
Jean dit Amédée Pinsat naît le 25 novembre 1839 à Lavaur, en Dordogne. Il est le fils de Jean et Magdelaine Pinsat, un couple d'agriculteurs. Amédée lui-même vit et cultive les terres sur la petite propriété familiale. C'est un homme travailleur bien que de caractère violent et emporté. Il est marié à Maria Françoise Fabre avec qui il a, pour l'instant, trois enfants : Jean dit Clovis né en 1873, Clotilde née en 1876 et Albin Joseph né en 1882. Les faits qui le mènent aux travaux forcés sont racontés avec force détails dans un article du journal Le Figaro du samedi 3 novembre 1883.
En résumé, les voici : un jeune homme, Camille Amblard, voulait épouser Louise Fabre, la sœur de la femme d'Amédée. Les jeunes gens étaient amoureux mais le père de Louise, un riche fermier du bourg du Passeroux, nourrissait d'autres projets pour elle et était opposé à cette union. Pendant deux ans, le vieux fermier tenta d'imposer son candidat à sa fille, en vain. Il se résolut donc au choix de celle-ci et le mariage fut fixé. La veille, Camille passa la soirée dans sa nouvelle famille où il dîna avec son futur beau-père et son futur beau-frère Amédée. Camille ne rentra jamais chez lui. Le lendemain, alors que tout le monde était prêt pour la noce, on le retrouva noyé dans le lac, à 25 mètres de la maison des Fabre.
Le bruit courut que le vieux fermier aurait promis 4 000 francs à son gendre s'il parvenait à empêcher le mariage, et que ce dernier s'apprêtait à quitter le pays en laissant à son voisin le soin de gérer son bien. "Son attitude après le crime, l'altération de son visage, l'embarras de son allure, tout l'accusait." Et c'est ainsi qu'Amédée fut arrêté et jugé. À l'audience, il s'est écrié : "Au nom du peuple français, je suis innocent." Après deux jours de débat, le jury le déclare coupable mais avec circonstances atténuantes, qui lui évitent la peine de mort. La cour d'assises de Périgueux le condamne, le 1er novembre 1883, à vingt ans de travaux forcés. À l'énoncé du verdict, sa femme, ses enfants et sa mère sanglotent, "une scène déchirante qui a vivement ému l'auditoire". "
Jean-Noël Pinsat est convaincu de l'innocence de son arrière-grand-père, mais 134 ans après, l'important n'est plus là. Ses recherches familiales et celles de Martial, son cousin, ont révélé les destins croisés d'autres condamnés, de colons libres ou d'immigrés. Ce mélange qui coule dans leurs veines, l'essence de l'histoire calédonienne, voilà l'important.
" Amédée est embarqué à Saint-Martin-de-Ré sur le Navarin et arrive dans la colonie le 2 octobre 1884. Il continue de clamer son innocence et sa famille est à l'affût de tout ce qui pourrait le disculper. Du camp de Païta où il séjourne, il apprend de ses proches qu'un nouveau témoignage pourrait l'innocenter et demande, par lettre du 16 janvier 1885, au procureur de la République de Périgueux, d'entendre ces nouveaux témoins, lesquels se rétractent finalement. Toute chance de voir le procès de son mari révisé évanouie, Maria demande à le rejoindre dès 1887 et en obtient l'autorisation en 1891. Elle prend le bateau accompagnée de leurs trois enfants.
Le 20 janvier 1892, Amédée est mis en concession à Bourail, sur le lot 26 de la route d'Ourail. Les commentaires de l'administration pénitentiaire font état d'un "excellent travailleur, caractère brusque. Boisson". Deux ans plus tard, Maria achète un lot proche du leur sur la même section afin qu'ils y installent leur habitation. Cette année-là, le 12 juin 1894, Amédée obtient une remise de peine de cinq ans. En 1896, un quatrième enfant agrandit la famille, Jean Louis Raymond.
Amédée est libéré le 29 décembre 1898 mais décède à Bourail seulement deux ans après, le 5 mai 1900, à l'âge de 60 ans.
" Hormis Clotilde qui décède à 20 ans en 1896 - et dont nous n'avions jamais entendu parler - les trois enfants d'Amédée font leur vie à Bourail, aujourd'hui encore le berceau d'une bonne partie de la famille Pinsat. "
L'aîné, Clovis, est stockman à Ouaco puis cultivateur à Boghen. En 1923, il épouse Léonie Langlois, de trente ans sa cadette, petite-fille du condamné Pierre Alexandre Langlois. Ils ont deux enfants, Adolphe et Paul. Clovis décède d'un coup de pied de cheval sur sa propriété le 24 octobre 1960.
Le 21 novembre 1907, Joseph, âgé de 25 ans, épouse Jeanne Marie Chiaberto, fille du condamné Claude Barthélémy Chiaberto.

L'année suivante naît Amédée (il porte le même prénom que son grand-père) puis suivent Angèle, Maurice, Eugénie (épouse Queneville), Isidorine, Auguste, Augustine (épouse Barthe), Victorine (épouse Roy), Alexandre, Jeanne et Lucien en 1930.







Joseph est lui aussi cultivateur : mais, café, canne à sucre, le travail ne manque pas. Alexandre et Lucien l'aident sur la propriété.

Jean-Noël a bien connu son grand-père : " J'attendais avec impatience les vacances pendant lesquelles nous quittions Nouméa pour Bourail. J'adorais retrouver Joseph. Tous les soirs, nous jouions à la belote. Je pêchais des crevettes et allais à la chasse à cheval avec mes oncles, Lucien et Alexandre. Ma grand-mère faisait la cuisine dans le four à bois, et mon grand-père y faisait le pain. A 85 ans, Jeanne Marie cuisinait toujours pour toute la famille, aidée de sa fille Angèle qui ne s'est pas mariée. "

Raymond, né en 1896, a un fils biologique, Henri, qu'il n'a pas reconnu, puis il va vivre avec Irma Revert veuve Langlois, la mère de Léonie et la fille du condamné Joseph Revert. Ils ont ensemble une fille, Raymonde. Raymond est un personnage haut en couleur. Guy Drayton, son petit-fils, se souvient très bien de lui : " Tout le monde le surnommait "Capounas" car c'était un des - nombreux - jurons qu'il prononçait souvent ! Il a exercé de nombreux métiers: chauffeur à la SCEA, pêcheur ou encore éleveur.
Raymond a fait les deux guerres. Blessé en 1918, il a reçu deux citations pour sa bravoure.
Pour moi aussi les vacances chez mon grand-père sont des souvenirs merveilleux. Dès que j'arrivais chez lui, je montais sur un cheval avec mon calibre 9 et c'était la liberté ! Plus tard, Raymond a loué des maisons à Ducos, il avait un carnet où il notait tous les loyers. Il avait une situation financière confortable mais avait la réputation d'être un peu avare; pourtant, je l'ai vu distribuer de la nourriture gratuitement à ses locataires dans le besoin. Il s'est éteint à Nouméa en 1986. "
Louis Raymond Pinsat est le troisième fils de Jean dit Amédée et le grand-père de Guy Drayton.
Il fait les deux guerres: il part par l'El Kantara le 10 novembre 1917, incorpore le Bataillon du Pacifique le 16 février 1918 puis le 43° bataillon sénégalais le 25 février 1918. Il est blessé le 20 août 1918 et revient à Nouméa le 17 juillet 1919.
Il reçoit deux citations :
• n°71 du 24 juillet 1918 :
" Fusilier mitrailleur qui, au cours des combats du 14 au 20 juillet 1918, a fait montre de beaucoup de courage et d'un grand sang-froid. "
• n°90 du 6 janvier 1919 :
" Brillante conduite au feu, en particulier a facilité la progression de sa section en s'acharnant seul contre une mitrailleuse ennemie qu'il a réduite au silence. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 29 avril 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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