
La plus haute juridiction de l’ONU a établi à l’unanimité dans cet avis, initialement demandé par des étudiants du Vanuatu [1], une interprétation juridique du droit international sur le climat. Les législateurs, avocats et juges du monde entier peuvent désormais s’en saisir pour changer les lois ou attaquer en justice les États pour leur inaction. "Il s’agit d’une victoire pour notre planète, pour la justice climatique et pour la capacité des jeunes à faire bouger les choses", a réagi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un communiqué.
Radieux, le ministre du Climat du Vanuatu, Ralph Regenvanu, a confié sa surprise de voir "tant de choses inattendues" dans les conclusions des juges. "Nous utiliserons évidemment ces arguments dans nos discussions avec les pays qui émettent le plus" de gaz à effet de serre, prévient-il.
La France a salué une "décision historique" et une "victoire pour le climat", par la voix de sa ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Parmi les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, les États-Unis du très climatosceptique Donald Trump ont été les premiers à réagir, dans une déclaration certes lapidaire. "Les États-Unis examineront l’avis consultatif de la Cour dans les jours et les semaines à venir", a fait savoir le département d’État.
La dégradation du climat, causée par les émissions de CO2, est une "menace urgente et existentielle", a déclaré le juge Yuji Iwasawa, président de la Cour, lors d’une lecture solennelle de deux heures.
La Cour a rejeté l’idée défendue par les grands pays pollueurs selon laquelle les traités climatiques existants – et notamment le processus de négociation des COP annuelles – étaient suffisants. Les États ont "des obligations strictes de protéger le système climatique", arguent les juges. En accord avec les petits pays insulaires, la Cour internationale confirme que le climat doit être "protégé pour les générations présentes et futures" – alors que les pays pollueurs refusaient absolument de reconnaître les droits d’individus pas encore nés.
La partie la plus conséquente de l’avis, qui suscitera le plus de résistance chez les pays riches, découle de ces obligations : les compensations dues aux pays ravagés par le climat. "Les conséquences juridiques résultant de la commission d’un fait internationalement illicite peuvent inclure la réparation intégrale du préjudice subi par les États lésés sous forme de restitution, de compensation et de satisfaction", estiment les 15 juges du tribunal.
Mais la Cour place la barre haut : un lien de causalité direct et certain doit être établi "entre le fait illicite et le préjudice", certes difficile à établir mais "pas impossible" pour autant, écrivent-ils. Il s’agit du cinquième avis unanime de la Cour en 80 ans, selon l’ONU. L’Assemblée générale des Nations unies avait voté pour le demander.
Pour l’étudiant fidjien qui a mené la campagne depuis 2019, le jour restera mémorable. "Quelle fin parfaite pour une campagne qui a débuté dans une salle de cours", déclare Vishal Prasad, présent à La Haye, où siège la haute juridiction. "Nous avons désormais un outil très, très puissant pour demander des comptes aux dirigeants. La Cour a donné tout ce qui était possible."
Parmi les réactions, celle de l’ancien émissaire américain pour le climat de Joe Biden, John Kerry, regrette qu’il faille "le poids du droit international pour inciter les pays à faire ce qui est profondément dans leur intérêt économique".
S’il est improbable que les États-Unis changent de voie sur le pétrole et les énergies fossiles, cet avis sera certainement "testé" devant les tribunaux du pays, prédit le professeur à l’école de droit du Vermont, Pat Parenteau. "Cela ne réussira pas avec la Cour suprême actuelle, mais ce n’est pas permanent."
Le Vanuatu, du reste, prévoit déjà la prochaine étape : demander à l’Assemblée générale de l’ONU de faire appliquer l’avis de la Cour.