
Autour de la table, trois générations et dix descendants sont réunis. Chacun a trouvé, vu, lu ou entendu quelque chose sur cet ancêtre commun et ses enfants. Parmi une vingtaine de photographies anciennes étalées devant nous, l'une d'elles est plus jaunie et plus abîmée que les autres. Un homme grand, en uniforme, se tient au centre du cliché. " C'est Louis Georges Pascal, notre aïeul. Notre père nous disait qu'il avait été militaire dans l'escadron des Cent Gardes, la garde rapprochée de l'impératrice Eugénie. " Maryannick et ses frères Eric, Jean-Yves et Guy sont fiers de cet arrière-grand-père qui portait beau. " Il fallait être un cavalier émérite et grand, lui mesurait 1m91, un géant pour l'époque. "

" Louis Georges naît à Paris en février 1848. Il a tout juste 17 ans lorsqu'il est incorporé en 1865 comme engagé volontaire pour sept ans au 3e escadron du train des équipages à Paris. Ces régiments créés par Napoléon servent au soutien des armées. Il part rapidement servir en Algérie, entre 1865 et 1869. A son retour, il intègre le prestigieux escadron des Cent Gardes avant de rejoindre un régiment de cuirassiers. Il finit sa carrière comme maréchal des logis fourrier et quitte l'armée en février 1872. La même année, en septembre, il épouse à Paris Clémentine Louise Clouet, une lingère de 20 ans. L'acte de mariage stipule que Louis Georges est alors employé de commerce.

" En 1877, il est nommé surveillant militaire de troisième classe et embarque avec sa femme et ses deux premiers fils, Paul et Eugène Gaston, nés à Paris en 1874 et 1877, sur le Navarin, direction la Nouvelle-Calédonie. René, son troisième enfant, naît à l'ile Nou en 1879.
" À peine trois ans plus tard, il quitte l'administration pénitentiaire; apparemment, il ne se plaît pas dans ses fonctions. Il devient gendarme à cheval au Pont-des-Français. C'est là que Maurice, son dernier fils, naît en 1884.
Alors qu'il est en service, Louis Georges est victime d'une insolation et décède à l'hôpital, le 20 décembre 1885."
Clémentine, son épouse, se retrouve veuve avec quatre enfants. Dans le journal de l'époque qui relate le décès de son mari, une souscription est lancée auprès de la population pour lui venir en aide !


Maryannick poursuit : " Pierre, le frère de Louis Georges, qui avait une bonne situation et la Légion d'honneur, les fait revenir en France. Ils embarquent à Nouméa sur le Navarin en février 1886.
Une fois en France, les trois plus jeunes entrent en internat militaire, notamment aux enfants de troupe à Autun, tandis que Paul, l'aîné, travaille. Il est employé à différentes tâches, au commerce de grains, aux halles, où il avait la soupe gratuite, au théâtre pour changer les décors.

En 1904, Clémentine décide de repartir pour Nouméa avec trois de ses quatre fils. Paul, marié et père, s'installe à Aulnay-sous-Bois. Le reste de la famille Pascal embarque donc à bord du vapeur Nera. À leur arrivée, Clémentine et ses fils s'installent à la Vallée-du-Tir. Les trois frères prennent les emplois qui s'offrent à eux. Ils font les jardins à la Montagne-Coupée.

Eugène Gaston, notre grand-père, travaille chez M. Cheval en tant que gestionnaire jusqu'en 1911, date à laquelle il réussit le concours des douanes et se marie. "
Eugène Gaston épouse Octavie Lozach. " Le père de la mariée, Yves Lozach, un bagnard, est arrivé par le même bateau que notre arrière-grand-père ! Eugène Gaston, en tant que douanier, est chargé d'inspecter les bateaux partout sur la Grande Terre. Ils n'ont pas d'enfants tout de suite mais élèvent une nièce d'Octavie devenue orpheline, Léonce, née en 1910. Bien plus tard, en 1924, naît notre père, Guy. Un jour, ils se rendent en vacances en France où ils restent presque un an. À leur retour, notre grand-père est malade, les médecins diagnostiquent la lèpre.
Il est envoyé à Ducos, jusqu'à ce que d'autres médecins, deux ans plus tard, découvrent qu'il s'agissait en fait d'une phlébite. Eugène est amputé de la jambe et mis d'office à la retraite. Il fait un procès contre l'administration qu'il perd à Nouméa. Il porte alors l'affaire devant le Conseil d’État en Métropole.
La famille repart donc en France en 1935, sans Léonce. Nouvel échec judiciaire pour Eugène qui ne reverra jamais la Calédonie. Il meurt en France, à Aulnay-sous-Bois, en 1937. L'année suivante, Octavie et son fils retournent à Nouméa. Elle va travailler comme lingère à l'hôpital jusqu'à plus de 70 ans. "
René, le troisième fils du surveillant, épouse lui aussi une fille de forçat, Laure Debuire, en 1913. Les parents de la mariée sont concessionnaires à Boghen. Sur l'acte de mariage, il est déclaré comme employé de commerce. Ensemble ils ont huit enfants, dont Jeanne, devenue Mme Trouillet, et Berthe, devenue Mme Ulm.
Marie-Thérèse Durand, la fille de Berthe, et son frère Jacky Ulm, le fameux champion de vélo, se souviennent de leur grand-père et de ce que l'on disait de lui. " C'était un homme costaud et sévère. Il paraît qu'il a été gardien du vélodrome, et qu'il allumait l'éclairage public de l'Anse-Vata et de la Baie-des-Citrons. "
Maurice, le dernier fils du surveillant, devient policier. Blessé sur le front de 14-18, il sert en Indochine où il se marie mais sa femme décède. De passage à Nouméa, il rencontre la sœur de la femme de son frère, Pauline Catherine Debuire, qu'il épouse en 1920. La famille Pascal a peu d'informations sur ce grand-oncle. " Les jeunes mariés repartent en Indochine puis vont ensuite au Maroc.
Ils ont deux enfants, Paul et Maurice, lequel devient policier comme son père. Maurice décède à Casablanca le 6 septembre 1932. " Marie-Thérèse conserve dans ses archives le faire-part de décès de sa grand-tante Pauline qui s'éteint en 1984, à 91 ans, à Pamiers dans le sud-ouest de la France.
Autour de la table, les trois générations et dix descendants ont mis en commun leurs souvenirs et chacun a appris des autres. De témoignage en témoignage, l'histoire de la famille Pascal se retisse, autant que les liens entre ces cousins qui ne se connaissaient pas il y a encore quelque temps.

Guy Pascal est un autodidacte qui a commencé sa carrière à Radio Nouméa. Georgette Bouyé, son épouse, se souvient : " À l'époque ils étaient trois avec Raymond Lacroix et la secrétaire, mademoiselle Charbonneaux. Ils prenaient les informations en morse ou en sténo parfois. Puis il fallait les taper à la machine en neuf exemplaires.
Une équipe était chargée de les distribuer.
Chacun repartait avec son tas de feuilles pour les faire valider par les différentes administrations.
Guy a interviewé Jacques Soustelle, ministre de l'Information puis chargé des Dom-Tom venu annoncer dans les années 60 la création de la télévision, puis il est devenu le premier présentateur calédonien. Il n'a plus quitté ce poste jusqu'à sa retraite en 1983. Dans la famille, ceux qui n'avaient pas la télévision allaient devant les vitrines de chez Ballande pour écouter ! "
Guy Pascal a été la voix et le visage de la télévision calédonienne pendant près de vingt ans, mais il a été davantage que cela. À son décès, en 2009, Wallès Kotra, directeur du réseau Première et de France Ô de l'époque, a publié une tribune dans Les Nouvelles calédoniennes lui rendant hommage : " C'était un homme qui aimait son pays. Sa culture classique était complétée par une profonde connaissance de l'histoire calédonienne [...] J'ai eu la chance d'avoir un Guy Pascal pour m'accueillir et m'accompagner comme il l'a fait sans doute pour d'autres. Il n'était pas du genre à donner des leçons ou à faire des effets de manche mais il avait une pratique et une éthique qui nous ont inspirés et que les jeunes journalistes calédoniens devraient méditer. "

L'Indépendant du 22 décembre 1885 :
" La brigade de gendarmerie de Pont-des-Français vient de perdre un de ses fidèles serviteurs. Le gendarme Pascal, ayant quinze ans de service, père de famille, laissant une veuve et quatre enfants, dont le plus âgé a 12 ans, a été enlevé par une insolation. La famille de ce malheureux est dans un dénuement complet et elle est d'autant plus digne d'intérêt que le père n'avait pas encore droit à sa retraite.
Un appel à la générosité du public a été tenté par des voisins. Une première souscription a recueilli hier la somme de 362 francs. Les offrandes sont reçues au bureau du journal. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 12 novembre 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
[2] https://atupnc.blogspot.com/
[3] https://www.lnc.nc/user/password
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[5] https://www.lnc.nc/formulaire/contact?destinataire=abonnements