Les Nouvelles Calédoniennes
Published on Les Nouvelles Calédoniennes (https://www.lnc.nc)

Accueil > Nouvelle Calédonie > Santé > Société > François Jourdel, chirurgien de retour de Gaza : "C’est une lutte permanente pour survivre" > François Jourdel, chirurgien de retour de Gaza : "C’est une lutte permanente pour survivre"

François Jourdel, chirurgien de retour de Gaza : "C’est une lutte permanente pour survivre"
Anne-Claire Pophillat | Crée le 19.09.2025 à 07h00 | Mis à jour le 22.09.2025 à 10h25

f247c1548bc86d647aa47cv_00135035.jpg

Le chirurgien François Jourdel revient d’une mission d’un mois à Gaza, où il a passé ses journées à opérer des blessés. Photo F.J.
François Jourdel, chirurgien orthopédiste au Médipôle, revient d’un mois à Gaza, où il s’est rendu pour la deuxième fois effectuer une mission humanitaire avec Médecins sans frontières, et témoigne d’un quotidien dans l’horreur de l’enclave palestinienne.

"La réalité, c’est que deux ans après, toutes les familles sont touchées dans leur chair par la guerre et ont perdu quelqu’un", témoigne François Jourdel, chirurgien orthopédique au Médipôle, qui revient de sa deuxième mission à Gaza avec Médecins sans frontières (MSF), après une première en novembre 2023. Bénévole pour l’association depuis 25 ans, il a sillonné de nombreux pays, Afghanistan, Yémen, Timor… Depuis deux ans, c’est dans l’enclave palestinienne qu’il se rend. "Je fais partie du pool de chirurgiens et ils me font signe quand ils ont besoin. J’ai un profil polyvalent que certains médecins Calédoniens peuvent apporter, de chirurgie orthopédique, plastique et reconstructrice."

Après un long voyage, François Jourdel arrive à Gaza le 15 août. Ce sont les Nations Unies qui s’occupent de faire entrer le personnel humanitaire. "Les choses sont beaucoup plus organisées que lors de ma première venue." Les bombardements étant permanents, il faut attendre la "green light" pour pouvoir passer, même si le véhicule est identifié. "On enfile un casque et un gilet par balles, et on monte dans une voiture blindée", raconte le médecin, à peine rentré de Gaza, la mission s’étant achevée lundi 15 septembre. Puis, le Calédonien traverse la "zone de guerre", entre les gravats qui jonchent le sol et les pans de murs qui ont résisté aux explosions.


La vie est hors de prix à Gaza, où une tente peut coûter 1 000 euros et un litre d’essence une cinquantaine d’euros. Photo F.J.

Les patients sont innombrables

Sa destination est l’hôpital de campagne aménagé par Médecins sans frontières sous des tentes à Deir Al Balah, entre les villes de Gaza et Rafah. "Il sert à soulager l’hôpital Nasser, situé à Khan Younès, qui est submergé." Mais, les blessés affluent aussi à Deir al-Balah. "C’est plein tout le temps, les patients sont innombrables. On opère entre dix et quinze personnes par jour." Des victimes de guerre qui présentent des fractures ouvertes, des mutilations, des plaies déchiquetées… Parmi elles, de nombreux jeunes et enfants. "Environ 40 % ont moins de 18 ans et entre 20 à 25 % moins de 10 ans." Les conditions d’intervention ne sont pas optimales, il manque du matériel. "On n’a pas de banque de sang, d’analyses bactériologiques, de garrot ou de bistouri électrique… On ne pouvait pas faire de microchirurgie." L’habitude de ce genre de situation se révèle utile dans ces moments-là. "En se décarcassant, on réussit à se débrouiller." François Jourdel passe son temps au bloc opératoire.


"On retrouve dans le corps des morceaux de métal lourd, d’obus, qui font énormément de dégâts", explique François Jourdel. Photo F.J.

Depuis des mois, la population gazaouie souffre de malnutrition. "Les gens qu’on opère sont extrêmement dénutris, rachitiques, c’est très choquant." La majeure partie de la population n’a plus rien. Or, "la détresse alimentaire pose un réel problème de cicatrisation". Et les professionnels médicaux ne sont pas épargnés. "On le réalise quand on retrouve les collègues et qu’une partie a perdu plus de 20 kg." Les équipes, épuisées, soignent du matin au soir. Puis, une deuxième journée commence. Il faut essayer "de trouver de l’eau, à manger, du bois pour le feu… C’est une lutte permanente pour survivre", lâche le chirurgien.

Rien ne se perd. "Les emballages de matériel utilisé sont répartis entre les soignants qui les ramènent chez eux pour allumer le feu." Quand il fait la route entre l’hôpital de campagne de Deir al-Balah et celui de Nasser, à Khan Younès, où il intervient également, le chirurgien assiste inlassablement à la même scène : des enfants qui fouillent dans les déchets, à la recherche de tout ce qu’il est possible de récupérer. "Ils ont un teint couleur terre, ils ne peuvent pas se laver." L’eau manque cruellement. Comme tout le reste. "Il y a entre deux à trois litres par jour et par personne. Il les garde pour boire."

"Ils subissent et vivent dans l’incertitude la plus totale"

Et puis, il y a la mort qui rôde, omniprésente. Nasser a été bombardé quand François Jourdel était à Gaza. Le Calédonien a vu les images "extrêmement dures". "Les gens qui rapportent des bras, des jambes, pour compléter les corps des victimes. Un collègue qui me raconte avoir trouvé un corps d’enfant, seulement le tronc et la tête, sous les décombres dans l’appartement voisin au sien, soufflé par une explosion. Dans la rue, les blessés sont trimballés sur le toit des voitures parce qu’il n’y a pas d’ambulance, avec le sang qui coule partout." Les mêmes histoires se répètent. "Il y a cet infirmier qui me montre une photo de son fils, et sur la vidéo suivante, je vois son corps sans vie." La souffrance. La perte. La douleur. Sans savoir ce qu’il en sera ne serait-ce que quelques heures plus tard. "Ils subissent et vivent dans l’incertitude la plus totale." Sans alternative. "L’offensive sur Gaza était annoncée et redoutée, les chars rentrent, tirent, et les gens ne peuvent aller nulle part parce qu’il n’y a plus de place dans le Sud."


L'hôpital de campagne de Deir al-Balah a été mis sur pied par Médecins sans frontières. Photo F.J.

Il faut apprendre à vivre avec le bruit continu des différentes armes utilisées. "On est survolé en permanence par plein de choses, c’est incessant." Alors, on s’y habitue. "On identifie vite le tir de tank, de drone, de mitrailleuse lourde ou de missile : c’est lui le plus effrayant, parce qu’on entend le sifflement avant l’explosion quand ce n’est pas très loin." Et on n’y prend de moins en moins garde. "Parfois on sursaute, la tente bouge, ou est traversée par des balles, mais le personnel est habitué et nous rassure."

Dans cette "noirceur de l’humanité", il y a ces vies qui résistent, ces sourires, comme celui de Hanady, infirmière, qu’il avait rencontrée lors de sa mission en novembre 2023. "Elle a marché deux heures en plein soleil pour venir me voir et m’offrir une petite boîte de biscuits qu’elle avait acheté très cher au marché. C’est extrêmement touchant." Beaucoup de soignants lui ont donné un présent, un peu de café, un petit cahier, un stylo, une tasse… "Des choses qui là-bas ont énormément de valeur." François Jourdel n’a pas pu les ramener, ces objets ayant été confisqués à la frontière par Israël. Il lui reste l’essentiel. Les souvenirs de ces témoignages d’affection. Et les centaines de vies aidées.


François Jourdel (avec le tee-shirt MSF), aux côtés des équipes de soignants palestiniens, dont l’infirmière Hanady, à gauche. Photo F.J.

MERCI DE VOUS IDENTIFIER
X

Vous devez avoir un compte en ligne sur le site des Nouvelles Calédoniennes pour pouvoir acheter du contenu. Veuillez vous connecter.

J'AI DÉJA UN COMPTE
Saisissez votre nom d'utilisateur pour LNC.nc | Les Nouvelles Calédoniennes
Saisissez le mot de passe correspondant à votre nom d'utilisateur.
Mot de passe oublié ? [1]
JE N'AI PAS DE COMPTE
  • Vous n'avez pas encore de compte ?
  • Créer un nouveau compte [2]

Vous avez besoin d'aide ? Vous souhaitez vous abonner, mais vous n'avez pas de carte bancaire ?
Prenez contact directement avec le service abonnement au (+687) 27 09 65 ou en envoyant un e-mail au service abonnement [3].

Source URL:https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/sante/societe/francois-jourdel-chirurgien-de-retour-de-gaza-c-est-une-lutte-permanente-pour-survivre asdasdasdad

Links
[1] https://www.lnc.nc/user/password [2] https://www.lnc.nc/user/register [3] https://www.lnc.nc/formulaire/contact?destinataire=abonnements