
C’est un sujet sensible sur lequel s’est penchée la Chambre territoriale des comptes (CTC) dans un rapport rendu public [1] le 7 août dans le Journal officiel. En réponse à une contribution déposée en 2023 sur sa plateforme des juridictions financières [2], où n’importe quel citoyen peut proposer des thèmes de contrôle et d’enquête, la CTC a passé au crible les comptes et la gestion des frais de déplacement des élus de la Nouvelle-Calédonie (congrès et gouvernement) et des trois provinces entre 2020 et 2024, mais aussi de ceux du personnel et des membres des institutions et des représentants coutumiers. Un sujet sensible car, dans la période de crise et d’austérité à laquelle sont confrontés les Calédoniens, ces dépenses peuvent parfois paraître indécentes pour le grand public.
Entre 2019 et 2024, la Chambre indique que les frais de déplacement du personnel et des élus de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, ainsi que de leurs collaborateurs, représentent 534 millions de francs par an, dont 120 millions pour les frais de mission et de déplacement des élus, des membres des institutions et des chefs coutumiers. Une somme qui a augmenté notamment après la crise sanitaire et qui s’est concentrée sur un nombre restreint de personnes, précise la CTC.
En 2022 et 2023, ces frais sont 16 % plus élevés qu’en 2019. À titre de comparaison, c’est cinq fois plus qu’en Polynésie française. Sur ces deux années, les frais de déplacement du Congrès et du gouvernement s’élèvent respectivement à 62 millions et 56 millions par an.

Les élus et les collaborateurs des provinces Nord et îles se sont principalement déplacés à l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie, tandis que pour ceux de la Nouvelle-Calédonie, les frais concernent des déplacements hors territoire dans 60 % des cas. Un taux qui monte à 96 % pour les élus de la province Sud. La CTC recommande par conséquent de privilégier l’utilisation de la visioconférence, notamment pour les réunions préparatoires ou à caractère technique.
Elle remarque par ailleurs que, entre 2020 et 2024, les déplacements, notamment ceux hors territoire, concernent un nombre restreint de personnes.
En moyenne, ces personnes ont effectué 2,8 déplacements sur la période, pour un coût moyen de 800 000 francs par voyage.
"Les citoyens attendent un effort particulier de maîtrise et de transparence de la part des élus, qui ont un devoir d’exemplarité en la matière, rappelle la Chambre. Ces dépenses doivent être justifiées au regard de l’intérêt général porté par la collectivité et doivent être limitées et documentées par des justificatifs et leur niveau doit être limité", poursuit-elle avant de proposer des pistes d’amélioration.
En s’inspirant des exemples de ce qui se pratique en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans l’Hexagone, elle recommande en premier lieu aux collectivités de "revoir les délibérations encadrant la prise en charge des frais de déplacement pour limiter l’usage de la classe affaires en avion et de mettre en place un système de remboursement des nuitées et des frais de repas sur justificatifs et plafonnés".
Concernant les déplacements hors territoire, la CTC recommande davantage de transparence en mettant en place par exemple une "obligation de rendre compte des résultats atteints pour chaque déplacement et en publiant régulièrement sur le site internet des collectivités des informations synthétiques sur le déroulé des déplacements et leurs coûts".
L’objet et la durée de certains déplacements peuvent parfois sembler peu cohérents en regard de l’intérêt général porté par la collectivité. Si la CTC ne remet pas en question l’importance que revêtent les déplacements à Paris dans le cadre des discussions institutionnelles ou dans les instances des Nations unies, elle met en avant que les frais concernant ces voyages ont représenté respectivement 19 % et 6,5 % des frais de déplacements des élus et collaborateurs entre 2021 et 2023. Elle estime ainsi que la Nouvelle-Calédonie et les provinces "doivent cesser de rembourser des frais qui ne correspondent pas à l’intérêt général qu’elles portent". Elle invite en outre à mettre en place une" charte de déontologie et un référent déontologue pour les agents et les élus".

La CTC émet ainsi six recommandations à mettre en œuvre d’ici à 2026 pour une meilleure maîtrise de ces frais et davantage de transparence.
En réponse à ces observations, le président du gouvernement indique que dès fin 2025, "une délibération modificative limitera l’utilisation de la classe affaires aux déplacements les plus longs, quelle que soit la qualité du voyageur, et mettra en place un système de remboursement des frais sur présentation de justificatifs et d’instaurer un plafond de prise en charge".
Le président de la province des Îles Loyauté a indiqué que trois délibérations ont été votées en mars, "redéfinissant les conditions de prise en charge des frais de transport et le remboursement des dépenses afférentes aux nuitées et aux repas des élus, des membres des institutions et des secrétariats généraux".
La présidente du Congrès appelle quant à elle à une réflexion commune avec les autres institutions et collectivités afin d’arriver rapidement à la définition d’un corpus juridique commun en matière de prise en charge des frais de déplacement. Veylma Falaeo ajoute que ces frais "font d’ores et déjà l’objet d’un suivi fin selon leur nature et les motifs des déplacements".
Quant à la province Sud, elle a fait part de sa prise en compte des recommandations émises par la CTC et la présentera lors de la prochaine assemblée, prévue le 11 septembre, pour y être débattue. Lors de la précédente assemblée, le 31 juillet, Sonia Backès, sa présidente, avait fait remarquer à la représentante du haussariat que les frais de déplacements pour les discussions institutionnelles n’étaient plus pris en charge par l’État depuis la fin des rencontres en format "Comité des signataires", en 2019, ce qui pesait sur les finances de la collectivité. Le haut-commissaire a confirmé que le principe était, pour l’État, de prendre en charge les frais de transport des participants aux comités qui étaient signataires de l’accord de Nouméa et n’avaient plus de mandat électif, sur la base de l’invitation officielle du Premier ministre.
Tous indiquent également leur volonté de privilégier la visioconférence. Des chartes de déontologie devraient également voir le jour au gouvernement et au Congrès.
Links
[1] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/77068
[2] https://www.ccomptes.fr/fr/actualites/plateforme-citoyenne-de-la-cour-et-des-chambres-regionales-et-terrioriales-des-comptes
[3] https://www.lnc.nc/user/password
[4] https://www.lnc.nc/user/register
[5] https://www.lnc.nc/formulaire/contact?destinataire=abonnements