
"Malo te ma’uli", "Malo te ofa", "Me’a kai"… Dans une courte vidéo publiée le 26 septembre sur le compte Instagram qu’il vient de créer, Yoan Uhila apprend à ChatGPT à parler wallisien [1]. Ce cours de langue en accéléré a été visionné plus de 100 000 fois. C’est la vidéo qui a récolté le plus grand nombre de vues parmi les trente disponibles sur sa page "the_onlymanu" [2]. Trois mois seulement après avoir investi le réseau social, Yoan Uhila compte déjà 3 500 abonnés, intéressés par son contenu axé sur l’intelligence artificielle, mais appréciant aussi sûrement son naturel et ce qu’il y met en valeur : la communauté wallisienne.
Yoan Uhila a pourtant rencontré l’IA par hasard. Une fois le bac en poche, après avoir passé les dix-huit premières années de sa vie à Wallis, où il naît en 2005, l’étudiant quitte son île pour suivre un BTS Négociation et digitalisation de la relation client (NDRC) dans l’Hexagone, à Toulon, à 16 000 km de là. "Je ne voulais pas faire de longues études, alors il fallait que je trouve un prétexte", raconte le jeune homme, en souriant, se voyant déjà monter son entreprise. Car c’est ce qu’il a toujours connu. "Je suis issu d’une famille d’entrepreneurs. Mon oncle était maraîcher, ma tante artisane, tout comme ma mère, teinturière et couturière."
En parallèle de son BTS, Yoan Uhila se met donc à tester différentes idées. La rédaction web, d’abord, "ce qui n’a pas vraiment pris". Puis, la création de contenus et de publicités pour les sociétés. Cette fois, "ça commençait à marcher". C’est à ce moment-là qu’il découvre l’intelligence artificielle. Pas de doute, c’est là que se trouve "le potentiel".
Le jeune homme, autodidacte, se lance et apprend sur le tas. "Je me suis formé tout seul, grâce notamment aux vidéos d’autres youtubeurs." Il s’appuie sur son importante capacité de travail, acquise pendant son enfance. "À 5 ans, je m’occupais des champs, il fallait que j’aide ma mère après le décès de mon père. J’ai gardé le même rythme depuis." Son implication dans le sport de haut niveau, avec le va’a, jusqu’à sa participation aux championnats du monde aux Samoa en 2023, lui forge une sacrée discipline. "Aujourd’hui, j’ai mon entreprise et la boxe", témoigne le jeune homme, la tête bien sur les épaules.

Tout s’enchaîne vite. Yoan Uhila est diplômé en juin, crée sa société dans la foulée et son Instagram début septembre. "Je me sers de l’intelligence artificielle et du codage. Je fais fonctionner des applications ensemble pour automatiser des tâches. Par exemple, un de mes clients a un salon de coiffure. J’ai créé un système de réceptionniste grâce à une IA qui fait office de robot, pour gérer les appels et la prise de rendez-vous." Ses clients, et c’est un souhait – "Je voulais collaborer avec des gens du Pacifique" -, sont principalement de la région. "Environ 90 % de mes projets se font avec des Tahitiens, des Calédoniens, des Wallisiens…" En plus, Yoan Uhila parle couramment anglais, ce qui pourrait lui permettre de s’ouvrir aux territoires anglophones. "Ma mère m’a incité à l’apprendre dès mon plus jeune âge."
L’enfant du pays est retourné chez lui après deux ans d’absence, pendant l’équivalent de l’été métropolitain. "Ça me manque", glisse-t-il. Mais, il n’envisage pas de s’y réinstaller. Pour l’instant du moins. "À Matautu, on a peu de moyens logistiques, et puis c’est compliqué à cause de la connexion internet." Le fenua n’est cependant jamais bien loin. Yoan Uhila est en contact avec d’autres entrepreneurs de Wallis-et-Futuna en vue, peut-être, de réaliser des projets "dans quelques années. J’ai des idées pour aider à développer l’île, pour que ce que je fasse serve à mon pays". Il s’y attache déjà en mettant en avant sa culture et sa langue. Et il ne "s’attendait pas" à ce que la vidéo avec ChatGPT trouve un tel écho. De quoi donner des idées. "Un étudiant wallisien m’a contacté afin d’élaborer une application pour apprendre la langue."
Plus généralement, Yoan Uhila veut montrer qu’il est possible de concilier sa coutume tout en s’investissant dans les nouvelles technologies, et c’est sans doute une des raisons qui explique l’accueil positif des abonnés. "Je pense que c’est lié au fait que cela concerne l’IA, qui est l’industrie du futur, et le fait que ce soit un Polynésien qui en parle. On peut utiliser des outils 'complexes', tout en restant connecté à sa culture et en maîtrisant sa langue. Ce n’est pas si courant, et je pense que ça fait du bien aux gens de voir ça." De quoi rendre sa mère très "fière". "Je lui dois vraiment beaucoup", insiste-t-il avec tendresse. Yoan Uhila veut servir d’exemple. "Tout est possible, même en arrivant du bout du monde, d’une île isolée du Pacifique. J’ai reçu des messages de personnes qui me disaient que c’était inspirant, je pense qu’on manque d’informations chez nous sur tout ce que l’on peut faire, donc on encourage aussi à partir pour mieux revenir."