
"AIcide est né le 22 mai 1839 à Bois-de-Gand dans le Jura. Sa famille est instruite, ses parents, Denis Robelin et Jeanne Chavet, sont tous deux instituteurs. Alcide est sabotier de métier. En 1862, le 20 octobre, il épouse Clarisse Roux à Conliège. De leur mariage naissent trois enfants : Jean Auguste, décédé en bas âge, Marie Honorine Anna, née en 1865 et Constant Marius, né en 1870.

La vie de la famille bascule le 14 novembre 1869. Une tension existait entre Alcide et son beau-père, Augustin Roux. Un soir, Alcide, en état d'ivresse, va au domicile de celui-ci et le blesse mortellement avec un couteau. Il est alors ceinturé par des voisins en attendant l'arrivée des autorités aussitôt prévenues. " Monique et Yvon connaissent les détails de cet assassinat grâce à un article paru dans le journal de l'époque. Époque à laquelle, déjà, l'alcool rendait les hommes fous. Cette triste histoire est enfouie dans les mémoires; certains savaient, d'autres pas, mais tous se sont tus. Seules les archives ont parlé pour enfin révéler aux descendants l'histoire de leur lignée. Depuis, la famille Robelin se distingue par son ancrage à Bourail et par une passion agricole qui se transmet de génération en génération.
" La justice passe très vite puisque Alcide est condamné dès le 16 décembre 1869, par la cour d'assises de Lons-le-Saunier, aux travaux forcés à perpétuité sans pourvoi. Il arrive au bagne de Toulon le 9 janvier 1870 puis est embarqué sur le Rhin direction la Nouvelle-Calédonie où il pose pied le 6 janvier 1872.
" Clarisse, l'épouse d'Alcide, a tout de suite demandé l'autorisation de rejoindre, avec ses deux enfants, son mari transporté. Une demande qui lui est accordée.
Elle embarque donc avec Marie Honorine Anna et Constant Marius, en juillet 1873, à bord du Fénelon.
Le petit Constant, peut-être pressé de descendre du bateau, tombe à l'eau alors que le navire accoste; des transportés présents plongent pour le repêcher.

La famille Robelin s'installe sur une concession provisoire attribuée à Alcide en janvier 1874. Son lot de quatre hectares se trouve à la basse Pouéo. Alcide y construit sa maison. Par la suite, la famille déménage pour la haute Pouéo où quelques parcelles demeurent aujourd'hui la propriété de certains descendants. Trois ans plus tard, Alcide participe au tout premier concours agricole organisé à Bourail, l'ancêtre de la foire !
Il expose alors du maïs, du café et des haricots. Pendant ce temps naissent à Bourail trois autres enfants, Louise-Amélie, Marie-Berthe et Louis Alphonse. Le petit dernier a, comme son frère, failli perdre la vie.




Fin 1878, alors que la révolte kanak sème la terreur chez les colons, Louis Alphonse est un bébé. Un jour où les parents travaillaient aux champs, des Kanak surgissent, faisant fuir les familles de la Pouéo en oubliant le bébé. Ce n'est qu'au bout de deux kilomètres qu'ils se sont aperçus qu'il leur manquait un enfant. Alcide a fait demi-tour et est allé récupérer le nourrisson.
Il paraît qu'Alcide aimait boire " son petit coup " et qu'il descendait régulièrement au village pour se ravitailler en alimentation, mais pas seulement... Il se dit dans la famille que le cheval était bien dressé car il rentrait à la maison avec son propriétaire et que " la dame jeanne " n'était jamais cassée. Le 22 décembre 1891, lors d'un voyage en voiture attelée, Alcide meurt accidentellement écrasé par son char à bœufs en essayant de sortir la roue qui s'était coincée dans une ornière. "
Clarisse, son épouse, décède en 1929 à Bourail.
" L'année du décès de leur père, Marie Honorine Anna et Constant épousent Antoine et Léontine Pagès. Marie Honorine Anna a déjà trois enfants naturels qui portent son nom, Félix, Marius et Clarisse, elle donnera naissance à neuf enfants supplémentaires dont trois décèderont en bas âge.



" Constant reste sur la propriété et devient comme son père cultivateur. Il élève huit enfants avec Léontine. Parmi ses enfants, un de ses fils, lui aussi prénommé Constant, part au front par l'El Kantara le 10 novembre 1917. Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze :
"Excellent soldat, très brave. S'est distingué par sa bravoure et son entrain lors des combats de juillet 1918." Le jeune soldat calédonien revient de France le 1er mai 1919.
La deuxième fille du forçat, Louise Amélie, épouse Jules Trigalleau, lui aussi cultivateur, à Boghen. Ils ont douze enfants et quittent la région de Bourail pour Nouméa où Jules est chauffeur de taxi.
Marie Berthe, troisième enfant d'Alcide, s'unit tout d'abord à Louis Marie Kindel, exploitant de mine, avec qui elle a une fille, puis elle se remarie avec Sébastien Gastaldi.
Le dernier de la fratrie, Louis Alphonse, marié à Paula Launay, achète une propriété au fond de la vallée de la Pouéo. Aidé de ses enfants et des Kanak, il y fait de l'essence de niaouli et du café hors saison, il a cinq ou six hectares de caféiers. Un de ses fils, Sylvain, racontait qu'avec ses frères et sœurs, ils dormaient sur des lits en bois fabriqués maison sur lesquels ils installaient une paillasse remplie de feuilles de maïs et une couverture faite dans des sacs de toile.



L'école la plus proche était à sept kilomètres et tenue par Eugénie Trinome. Paul Edouard, Henri et Sylvain devaient se lever à 4 heures du matin et traverser des ruisseaux pour s'y rendre, l'eau leur montait parfois jusqu'au ventre ; ils y sont peu allés, le travail ne manquait pas sur la propriété. Les générations suivantes ont gardé le goût de l'élevage et de l'agriculture. Arnold, le fils de Sylvain, ainsi que ses enfants ont souvent été primés à la Foire de Bourail. "

Yvon et Monique sont allés en France sur les pas de plusieurs de leurs aïeux. " En 2006, à l'occasion du centenaire de Joséphine Robelin, nous avons ressenti le besoin de retrouver nos origines, tout est parti de là. En Calédonie, il est fréquent de dire que le bagne était - et est encore parfois - tabou, mais ce n'est guère mieux en Métropole. Quels que soient les villages ou les régions, et même à Saint-Martin-de-Ré d'où sont partis beaucoup de condamnés, les bouches sont cousues. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 25 mars 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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