Mais, contrairement à ce que croit Jean-Paul Ipunesso, sa fille ne lâche pas. Leilany tape ses premières balles à l’Olympique, à Sainte-Marie, sous la houlette d’Alain Chabrier. Aujourd’hui, quand elle revient en Nouvelle-Calédonie, c’est avec l’ancienne star locale de tennis Nickolas N’Godrela qu’elle pratique parfois. "Pour moi, le tennis n’était pas un sport pour nous, mais je me suis rendu compte que c’étaient des préjugés. C’était le rêve de ma fille, et mon rôle était de la pousser, l’accompagner." À seulement 4 ans, la petite fait déjà preuve d’une grande ténacité. "Une fois les entraînements finis, j’allais taper contre le mur pour progresser." Très vite, les coachs décèlent son potentiel. D’un cours par semaine, Leilany passe à deux, puis à trois, etc. Elle apprend vite et passe tout son temps au club. Sa première compétition, ce sera à 6 ans, à Bourail. "J’ai gagné un vélo bleu, je m’en souviendrais toujours."
La joueuse, originaire de Drehu par son père et de Houaïlou par sa mère, est repérée par Philippe Poignon, de la Ligue calédonienne de tennis. De stages en tournées sportives en Australie et à Fidji, grâce au soutien financier de la famille, de la Ligue et de la province des Îles, Leilany Ipunesso intègre, en 2015, l’académie Mouratoglou dans l’Hexagone, en Côte d’Azur. "J’étais trop contente, je voulais tellement partir." Un passage obligé pour accéder au haut niveau. À Nice, elle perfectionne son apprentissage, participe à des compétitions régionales, nationales et internationales. En 2018, la joueuse remporte notamment son premier tournoi national, Les Petits Ducs à Dijon, qui a vu passer des noms tels qu’Amélie Mauresmo, Richard Gasquet ou Gaël Monfils. L’année d’après, elle se rend aux Jeux du Pacifique à Apia avec l’équipe calédonienne. En 2022, Leilany obtient son bac et une bourse pour l’Université WCU en Caroline du Nord, aux États-Unis.

L’année 2023 marque un tournant, avec une première inscription à un tournoi professionnel à Brisbane, en Australie. Le problème, c’est que la sportive ne peut à la fois poursuivre son parcours à l’université et assurer des compétitions dans le circuit pro. Elle arrête alors la fac pour se consacrer à sa carrière. Leilany Ipunesso revient sur le territoire. Elle doit trouver de quoi financer les tournois, qui coûtent cher. Et elle a besoin d’un cadre pour s’améliorer. "Ici, c’est compliqué de s’entraîner à un haut niveau. Il me fallait un coach." C’est chose faite quelques mois plus tard. Leilany rencontre Gilles De Gouy à la Ligue, au Ouen Toro. "On a joué ensemble et il m’a dit, 'Moi, je veux bien t’aider. Je suis sûre que tu peux devenir pro.' Il a déjà coaché une Russe, Elena Bovina, qui a été 14e mondiale."
Ensemble, ils établissent un programme sur quatre ans, qui doit faire passer la Calédonienne de la 1133e place mondiale au top 100. En 2024, les émeutes chamboulent son projet de repartir. "Je ne pouvais pas jouer au début, les clubs étaient fermés. Mais, je courrais pour garder ma condition physique." En octobre, Leilany s’envole enfin pour la Nouvelle-Zélande, où réside son coach – qui vient de s’installer en Thaïlande. Elle remporte la Caro Bowl 2024 (tournoi interclub à Auckland) ainsi que le Auckland Championship en simple et en double. C’est là qu’elle décroche son premier sponsor pour deux ans, Solinco (marque spécialisée dans le cordage, NDLR). Une fierté. Leilany enchaîne avec l’Australie en début d’année, puis ce sera le Burundi, où elle obtient ses premiers points sur le circuit WTA, l’Égypte et la Tunisie. Sans prendre de repos. Son genou fini par la lâcher. "J’étais à fond. Même quand je n’avais pas de match, je continuais à m’entraîner tous les jours, du matin jusqu’au soir." De retour sur le Caillou, entre les séances de kiné, Leilany et son père arpentent les rues de la ville à la recherche de sponsors, "frappent aux portes des entreprises". La joueuse a besoin de fonds pour s’installer en Thaïlande, près de son coach. "C’est difficile, il y a la crise, mais il y a quand même des sociétés qui ont confiance. Et puis, une jeune qui veut s’en sortir par le travail, cela donne de l’espoir", déclare Jean-Paul Ipunesso.

Cette détermination sans faille s’est façonnée au fil des années, au travers d’expériences parfois douloureuses. À ses débuts dans l’Hexagone, où la jeune fille débarque seule à l’âge de 11 ans dans un univers inconnu à Mouratoglou, l’accueil n’est pas toujours chaleureux. "Ma copine de chambre m’avait découpé mes vêtements, déchiré mon passeport. J’ai vécu des choses difficiles." Comme s’entendre traiter de "sale noire", raconte son père. "Bien sûr, il y a toujours du racisme un peu partout. C’était une académie de personnes aisées, tu ne voyais pas forcément des gens de ma couleur", ajoute Leilany. Ce vécu "forge le mental". Tout comme voir ses proches passer par des moments compliqués, ce qui la motive d’autant plus. "C’est la galère un peu pour tout le monde, alors ça me donne encore plus envie, et je me dis, 'purée, vivement que je sois à l’Open Australie, comme ça je pourrais m’occuper d’eux après'." Son ambition, sa principale qualité. "Elle est acharnée, elle sait où elle va et n’abandonne pas", témoigne son père, admiratif. Jean-Paul Ipunesso a profondément foi en sa fille. "Je l’encourage, je suis convaincu qu’elle peut arriver à l’Open d’Australie. Je vais tout faire pour elle, qu’elle soit un exemple pour la jeunesse, elle se bat pour ça."