
Au pied des machines silencieuses, Loïc Luciani raconte le processus aux sept visiteurs : les tonnes de carton et de papier broyées par le pulpeur, mélangées à l’eau et transformées en pâte, envoyées vers une seconde chaîne de production où elles reprennent vie sous forme d’emballages biodégradables. Le co-gérant de Pacific Valorisation convoque l’imagination de son audience, en visite dans une usine à l’arrêt.
"À l’origine, on l’a pensée pour qu’elle fonctionne en 3x8 avec 20 personnes. En ce moment, il n’y a que nous, les quatre gérants, et Rose", une salariée en situation de handicap, qui gère les quelques bons de commande en attendant la reprise de la production, probablement la semaine prochaine. Mise en service il y a un an, l’usine de recyclage et de transformation de carton et de papier tourne en moyenne une semaine "tous les deux à trois mois", faute de demande.
Au départ pourtant, lorsque Loïc Luciani, Franck Ollivier, Yves Herbaut et Danielle Mackam imaginent le projet en 2017, le calcul semble évident : chaque année, quatre millions de boîtes d’œufs sont consommées par les Calédoniens. Toutes sont importées sur le territoire par les producteurs de la filière avicole, tout comme une grande partie des autres emballages jetables. Les quatre entrepreneurs, issus du monde du BTP et du maritime, y voient là l’occasion de créer une filière locale, qui répondrait à une autre problématique qu’ils connaissent bien : la production considérable de déchets sur les chantiers, composés en grande partie de papier et de carton, systématiquement enfouis ou exportés malgré leur fort potentiel de recyclage.

"On voulait offrir une alternative", raconte Loïc Luciani. Un concept plus économique pour les professionnels (16 francs le kilo recyclé contre 20 francs pour son enfouissement), en plus d’être écologique. Ils se renseignent alors aux quatre coins du monde pour dénicher des industriels prêts à partager leurs savoir-faire. Le courant passe avec des Indiens, qui fournissent aux entrepreneurs calédoniens un copié-collé de leur usine, "dimensionnée pour un volume d’habitants et de produits correspondant à la Nouvelle-Calédonie". Elle est livrée en 2022 et restera plus de deux ans dans des containers, en raison d’un délai particulièrement long pour obtenir la norme "installation classée pour la protection de l’environnement" (ICPE). Pacific Valorisation entre finalement en production fin 2024.
Un an plus tard, l’usine est très loin de tourner à plein régime. "On est à 7 % de ce qu’on est capable de produire", déplore Franck Ollivier. Plusieurs facteurs expliquent cette désillusion. En premier lieu, la décision du gouvernement de reporter à 2040 l’interdiction du plastique à usage unique [1], initialement prévue à 2022, a largement bousculé les plans des quatre associés, qui misaient sur cette mesure pour convaincre les commerces en manque de solutions de se tourner vers l’emballage recyclé et biodégradable. Mais le vrai coup dur est venu des deux principaux producteurs d’œufs en Nouvelle-Calédonie, qui représentent 80 % de la filière. "Ils refusent de travailler avec nous, explique Franck Ollivier. Sauf qu’ils sont à l’origine de trois des quatre millions de boîtes vendues par an sur le territoire."

Alors, Pacific Valorisation se contente de ramasser les miettes depuis un an. "On travaille majoritairement pour les œufs de Lifou, mais aussi dans le nord de la côte Ouest et à Houaïlou", détaille le co-gérant. La production porte également sur des barquettes de nourriture. L’usine multiplie, d’autre part, les tests en recherche et développement pour mettre au point des produits, à l’image d’un projet mené sur "une nouvelle matière de contact alimentaire, étanche à l’eau et aux graisses", ou encore des allume-feu en carton recyclé, dévoile Franck Ollivier.
Reste que la situation ne peut pas durer indéfiniment pour les quatre associés de Pacific Valorisation, qui ont investi 280 millions de francs dans l’usine. "On perd deux millions de francs par mois quand elle est à l’arrêt." Le carton et le papier arrivent déjà en quantité importante sur les lignes de production, "mais on est obligés de stocker et de mutualiser les gisements avec d’autres acteurs, comme Isoca", spécialisée dans la fabrication de ouate de cellulose. Les deux usines représentent désormais "50 % du gisement total trié en Nouvelle-Calédonie", soit environ 6 000 tonnes de déchets en carton et en papier produits chaque année.

"On est prêts à dégainer, tout est en place. Pour l’instant on tient, mais il faut qu’on puisse se lancer", insiste Franck Ollivier. L’ultime espoir des quatre entrepreneurs : obtenir une régulation de marchés sur les boîtes d’œufs – "un marché à 100 millions de francs par an" – pour limiter, voire empêcher leur importation, et contraindre les producteurs à acheter localement. "Notre dossier est à l’étude", indique Franck Ollivier, désormais suspendu à une décision du gouvernement qui pèsera lourd dans l’avenir de l’entreprise.
*Organisée par la Feinc, Fédération des entreprises et industries de Nouvelle-Calédonie, la Semaine de l'industrie s’étend jusqu’au 5 décembre avec des visites d’entreprises et des tables rondes. Le programme est à découvrir ici. [2]
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/environnement/le-gouvernement-veut-reporter-a-2040-l-interdiction-des-barquettes-en-plastique
[2] https://feinc.nc/semaineindustrie
[3] https://www.lnc.nc/user/password
[4] https://www.lnc.nc/user/register
[5] https://www.lnc.nc/formulaire/contact?destinataire=abonnements