
Lorsque les baleines apparaissent à l’horizon, le signal est donné pour préparer les champs d’ignames. À Hienghène, l’embouchure de la Ouaïème (Weyem) [1] relie le monde des vivants à le celui des ancêtres. Les esprits, qui ont un parcours terrestre puis marin, ont comme lieu de passage la piscine naturelle de l’île des Pins (Woro) qui fait également le lien vers Tonga et le Vanuatu. Sur la côte Ouest, à Bourail, les falaises de la Roche percée (Pûû Yârè) sont le lieu d’où plonge l’âme des défunts qui ont pour animal totem le lézard.
Ces mythes et croyances, qui montrent la dimension sacrée du milieu marin dans la culture autochtone, sont un avant-goût de toutes les connaissances compilées et vulgarisées dans La Vison kanak de l’océan. Un "socle commun" des savoirs et des pratiques durables ancrées dans la tradition et la culture locale. Un ouvrage inédit, tiré à un millier d’exemplaires, et le fruit de trois ans de travail porté par des référents des huit aires coutumières. Une manière de transmettre à un large public une "sensibilité" et une spiritualité encore méconnues.
"Ce livret est une tentative de vulgarisation de 3000 ans de civilisation et d’expertise kanak, parce qu’aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il y a une distance entre les gens. L’idée est de mettre tout le monde (population, institutions, associations, etc.) au même niveau de connaissances", explique Aïlé Tikouré, le référent du conseil coutumier de l’aire Drubéa-Kapüme, qui juge bon de préciser que "le monde autochtone n’est pas omniscient", mais qu’il convient de l’associer davantage pour proposer "une autre façon de penser l’environnement". Objectif : mieux intégrer cette vision kanak dans les politiques publiques et donc dans la gestion du parc marin de la mer de Corail. Une approche dite "holistique" de la nature dans laquelle l’homme est la nature (la mer, la terre et l’air) sont intimement liés en vue de perturber le moins possible "l’harmonie" et l’équilibre du milieu.
"C’est cette sensibilité autour du vivant qu’on compte apporter dans la gestion, parce qu’on remarque que les visions sont très cartésiennes aujourd’hui, poursuit Aïlé Tikouré. Or, de plus en plus, le monde scientifique mondial se penche sur cette approche holistique. Et on voit que là où on prend en compte les savoirs des peuples autochtones, les mesures de gestion de l’environnement sont plus efficaces." C’est d’ailleurs avec cet état d’esprit qu’en 2023, lors de la rédaction du Code de l’environnement, que les îles Loyauté avaient voulu reconnaître les animaux totem que sont les requins et les tortues en tant que sujets de droit. Une dimension que les référents du projet VKO souhaiteraient voir s’appliquer "à toutes les échelles" de la Nouvelle-Calédonie.
Afin d’être mieux entendus, ces référents des huit aires coutumières entendent ainsi plaider leur cause devant les institutions, en réfléchissant à un projet de loi du pays pour renforcer le "poids décisionnel" des instances coutumières dans la gestion du parc de la mer de Corail. Une zone où de "grandes avancées" sont déjà constatées, à commencer par le vote au Congrès, en avril, d’un moratoire contre l’exploitation et l’exploration des fonds marins pour une période de cinquante ans [2]. "Il y a 70 ans, quand nos anciens parlaient de protection de l’environnement on ne nous prenait pas au sérieux. Aujourd’hui, c’est devenu un sujet central à l’échelle de la planète, rappelle le sénateur Yvon Kona, représentant de l’aire Xârâcùù, qui résume l’enjeu principal du projet VKO : "mettre en commun les savoirs et les solutions pour protéger ensemble notre environnement".
Sans surprise, l'abattage des requins bouledogue et tigre, lancées par la mairie de Nouméa et la province Sud, entre 2019 et 2023 [3], a provoqué une levée de bouclier dans le monde coutumier, pointant justement l'absence de considération de la vision kanak de l'océan dans de telles décisions.
"Nous étions contre, mais à l'époque on n'a pas demandé notre avis, rappelle Jean-Yves Poédi, référent du Sénat coutumier pour le parc naturel de la mer de Corail. On veut toujours se positionner au-dessus de la nature. Mais c'est nous qui sommes descendus dans le milieu du requin et non l'inverse. Et si aujourd'hui, on a autant de squales et qu'ils se sont multipliés à Nouméa, c'est au cause de l'homme qui est entré dans son environnement. Or nous devrions apprendre à rester à notre place. "
Le livret La vision kanak de l’océan est édité à un millier d’exemplaires.
Contact et réservation par mail : visionkanakdelocean@gmail.com [4]
Links
[1] https://www.lnc.nc/article-direct/nouvelle-caledonie/nord/hienghene/le-mag/societe/transports/reportage-le-mag-la-riviere-sacree-qui-resiste-aux-batisseurs
[2] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/environnement/sciences/le-congres-vote-un-moratoire-contre-l-exploitation-et-l-exploration-des-fonds-marins-pendant-50-ans
[3] https://www.lnc.nc/article/grand-noumea/noumea/environnement/infographies-plus-de-200-requins-ont-ete-abattus-a-noumea-depuis-le-debut-des-prelevements
[4] mailto:visionkanakdelocean@gmail.com
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