
Qu’est devenu le FLNKS ? Autrefois incontesté, le mouvement de libération du peuple kanak, qui fêtera ses 41 ans d’existence le 24 septembre, voit aujourd’hui sa légitimité remise en question. D’abord par ses adversaires, qui ne loupent plus une occasion de décrédibiliser le Front. Un "FLNKS 2.0 pris en main par les groupes de pression", a notamment affirmé, dans une analyse publiée sur ses réseaux, la présidente de la province Sud et cheffe de file des Loyalistes, Sonia Backès. "Ils ne sont définitivement plus crédibles et n’entrent plus dans le champ démocratique", avait estimé quant à lui le député Nicolas Metzorf, en septembre 2024.
Moins tranché, l’État a récemment adopté le même discours, en particulier depuis le rejet officiel de l’accord de Bougival par le Front. "Je suis respectueux du FLNKS, même s’il a changé, et a vu entrer des petites organisations radicales qui ont toujours été contre les accords", a ainsi estimé le 7 septembre sur RTL le ministre des Outre-mer, aujourd’hui démissionnaire, Manuel Valls. Dans une tribune parue le même jour dans le quotidien Le Monde, il soulignait que "le FLNKS de 2025 n’est plus celui de 1988 ou 1998" et qu’il avait connu une "recomposition profonde".
Si ce raisonnement est devenu un argument politique des détracteurs du mouvement de libération dans une tentative de limiter la portée de ses décisions et sa représentativité, il s’appuie toutefois sur une réalité : le FLNKS traverse ces dernières années un bouleversement de son modèle de fonctionnement.
Cette crise interne a pris toute sa dimension en août 2024, quand le Palika et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM), deux partis historiques du Front, ont pris la décision de se retirer de sa gouvernance après l’intégration de la CCAT et l’élection de Christian Tein en tant que président, deux décisions qu’ils contestaient. Pour autant, cet épisode n’est que le résultat d’une histoire plus longue, une réflexion entamée il y a plusieurs années sur l’unité du mouvement indépendantiste.
L’ambition d’uniformiser la lutte est née de la signature, en 1998, de l’accord de Nouméa, qui prévoyait une accession à l’indépendance par les urnes. Bien conscient de l’adversité, le FLNKS affichait alors une volonté de faire bloc. Mais à l'approche du troisième référendum, le Front connaît de multiples dissidences. Plusieurs micro-partis et forces syndicales voit ainsi le jour, à l’image du Mouvement océanien indépendantiste (MOI), dissident du Rassemblement démocratique océanien (RDO) fondé en 2019, de la Dynamik unitaire Sud, formée par des anciens du Palika, ou encore de la CNTP, portée par des ex-membres de l’USTKE, syndicat membre du FLNKS à sa création, en 1984, qui décidera par la suite d'en sortir. Ces groupes nationalistes n’ont cependant jamais cessé de graviter autour du FLNKS, dirigé par ses quatre composantes principales : l’Union calédonienne, le RDO, le Palika et l’UPM.
En 2017, un an avant la consultation, le FLNKS lance sa campagne pour le Oui et aborde le sujet de l'ouverture à ces groupes de pression en congrès. Le Palika et l’UPM font part de leurs réticences, inquiets des difficultés que pourrait provoquer cette ouverture dans le processus déjà complexe de prise de décision. "Dès le départ, nous souhaitions que seuls ceux qui défendent le projet du FLNKS puissent être intégrés", relate Judickaël Selefen, porte-parole du Palika.

Or, les groupes de pression, s’ils font bel et bien campagne pour le Oui, ne se retrouvent pas tous dans la stratégie du Front, basée sur une accession à l’indépendance par le dialogue. Mais les forces nationalistes, religieuses et syndicales continuent de revendiquer leurs places à la table du bureau politique. Dès lors, les responsables du mouvement proposent de lancer un travail sur la révision de la charte du FLNKS, afin de "recueillir les avis des uns et des autres sur le projet porté", reprend Judickaël Selefen, et d’envisager des modalités d’intégration. Mais les discussions s’enrayent et, huit ans plus tard, force est de constater que "ce travail n’a pas abouti". Ce qui n’a pas empêché le Front de se reconstituer autour de ces nouvelles forces, qui ont fini par en déverrouiller l’accès.
La preuve d’un mouvement vivant, en évolution permanente, estime aujourd’hui ses partisans. "Le FLNKS est en pleine transition, et c’est tant mieux, il est normal qu’il se renouvelle", considère Chrystèle Marie, secrétaire générale du Mouvement nationaliste indépendantiste souverainiste (MNIS). Fondé en 2017, le parti n’est pas officiellement intégré au Front, mais fait partie de ses "forces vives" qui ont voix au chapitre. Dans sa nouvelle mouture, le mouvement de libération représenterait désormais "parfaitement le peuple kanak", affirme-t-elle, occultant les récentes dissidences des modérés.

De son côté, Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne, parti central du FLNKS, rejette lui aussi le qualificatif de "nouveau FLNKS" : "Il n’y a pas de FLNKS d’hier ou d’aujourd’hui, mais simplement une évolution normale, qui suit le cours de l’histoire". Principal porte-parole du mouvement, il regrette le procès en radicalisation mené ces derniers mois par l’État et certains non-indépendantistes. "Il faut bien comprendre que le FLNKS n’est pas un parti, c’est un mouvement de libération nationale. En tant que tel, c’est le représentant légitime du peuple colonisé." Pour autant, il assume le virage emprunté par le Front pour s’ouvrir à d’autres organisations. Une stratégie qui s’est matérialisée en août 2021, lors du 39e congrès de l’Anse-Vata. Après un premier jour de discussions entre les membres des quatre partis fondateurs, "on a fait le deuxième avec l’ensemble des forces indépendantistes", rappelle Dominique Fochi. Le tout premier "congrès populaire". Ce fonctionnement deviendra progressivement la norme. "C’est à ce moment également que nous avons mis en place le Comité stratégique des indépendantistes", outil de transmission des décisions du bureau politique aux groupes de pression.
Reste qu’à l’époque, cette intégration est jugée trop lente par certains militants. En 2023, alors que l’État décide de porter le projet de réforme constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral, l’absence de stratégie commune fait craindre des difficultés à mobiliser. C’est là que l’Union calédonienne décide de fonder la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) fin 2023, à l’île des Pins. Un organe à l’origine d’une mobilisation massive contre le texte. Face au succès retentissant des manifestations, le 42e congrès du FLNKS, en mars 2024 à Kaimolo (Dumbéa), "acte la volonté des différents mouvements indépendantistes, nationalistes et progressistes de s’unifier, pour faire face aux différents enjeux politiques, sociaux et économiques actuels". Le groupe de travail sur la révision de la charte est alors relancé. Il fera long feu.

Deux mois plus tard, les émeutes éclatent. La CCAT est jugée responsable des destructions par l’État et les non-indépendantistes. Au sein même du mouvement, les partis modérés de l’UPM et du Palika lèvent le ton contre une organisation accusée d’avoir radicalisé la jeunesse kanak. Mais leurs voix portent peu au sein d’un mouvement qui se durcit.
Preuve qu’une ligne radicale s’affirme, la CCAT et sept groupes de pression sont officiellement intégrés, en août 2024, lors d’un 53e congrès extraordinaire organisé à Koumac. Christian Tein, quant à lui, est élu président du FLNKS, un poste inoccupé depuis 2001, mettant ainsi fin au principe d’une gouvernance tournante.
Un an plus tard, cette décision, qui devait acter le rapprochement du FLNKS avec sa base militante, ne semble pas avoir permis de résoudre la crise interne. L’éviction de la délégation des signataires de l’accord de Bougival en est une démonstration : derrière une apparente unité, des lignes antagoniques cohabitent au sein du Front et perturbent son fonctionnement. "Ils se retranchent derrière la défiance et le rejet parce qu’ils se retrouvent là-dessus. C’est une manière d’atteindre l’unité, mais elle se limite à l’attitude, pas à un projet", observe Judickaël Selefen. De fait, le mouvement de libération peine à porter une proposition en dehors d’un "accord de Kanaky", dont l’application semble illusoire. À défaut, le FLNKS s’est retranché derrière les "fondamentaux" de la lutte du peuple kanak, que le récent accord signé à Bougival ne respecterait pas, tout en souhaitant poursuivre les discussions rouvertes en février.
Ses responsables reconnaissent toutefois, à demi-mot, les difficultés que pose la multiplicité des tendances dans la prise de décision. "Il y a un travail au niveau de la gouvernance qui est en cours justement pour asseoir le fonctionnement du FLNKS, révèle Dominique Fochi. Quelque chose qui essaie de rassembler aussi bien les politiques, les coutumiers, que les religieux, dans une organisation efficace." Il s’agira également de mieux définir les modalités d’entrée et de sorties du FLNKS, conscient que de nouvelles dissidences pourraient l’affaiblir, et toujours ouvert à la réintégration du Palika et de l’UPM. "Mais est-ce qu’il est encore nécessaire de faire partie du Front pour accéder à l’indépendance ?, s’interroge Judickaël Selefen. Ce sera à nous de trancher."
En 41 ans d'histoire, le FLNKS a forcément changé de visage. "Il y a des partis fondateurs qui n'existent même plus aujourd'hui", fait remarquer Dominique Fochi, secrétaire général de l'Union calédonienne.