
"Bonjour patronne", lance le jeune salarié de la cave La Vinothèque, alors que Dominique Nixon, la cogérante, franchit le pas de la porte. "C’est marrant, ça me fait toujours un peu bizarre, sourit-elle. C’est ça, être une femme cheffe d’entreprise." C’est ce fameux syndrome de l’imposteur, cette sensation que d’être cheffe n’est pas totalement normal. Et c’est exactement ce genre de sentiment que Dominique Nixon tente de réduire en s’engageant dans le monde associatif, et plus précisément dans l’association Femmes chefs d’entreprise (FCE-NC). L’organisme fête ses 40 ans de présence en Nouvelle-Calédonie jeudi 27 novembre au travers d’un colloque et d’un gala.
Devenir entrepreneure n’était pas totalement prévu. D’autant plus dans un milieu "100 % masculin", comme celui de la vente d’alcool. Mais Dominique Nixon ne semble pas du genre à se complaire dans une petite vie tranquille. À 24 ans, de retour de son master de commerce international dans le Connecticut, aux États-Unis, à l’université de Hartford, elle entre à la Westpac, banque australienne alors bien implantée sur le Caillou. "J’avais un plan de carrière tout tracé." Mais "l’univers très patriarcal" de l’entreprise ne collait pas forcément avec le caractère affirmé de la jeune femme : "j’avais déjà ce côté où j’avais envie d’exprimer mes idées".
Aujourd’hui, Dominique Nixon est ravie de cette expérience d’une année à la banque. "C’est très utile, quand je négocie avec mon banquier, je peux me mettre dans ses chaussures." C’est lors d’un repas de famille que son père, chef d’entreprise australien, lui propose de reprendre avec lui La Vinothèque, "elle est en train de faire quatre tours", lui lance-t-il. Dominique Nixon saute sur l’occasion. Après tout, elle sait gérer des finances. Sa maman, institutrice, est moins emballée par l’idée. À la banque, c’est carrière en or toute tracée, horaires parfaits pour une vie de famille. "Je lui ai répondu que je m’ennuyais à la banque." L’ennui est, depuis, bel et bien du passé. Mais quelle surprise quand la toute jeune Dominique plonge les deux pieds dans la société. La Vinothèque ressemblait alors davantage à un gentlemans club – cigares, bons whiskys, fauteuils en cuir et vieux copains. Peu de gestion. "La société allait dans le mur." La voilà à devoir redresser la barre d’une entreprise très masculine, et dont elle ne connaît quasiment rien. "Je suis rapidement allée me former en œnologie. Je suis tombée dans la marmite. Mais cela a été extrêmement compliqué de remonter cette boîte", constate, trente ans plus tard, Dominique Nixon.

Aujourd’hui, la cogérante de La Vinothèque a "pris de la bouteille, dans tous les sens du terme", comme elle aime à le dire dans un sourire. Il arrive encore, parfois, qu’un client ait un regard dubitatif quand on lui présente "la patronne". "J’ai pris de l’assurance. Et les femmes achètent aussi du vin. La profession s’est féminisée. Pour autant, il y a toujours peu de femmes cheffes d’entreprise." C’est devenu son objectif : "créer des vocations" au travers, entre autres, de l’association Femmes chefs d’entreprise.
Pourtant, quand Valérie Zaoui, alors présidente de l’association, l’aborde pour la recruter, Dominique Nixon est dubitative. "J’étais un peu contre l’idée de la discrimination positive, car j’évoluais déjà dans un milieu 100 % masculin, je voulais montrer que j’étais l’égale de l’homme." Elle se rend tout de même à une réunion, et est immédiatement séduite par "la bienveillance et la force du groupe. Nous sommes toutes issues de métiers différents. On se donne des conseils, il y a une vraie entraide, surtout en période de crise."
Dominique Nixon intègre la FCE-NC en 2019 et est élue à la Chambre de commerce et d'industrie la même année. C’est d’ailleurs un des autres objectifs de la FCE : "que les femmes soient représentées dans les instances décisionnaires". Cette année 2019 marque une étape dans la vie de Dominique Nixon, avec son engagement bénévole. "Je ne sais pas pourquoi en 2019, réfléchit-elle. Ah, si, cela correspond au départ de mes enfants pour leurs études." Car oui, Dominique Nixon est aussi maman. Et c’est un des messages qu’elle tente de faire passer au travers de ses engagements. "Je suis intervenue devant des élèves de l’EGC. J’ai pris la parole après des hommes, et j’ai parlé du statut de femme cheffe d’entreprise et de maternité. On peut tout faire, mais nous devons être aidées. Par notre conjoint. Ce sont des sujets que l’on aborde peu. Il y a encore, en 2025, des freins sociaux et culturels", estime la cogérante de La Vinothèque. "Nous sommes toujours dans un système où, quand les enfants sont malades, ce sont les mamans qui doivent décrocher du travail. C’est pour cela qu’il faut que nous ayons notre place dans les instances décisionnaires."
Alors Dominique Nixon s’investit dans son entreprise, dans le monde associatif, en tant qu’élue de chambre consulaire, en renouvelant son mandat en 2024. Car quels que soient leurs métiers, quels que soient leurs parcours de vie, "nous sommes avant tout des femmes". Et ce syndrome de l’imposteur, Dominique Nixon a fini par en faire une force. "Il me permet d’être perfectionniste, de bien connaître mes dossiers, de me remettre en question tout le temps." La Vinothèque a été créée en 1973, Dominique Nixon en a repris les clefs en 1995. Depuis, l’entreprise a survécu à la pandémie, aux émeutes, aux réglementations fluctuantes sur l’alcool. Et reste une référence dans son domaine.
FCE, Femmes chefs d’entreprise, fête ses 40 ans de présence en Nouvelle-Calédonie (voir le programme ci-joint). Mais l’association a été créée en 1945. Alors que les hommes reviennent du front, certaines femmes refusent de reprendre la place de femmes au foyer. Yvonne Foinant crée FCE [1] afin de peser dans le monde économique et d’inciter les femmes à prendre des rôles au sein d’instances décisionnaires. Elle est alors la première femme élue à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris.
Depuis, FCE a essaimé à travers le monde. "FCE est présente dans 70 pays, l’association compte quatre millions d’adhérentes à travers le monde. En France, ce sont 60 délégations et près de 2 000 adhérentes. En Nouvelle-Calédonie, nous sommes une cinquantaine", liste Dominique Nixon. La cogérante de La Vinothèque s’est rendue au colloque des 80 ans d’existence de l’association en octobre, à Paris. "J’ai pu constater que nous sommes une grosse délégation en Nouvelle-Calédonie, au prorata de la population."
Pour cet anniversaire, les différentes délégations ont pu réfléchir à "l’identité de FCE dans ce monde qui évolue. Nous en avons tiré quatre grandes valeurs : influence, engagement, solidarité et audace." Pour ce qui est de la délégation calédonienne, "les 40 ans vont vraiment donner de la visibilité et susciter des vocations, ce qui est essentiel".

L’anniversaire de l’association Femmes chefs d’entreprise se déroule sur plusieurs temps, jeudi 27 novembre. Tout d’abord, à l’auditorium de la CCI, avec trois tables rondes pour des échanges sur les parcours de membres ou d’anciennes membres, d’ici ou d’ailleurs. Et des pauses-café pour créer du réseau. Entrée gratuite, réservation obligatoire sur Ticket.nc [2].



L’après-midi est tournée davantage vers les scolaires, pour un regard transgénérationnel et toujours cette volonté de "créer des vocations" en incitant la nouvelle génération de femmes à devenir cheffes d’entreprise.
Enfin, le gala, accueilli à l’École internationale James-Cook. Une soirée prestige à 7 500 francs. Réservation sur Ticket.nc [2].