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[SÉRIE] Louis Rabdeau, à la croisée des colonisations
LNC | Crée le 07.09.2025 à 10h00 | Mis à jour le 07.09.2025 à 10h00

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Louis Rabdeau, né le 16 décembre 1856 à Guérigny, décède le 9 décembre 1917 à Nouméa.
Cet ancien militaire aux états de service un peu chaotiques est envoyé à la Nouvelle après une tentative de vol. Quinze ans plus tard, Louis Rabdeau ne profite pas de la levée de son obligation à résidence pour quitter la colonie, mais s'y installe définitivement et s'unit à Louise Bourbon. Deux de leurs filles épousent deux immigrés japonais. La famille Rabdeau se retrouve à la croisée de la colonisation pénale et de celle du travail. Les descendants racontent dans ce 68e épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 4 mars 2017.

Quentin Antoine dit Louis Rabdeau naît le 16 décembre 1856 dans la Nièvre. Tourneur sur métaux, il s'engage à 21 ans dans l'armée où il intègre la compagnie d'ouvriers d'artillerie. Louis est visiblement une forte tête et la liste de ses punitions en service est longue à n'en plus finir : "s'endort pendant la garde, absent, en retard, fume dans les rangs, emporte son traversin en prison, se fait porter malade mais n'est pas reconnu comme tel par le médecin...". Le 11 août 1880, dans la nuit, il s'introduit dans l'arsenal avec une bougie afin d'y chaparder quelques outils qu'il avait préalablement mis de côté, mais il est pris, jugé puis condamné par le conseil de guerre de Bourges à dix ans de travaux forcés assortis de cinq ans de surveillance. " Cette histoire qui, aujourd'hui, peut prêter à sourire mais qui, à l'époque, a été durement réprimandée, est racontée par Andrée Vergé, l'arrière-petite-fille de Louis.


Andrée Vergé, Yvette Picou-Nawa, André Nakagawa et Serge Jarossay.

Autour de la table recouverte de classeurs, photos et autres anciens documents sont réunis Andrée, son père André Nakagawa et les cousins de celui-ci, Serge Jarossay et Yvette Nawa-Picou, laquelle, malgré ses 96 printemps et une surdité passagère qui la tracasse, n'a rien perdu de sa superbe ni de ses souvenirs de jeunesse.

Les jeunes fiancés souhaitent se marier avant qu'il n'embarque, mais le temps leur manque. Aussi demande-t-elle le droit de le rejoindre en Nouvelle-Calédonie. Cette demande est refusée. Louis et Marie ne se reverront jamais.

" Avant d'embarquer pour la Nouvelle-Calédonie, Louis Rabdeau est détenu à Saint-Martin-de-Ré. Nous avons retrouvé dans son dossier une série de correspondances entre l'administration, lui et Marie Chevrin. À la lecture de ces lettres, on comprend que Marie est sa fiancée et qu'elle a un enfant, Émile, né en 1875 de père inconnu mais dont elle dit qu'il "appartient" à Louis Rabdeau. Les jeunes fiancés souhaitent se marier avant qu'il n'embarque, mais le temps leur manque. Aussi demande-t-elle le droit de le rejoindre en Nouvelle-Calédonie. Cette demande est refusée. Louis et Marie ne se reverront jamais, pas plus que Louis ne reverra l'enfant dont nous avons toutes les raisons de penser qu'il s'agit de son fils. "

La nouvelle vie de l'ancien militaire

Louis Rabdeau arrive dans la colonie sur le Tage en juin 1881. Il est libéré le 6 octobre 1886 à la faveur d'une remise de peine de quatre ans mais subit une légère condamnation en 1890 pour détention illégale de dynamite et pêche à la dynamite.


Louis Rabdeau, né le 16 décembre 1856 à Guérigny, décède le 9 décembre 1917 à Nouméa.

" En 1895, il demande la remise de résidence perpétuelle à laquelle il est astreint. Dans un courrier du 22 septembre du gouverneur Feillet au ministre, il est écrit : "Les excellents renseignements fournis sur le compte du pétitionnaire, dont la conduite en cours de peine a été généralement bonne, ont amené les hauts fonctionnaires à se prononcer en faveur du recours en grâce dont il s'agit." Louis obtient donc la levée de son obligation de résidence en décembre 1895.

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En 1901, Louis a 45 ans. Il épouse Louise Ernestine Bourbon de vingt-quatre ans sa cadette. Louise est la fille de René Bourbon, concessionnaire à Néméara depuis 1876.


Louise Rabdeau à Nouville.

Le jeune couple est domicilié à Nouméa où vont naître ses quatre enfants : Flore-Rose, Brigitte, Maurice et Jeanne-Clothilde. Louis est mécanicien sur les bateaux de la SLN, tandis que son épouse devient infirmière.


Louise, l'épouse de l'ancien forçat, avec son personnel du service des indigènes à l'hôpital du Marais vers 1930. Crédit photo : collection Yvette Picou-Nawa.

"Louise est une forte femme, de caractère comme de corpulence. Un jour, agressée par un Tonkinois débarqué d'un convoi au dépôt des Asiatiques, elle prend un coup de couteau dans le dos. Elle a réussi à s'en remettre."


Maurice Rabdeau au côté de sa mère Louise en 1928. Il tient sa nièce Yvonne dans ses bras. Maurice reste célibataire et n'a pas de descendance. Cordonnier, il s'éteint en 1955. Crédit photo : collection Yvette Picou-Nawa.

En 1916, le couple divorce. Louis décède l'année suivante, tandis que Louise s'éteindra bien plus tard, à 85 ans.

La famille devient japonaise

Alors que Maurice et Jeanne-Clothilde, les deux derniers enfants de l'ancien forçat, vont rester célibataires, Flore-Rose et Brigitte vont toutes les deux épouser un Japonais.


Debout : Louise Rabdeau et sa fille Jeanne-Clothilde entourant le Dr Hashimoto. Assises : Flore-Rose et Brigitte portant chacune leur aîné. Jeanne-Clothilde décède en 1994 sans enfant. Flore-Rose a dix enfants avec Kiichiro Nawa. Louise est une des filles de Marie-Louise et René Edouard Bourbon, condamné à six ans de travaux forcés pour extorsion en 1874 et arrivé par le Var. Concessionnaire, il décède à 43 ans en 1886. Veuve, Marie-Louise se remarie avec M. Devillers. Crédit photo : collection Yvette Picou-Nawa.

Flore-Rose, l'aînée, fait de la couture et est employée rue Clemenceau. Yvette relate l'histoire de ses parents : "Ils se sont rencontrés dans cette rue, sur le chemin qui menait ma mère à son travail. Mon père allait au café de La Terrasse, siège du club des Japonais.


L'arrière du restaurant La Terrasse, siège du club des Japonais, sis rue Georges-Clemenceau, où se sont rencontrés Flore-Rose Rabdeau et Kiichiro Nawa. Crédit photo : Delphine Higashi.

Il était arrivé en 1900 à 22 ans pour travailler au Nickel. Il ne faisait partie d'aucun convoi, il est parti du Japon, de la localité de Gifu ken où il est né et est venu de son propre chef sur les conseils de son père. Après les mines, il s'établit comme commerçant à Thio, Yaté et Nouméa. Ils auront plus tard un petit café à l'angle des rues Verdun-Foch que, dès l'âge de 15 ans, j'allais ouvrir avec mon père à 4 heures."


Flore-Rose, son époux Kiichiro Nawa et leurs quatre aînés (Louis, Marie, Yvette, Jean) à Yaté.

Flore-Rose et Kiichiro Nawa se marient en 1918 et ont dix enfants : Louis, Yvette, Jean, Marie, Maurice, Rose, René, Odette, Raymonde, Michèle. Quelques années après son mariage, Kichiro est naturalisé Français. Jean, un de ses fils, né en 1922, s'engage dans les Forces navales françaises libres (FNFL) le 12 janvier 1942 pour la durée de la guerre. Jean a été matelot-timonier sur le Cap des Palmes puis à Nouméa. Louis, l'aîné de la fratrie, est lui aussi militaire, entre 1940 et 1944, mais il reste en Nouvelle-Calédonie.


Les quatre enfants de Brigitte et de Suehiko Nakagawa en 1930 : Yvonne Renée Tomyie (1921-1968), André Maurice Suehiko Nakagawa (né le 2 novembre 1924, marié à Georgette Sakumori), Paulette Fousae (1922-1949), Jeanne Louise Seiko (1923-1991).

Brigitte, la seconde fille de l'ancien forçat, est elle aussi couturière et rencontre son mari à Yaté, où Suehiko est charpentier pour le Nickel. En 1919, l'année de leur mariage, Brigitte a 17 ans, son futur époux 39. André est le dernier des quatre enfants du couple : "Mon père a fait tous les métiers ! Il était aux mines au départ, puis cultivateur, chauffeur de taxi, et même coiffeur ! Mes grands-parents n'ont pas vu d'un mauvais œil le mariage de leurs filles avec des Japonais. Ces derniers avaient de l'argent, étaient travailleurs, c'était plutôt des bons partis... avant la guerre."


En 1932, la famille Nakagawa habite le Quartier-Latin. Suehiko Nakagawa est chauffeur de taxi. Des enfants de Japonais se sont joints à ceux de Suehiko.

Mais contrairement au mari de Flore-Rose, Suehiko ne se fait pas naturaliser. En décembre 1941, alors qu'il est cuisinier à Goro, il est arrêté, comme le sont plus d'un millier de ses compatriotes nippons au lendemain de Pearl Harbor. André raconte : " Mon père a été envoyé à l'actuel Théâtre de l'ile. Il a été gardé là pendant plus d'un mois dans des conditions atroces, sous une surveillance militaire très stricte. Puis il a été embarqué sur le Cap des Palmes le 22 février 1942 direction l'Australie dans le camp de Hay puis celui de Loveday près de Sydney. Les prisonniers pouvaient y travailler et se faire un petit pécule, mon père a été affecté aux cuisines. Ils ont dû attendre 1946 pour être libérés. "


En avril 1984, André Nakagawa a été nommé consul honoraire du Japon, il était alors président de l'Amicale japonaise qu'il avait cofondée sept ans auparavant, en 1977. À ce titre, il a reçu en 1994 la distinction honorifique de l'Ordre du Trésor Sacré. Cette distinction récompense ceux qui œuvrent pour le renforcement des liens d'amitié entre leur pays et le Japon.

Suehiko Nakagawa fait partie des signataires d'une pétition réclamant le droit de revenir en Nouvelle-Calédonie, où beaucoup de prisonniers avaient leurs familles. Le refus de la France a été catégorique et ils ont été envoyés de force au Japon. " Originaire de Kumamoto, mon père a été hébergé par sa nièce installée à la campagne. Il n'est jamais revenu à Nouméa mais nous avons réussi à entretenir une correspondance. Lorsqu'un minéralier japonais arrivait ici, je courais au port afin de rencontrer le commandant et lui confier une lettre pour mon père, c'est ainsi que j'ai retrouvé sa trace. "

Note

Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2]. Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.

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