
Je crois d’abord que Bougival ne peut pas être analysé séparément des séquences précédentes, notamment celles de février, mars et mai 2025, qui ont chaque fois donné lieu à des négociations intensives.
Je crois aussi que ces dix jours à Bougival étaient en quelque sorte la réunion de la dernière chance car, à défaut d’accord, le décret de convocation des électeurs pour les provinciales de novembre 2025 aurait dû être pris par le gouvernement. Une dernière chance que, je crois, toutes les délégations ont ressenti avec acuité étant donné le chaos politique, économique, social et sanitaire qui aurait résulté d’un non-accord.
Enfin, il y a la méthode Valls. Un investissement hors norme sur la durée qui témoigne d’abord de son attachement au pays, qui témoigne aussi que le règlement des sujets calédoniens nécessite des hommes politiques d’envergure, à l’instar de Michel Rocard en 1988 ou de Lionel Jospin en 1998.
Nous avons toujours défendu l’idée de faire le pays les uns avec les autres, et non pas les uns contre les autres. C’est pourquoi, de longue date, nous considérons qu’un accord devait se construire en prenant en compte les aspirations à la souveraineté externe, exprimées par les indépendantistes, par exemple par le transfert de la compétence en matière de relations internationales ou la capacité du pays à s’autoorganiser via l’adoption d’une loi fondamentale, sorte de constitution locale.
Dans un même temps, il est nécessaire de répondre au besoin de protection de la France attendu par les non-indépendantistes, particulièrement en ce qui concerne les compétences régaliennes qui doivent continuer à être exercées de manière impartiale, ainsi qu’en ce qui concerne le maintien de la nationalité française.
C’est cet équilibre que nous avons collectivement construit lors des négociations à Bougival. C’est cet équilibre que nous avions proposé en janvier 2024 après des négociations avec les indépendantistes dans le cadre de nos "propositions de convergences entre Calédoniens pour un grand accord". C’est cet équilibre qui avait été construit par nos anciens, dans d’autres contextes, lors des accords de Matignon et de Nouméa.
Notre regret, c’est le caractère indigent du volet économique et financier de l’accord. Nos demandes sont claires et ne sont pas satisfaites. Les 170 milliards d’emprunt effectués par la Nouvelle-Calédonie pour affronter les crises Covid et insurrectionnelle ne sont pas effacés et le financement des investissements structurants sur lesquels l’État s’est officiellement engagé n’est pas du tout garanti.
Il s’agit pour l’engagement présidentiel de la construction d’une unité de production d’énergie électrique décarbonée pour notre industrie métallurgique d’un montant estimé entre 2,5 et 4 milliards d’euros [entre 300 et 480 milliards de francs, NDLR] et, pour l’engagement ministériel, de la construction du nouveau centre pénitentiaire de 600 places d’un montant de 500 millions d’euros [60 milliards CFP, NDLR].
Ces sujets, essentiels, constituent l’angle mort de l’accord de Bougival. Nous le regrettons d’autant plus fort que la République sait être au chevet de ses collectivités ultramarines lorsqu’elles sont sinistrées. Je pense notamment à la loi pour la refondation de Mayotte, qui vient d’être adoptée par le Parlement, et qui prévoit 4,3 milliards d’euros [513 milliards de francs, NDLR] d’aides financières pendant les six prochaines années. Pour autant, le combat sur ces enjeux n’est pas terminé.
Personne n’a écarté personne. Chaque formation politique a pu faire des bilatérales avec qui elle voulait, et quand elle voulait, tout au long de ces dix jours. C’est ça aussi la méthode Valls, laisser de la souplesse au process de négociation, à la fois en ce qui concerne les formats et les sujets.
En l’espèce, après une première réunion sous la présidence du ministre, les Loyalistes ont souhaité avoir des discussions en vase clos avec les indépendantistes. Il n’y avait aucune raison de s’y opposer ni pour l’État, ni pour nous, si ça favorisait l’émergence d’un consensus, d’autant plus que ce sont ces formations qui portaient les positions les plus radicales. Ça a duré exactement en tout et pour tout une journée, avant que ces échanges n’achoppent, et que reprennent les réunions plénières.

Je ne pense pas hélas. Nous avions proposé que soit instaurée une période de dix à quinze ans de stabilisation avant de permettre l’éventuel transfert des compétences régaliennes. Notre pays en aurait eu besoin pour se reconstruire économiquement et socialement, sans que des enjeux politiques importants ne viennent perturber ce redressement.
Nous avions aussi proposé qu’un référendum d’autodétermination soit organisé au terme de cette période de stabilisation, soit sur la base d’un projet adopté à la majorité des trois cinquièmes du Congrès, soit, à défaut, la dernière année du dernier mandat, entre un État associé et une Calédonie dans la France. Cette proposition n’a pas été retenue.
Au bout du compte, nous serons contraints probablement d’affronter des consultations d’autodétermination découpées en tranches, puisque chaque transfert de compétence régalienne, après avoir été demandé à la majorité de 36 membres du Congrès et fait l’objet d’un rapport conjoint avec l’État, devra être soumis à l’approbation des Calédoniens. On risque donc de se retrouver, lors de chaque campagne pour les élections provinciales, avec la question du transfert ou pas, pendant le mandat à venir, de telle ou telle compétence régalienne. En conséquence, les débats risquent de se polariser tous les cinq ans, entre indépendantistes et non indépendantistes sur ce sujet.
Comme le souligne l’accord, la Nouvelle Calédonie est engagée "dans un processus de décolonisation progressif fondé sur l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple calédonien". Ce processus se poursuit. Il sera arrivé à son terme lorsque la Nouvelle-Calédonie sera retirée de la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, ce qui n’est pas le cas au terme de l’accord de Bougival. Le sujet a d’ailleurs été explicitement abordé lors des discussions et chaque délégation en a pris acte.

Nous avons réussi à bâtir ensemble un pays jusqu’à l’ouverture de la séquence référendaire en 2018 qui a opposé les Calédoniens en les rangeant dans des camps, et contribué à détricoter les fils du destin commun que nous avions noués trente ans durant. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avions proposé, après la première consultation, de construire un référendum de projet rassemblant les Calédoniens au lieu de subir deux nouveaux référendums binaires qui ont été désastreux pour le vivre ensemble, et qui nous ont conduits aux événements du 13-Mai.
L’accord nous appelle à "inscrire le destin commun comme horizon de la société calédonienne". C’est le challenge que le peuple calédonien devra désormais s’atteler à relever.
Nous n’en savons rien. Les dernières élections législatives, alors que le corps électoral était totalement ouvert, ont conduit les indépendantistes à obtenir, au second tour, 10 000 voix de plus que les non-indépendantistes, avec un taux de participation de 71 %, ce qui est très élevé. Je crois qu’en conséquence, sur ce sujet-là plus que jamais, nous devons faire preuve d’humilité.
Quant à la correction effectuée sur les sièges du Congrès attribués aux provinces, elle était nécessaire afin de prendre en compte le fait que la province Sud rassemble aujourd’hui 75 % de la population du pays.
Le projet paraît flou et ambigu à la population du pays parce qu’il n’a pas encore été expliqué. Il faut en faire la pédagogie. Nous avons tenu d’ailleurs ce samedi, à l’université, une première réunion d’information citoyenne. Une campagne commune avec les autres formations politiques nous semble nécessaire une fois que les différentes organisations auront validé l’accord. Plus notre message sera commun, plus les Calédoniens sont susceptibles d’y adhérer.
Le nickel était un des points importants de ce compromis. Quels sont les engagements pris par l’Était pour relancer le secteur ?
Aucun engagement véritable n’est pris par l’État. C’est plutôt un catalogue de déclarations d’intentions. Nous, nous souhaitons que l’État s’engage de manière formelle à soutenir financièrement la SLN et l’usine du Sud, comme cela a été le cas ces deux dernières années, tant que des repreneurs n’ont pas été identifiés.
Ce n’est pas une demande exorbitante, dans la mesure où la responsabilité de l’État est engagée dans la situation de la SLN, l’État étant actionnaire à hauteur de 27 % d’Eramet. Il en est de même en ce qui concerne l’usine du Sud, puisque l’État avait parrainé la reprise par Trafigura, que nous avions dénoncée à l’époque, et qui s’est soldée par un échec retentissant.
L’avenir de la filière passe avant tout par un partenariat stratégique avec Bruxelles afin que l’approvisionnement en nickel calédonien de l’industrie européenne soit intégré dans le cadre de la stratégie de souveraineté en ce qui concerne les matières premières critiques développées par l’UE. C’est ce que nous avions proposé au Congrès et à l’État l’année dernière en lieu et place du feu "pacte nickel".