
"Pierre Péré voit le jour à Rébénacq dans les Pyrénées-Atlantiques, le 13 février 1824. Il est le fils de Jean Péré, tisserand, et de Marie-Anne Placet, une jeune fille du bourg voisin. Pierre a une sœur cadette née deux ans après lui. Il sait lire et écrire, sans doute grâce à son grand-père instituteur, et exerce le métier de doreur sur métaux. Il est marié à Jeanne Laurency, née dans le Doubs en 1835. Sur l'acte de naissance de son épouse, il est inscrit que ses parents sont sans domicile fixe, demeurant " roule le monde ", une expression désignant les ambulants : son père est équilibriste et sa mère danseuse. Jeanne et Pierre ont deux enfants, Marcel, né le 21 juillet 1853 en Saône-et-Loire, et François, né en Côte-d'Or le 6 septembre 1856. "

Microfilm après microfilm, mois après mois, Rosemonde Jarossay a minutieusement retissé les fils de la vie de cet aïeul. Comme dans de nombreuses familles, ceux-ci s'entrecroisent avec ceux d'autres lignées au parcours similaire. Mais chaque histoire est singulière et celle de la famille Péré n'a pas été facile à ses débuts.
" Le 8 avril 1868, la cour d'assises de Périgueux condamne Pierre à quinze ans de travaux forcés pour vols qualifiés. Il lui est reproché d'avoir, dans divers lieux, soustrait frauduleusement une certaine quantité de marchandises. Arrêtée en même temps que son mari, Jeanne est condamnée à huit ans de réclusion pour complicité. Elle est envoyée dans la maison de force de Cadillac, en Gironde, tandis que Pierre est envoyé au bagne de Toulon puis embarqué sur l'Alceste direction la Nouvelle-Calédonie où il arrive le 16 septembre 1869.
Les deux enfants, alors âgés de 14 et 11 ans et restés seuls à Périgueux, ont été recueillis par des voisins. Ils signent tous les deux, le 23 mai 1869, une lettre écrite à l'impératrice Eugénie :
"Nous ne réclamons pas de Votre Majesté grâce pour nos parents, mais seulement de nous expatrier avec notre mère, qui subit sa peine à Cadillac, en Nouvelle-Calédonie où notre père doit être envoyé. Quoique jeunes, nous sommes assez forts pour travailler et gagner notre vie." De son côté, Jeanne écrit à maintes reprises au ministre des Colonies afin de pouvoir purger sa peine aux côtés de son mari, avec ses enfants.
" Le courage et la persévérance de cette Franc-Comtoise ont été récompensés. Jeanne vient enfin rejoindre son époux en Nouvelle-Calédonie. Elle embarque avec leur fils aîné Marcel sur le Cher et arrive à Nouméa le 20 février 1873. François, leur cadet, les rejoint quelques mois plus tard avec le Rhin.
Lorsque sa famille arrive, Pierre est mis en concession sur un lot rural de la section de l'usine puis de la Pouéo. Il en obtiendra le titre définitif en 1888. Travailleur, l'ancien forçat développe ses cultures et son exploitation.
Il participe à la première foire agricole de Bourail en 1877, où il est primé six fois, remportant quatre premiers prix: cultures (cannes à sucre, maïs, haricots, pommes de terre), animaux reproducteurs et de boucherie. Espèce porcine et animaux de basse-cour. Lots de volaille.
" Leur fils François travaille un temps à Nouméa comme boulanger chez M. Kremer avant de venir vivre auprès de ses parents. Il rencontre une Mélanésienne, Victorine Coumala (ou Coumoula), avec qui il a une fille, Honorine, en 1875. En novembre 1878, alors qu'il participe " au nom de la France " à la répression de l'insurrection kanak, il est tué à Poya, près de la station Houdaille.
" Marcel, le fils aîné, se marie en 1881 à Bourail à Hortense Danis, originaire du Gard où elle est née en 1863. Trois enfants naissent de leur union : Jules en 1882 qui décède en bas âge, Marceline en 1883 et François en 1886. Marcel est alors maître d'hôtel et gargotier à Nouméa. Puis il part avec sa famille s'installer à Thio où il décède de maladie, le 15 juin 1888, à 35 ans.

Jeanne, l'épouse du concessionnaire, sans doute affaiblie par les privations et la perte de ses deux fils, décède à son tour le 8 juin 1889 à Bourail.
" Pour Pierre, une nouvelle page se tourne. Il vend sa propriété et vient finir sa vie à Nouméa où il meurt le 13 août 1905 chez les Petites Sœurs des pauvres, après avoir été libéré en 1880 puis réhabilité en 1903.
" Honorine, la fille unique de François Péré, n'a pas 18 ans lorsqu'elle épouse Joseph Papon, en 1893, à Canala.
Originaire du Cantal, Joseph est mineur à la mine Boakaine.

Ils ont ensemble trois garçons : Edouard, Jules, et René en 1901.

De sa seconde union avec Félix Tournier, mineur à Poro, Honorine a huit enfants : Marcelin dit Loulou, Honoré dit Colon, Marthe épouse Druminy, Félix dit Coco, Marcelle épouse Varin puis Rolland, Louise épouse Estieux et les jumelles Yvette et Carmen décédées en bas âge.



Marceline, sa cousine, fille de Marcel et Hortense, s'unit à Edouard Rousseau avec qui elle a quatre enfants : Marcel, Edouard, Denis, puis Clémence, épouse Jarossay. De sa seconde union avec Augustin Kabar naît Augustine dite
Tina, épouse Maurice Tessier.
François, le frère de Marceline, travaille jeune pour aider sa mère.
Il est tout d'abord pêcheur de trocas, puis il acquiert des bateaux et développe son activité professionnelle.

Il pêche avec des Mélanésiens de Houaïlou et de Canala dont il parle la langue. " Rosemonde Jarossay se souvient très bien de son grand-père: " À la suite d'un accident, il perd un bras mais reste très agile. Je le revois ouvrant des huîtres ou se baladant sur son vélo dont il avait fait scier le guidon.
Il s'unit à Mélanie Bouteiller avec qui il a trois enfants, Marcel, Odette, et Mireille épouse Rolland. Il devient exploitant minier à Boulari, Tontouta, Dumbéa et Houailou. Sa situation est florissante. En 1920, il achète et gère l'Hôtel de la République à l'angle des rues Foch et République à Nouméa. Commerçant-importateur dans la nouveauté et la parfumerie, il tient un magasin, la Maison Péré, au rez-de-chaussée de son habitation qu'il transforme dans les années 30 en salle des ventes.

Chaque semaine, une vente aux enchères est organisée par M° Savoie, commissaire-priseur. Divorcé, François se remarie le 15 juin 1930 avec Odette Langlois. Ils n'ont pas d'enfants. Seize ans plus tard, le 15 juillet 1946, François ouvre l'hôtel Calédonien à la 2e Vallée-du-Tir. Tous ses immeubles sont revendus vers 1954-1955.
Par son travail acharné, François, petit-fils de forçat, parti de rien, s'est hissé dans la société calédonienne.
À sa mort le 2 mai 1956, il avait acquis une certaine notoriété et une belle fortune. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 13 mai 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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