
"C’est la première fois qu’une telle étude génétique est menée en Nouvelle-Calédonie", introduit Sarah LeBaron von Baeyer, anthropologue pour le laboratoire américain Variant Bio, à l’origine du projet, mené en partenariat avec le Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille. Avec sa collègue généticienne Olivia Gray, la scientifique vient de passer la semaine à présenter les résultats préliminaires de Caledogoutckd aux Îles, en terminant par les médias samedi 20 décembre. L'étude, consacrée à la goutte, à l’insuffisance rénale chronique (IRC) et aux particularités génétiques pouvant être à l’origine du haut taux de prévalence de ces maladies au sein de la population mélanésienne de Nouvelle-Calédonie, a été menée sur 1 782 Kanak, a concerné 19 sites de recrutement, et mobilisé 15 médecins et 11 infirmières entre 2023 et 2024.

Si Variant Bio s’est intéressée à ces maladies, la goutte et l’insuffisance rénale chronique, c’est en raison de leur fréquence plus élevée sur le territoire qu’ailleurs. "On s’est dit que ce n’était pas seulement les facteurs environnementaux qui devaient les causer, et qu’il devait sûrement y avoir une partie génétique", explique Sarah LeBaron von Baeyer, qui compare avec les États-Unis. "Les gens mangent souvent mal là-bas, et pourtant il y a moins de cas de goutte. Pourquoi ? Ce sont les facteurs génétiques qu’on veut comprendre, la relation des gènes avec ces maladies dans la population kanak."
Caledogoutckd révèle qu’un participant sur quatre appartient à la catégorie diabétique, qu’un sur cinq est dans la catégorie prédiabétique, et que plus l’IMC est élevé, plus la probabilité de se retrouver dans une de ces deux catégories augmente par rapport aux personnes de poids normal. "On a globalement observé un indice de masse corporelle assez haut, ce qui peut indiquer un risque plus important de développer certaines maladies." Mais, ce qui a inquiété les chercheuses, c’est que "la plupart des personnes dans la zone diabétique n’avaient jamais été diagnostiquées auparavant", et ont donc été informées de leur situation lors de l’étude. Idem pour l’hypertension. Or, "un dépistage plus large pourrait aider à détecter et traiter le diabète plus tôt, et ainsi éviter des complications graves plus tard".

Les chercheuses ont examiné les facteurs associés au risque de goutte et ont trouvé un lien fort avec la présence de graisse viscérale – celle autour des organes internes. La maladie s’accompagne également souvent d’autres problèmes de santé, comme l’insuffisance rénale chronique, l’hypertension ou le diabète. Surtout, l’étude confirme l’existence d’une variante du gène ABCG2, connue pour augmenter le risque de goutte, particulièrement présente chez les populations polynésiennes. "Jusqu’ici, personne ne l’avait étudiée en Nouvelle-Calédonie. Or, elle se trouve à haute fréquence chez les Kanak, et elle est associée à un risque accru de goutte aussi", développe la généticienne Olivia Gray. Au-delà de l’alimentation, il y a donc "une partie génétique de cette maladie qu’il faut considérer", appuie Sarah LeBaron von Baeyer.
Dans le cas de l’IRC, aucune variante génétique n’a été identifiée. "Mais on a découvert que plus de la moitié des personnes atteintes d’insuffisance rénale chronique avaient aussi un diagnostic de diabète, qui est le principal facteur de risque, informe l’anthropologue. Or, le diabète, l’hypertension, etc., peuvent mener à l’IRC. Donc, il y a un lien entre les deux." Mieux gérer sa santé métabolique pourrait ainsi aider à prévenir d’autres problèmes associés à la goutte et l’insuffisance rénale chronique, d’après la représentante de Variant Bio. Une meilleure prévention du diabète serait donc pertinente.
Il s’agit du résultat le plus intéressant de l’étude, selon Olivia Gray. La variante du gène ANGPTL4, qui a la bonne idée de réduire les graisses est, alors qu’elle se fait rare dans le monde, bien plus présente en Nouvelle-Calédonie. Or, "découvrir de telles variantes, qui améliorent la santé, peut mener au développement de nouveaux médicaments", précise la généticienne.

Ces recherches doivent servir à élaborer de nouveaux traitements. "Il n’en existe par exemple aucun qui fonctionne bien pour traiter l’insuffisance rénale chronique." Variant Bio vend ses données à des laboratoires pharmaceutiques. "On se rend compte que les médicaments créés à partir d’études génétiques sur les humains ont plus d’efficacité que les autres, précise Sarah LeBaron von Baeyer. Et on remarque que la majorité des études génétiques faites jusqu’à maintenant, l’ont été avec des populations européennes. Or, il y a une grande diversité génétique sur la planète, et tout le monde n’a pas une réponse favorable aux médicaments créés pour des personnes d’ascendance européenne. Donc, plus on réalise des études avec des populations diverses, plus on va avoir des médicaments adaptés." Mais en créer peut prendre entre dix à quinze ans, sans certitude quant au résultat. En cas de réussite, Variant Bio s’engage à ce que "le médicament soit accessible à un prix abordable pour les communautés dont les données ont mené à sa création".
Variant Bio – une start-up américaine créée il y a six ans et financée sur fonds privés – a reversé une partie du budget de l’étude à des associations qui portent des projets en faveur des communautés ayant participé à l’étude. "On procède comme ça pour toutes nos études à travers le monde", glisse l’anthropologue Sarah LeBaron von Baeyer. L’an dernier, le laboratoire a donné plus de dix millions de francs à quatre associations : La Natte kanak, la Fédération socio-éducative de Nöje Drehu, l’Association des jeunes animateurs et bénévoles de Nengone et Uvea’anim.
À plus long terme, Variant Bio a également instauré un programme de partage des bénéfices, qui prévoit la redistribution annuelle de 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise entre tous les projets admissibles, en vue de soutenir les communautés ayant pris part aux recherches. Ces fonds seront redistribués à une ou deux associations sélectionnées dans les Îles l’année prochaine.
Le laboratoire a récemment signé un partenariat avec Novo Nordisk, une entreprise pharmaceutique danoise spécialisée dans les traitements contre le diabète et l'obésité (comme l'Ozempik). Variant Bio lance justement une étude sur le diabète en Australie, aux îles Cook, en Polynésie française et aux Samoa.