
Je retiens la situation de crise insurrectionnelle de 2024, qui a été l'élément marquant de mon passage. Mais, plus généralement, je retiens que la société calédonienne est confrontée à une délinquance qui augmente, à des difficultés sociales, économiques et de cohésion. Et cela se traduit par un très fort sentiment d'insécurité qui s'est installé dans la population. C'est pour moi le changement majeur par rapport à la Nouvelle-Calédonie que j'ai connue il y a vingt ans, lors de mon premier séjour, entre 2004 et 2007.
Pour nous, cela a été une période redoutablement complexe. Nous savions que la crise allait être longue et difficile. Nous avons perdu deux gendarmes et plus de 550 ont été blessés. Il a fallu rétablir l'ordre républicain dans des conditions extrêmement compliquées face à 10 000 insurgés dans le Grand Nouméa, mais aussi face à des blocages ailleurs sur le territoire. Cela a été d'une violence assez inouïe, en particulier à Saint-Louis, où nous avons essuyé près de 700 tirs. Mais, la gendarmerie a pu rapidement monter en puissance et atteindre le seuil qui nous a permis de reconquérir le terrain.
Je retiens également l'immense solidarité des Calédoniens qui étaient dans la détresse, entre eux, mais aussi avec les gendarmes, parce que la population savait que nous étions éprouvés. J'ai été marqué par la confiance et l'amitié manifestées par la population à notre égard et par l'engagement des élus, des maires notamment, qui nous ont aidés à remplir nos missions.
Cette crise plonge ses racines dans une histoire ancienne qui n'a pas été soldée, dans une histoire plus récente liée aux évolutions institutionnelles. Elle a aussi dévoilé le fait qu'il y avait une jeunesse en perdition, perdue dans l'alcool, le cannabis, qui pouvait facilement être manipulée et se livrer à une contestation systématique et radicale de toute forme d'autorité, qu'elle vienne de l'État, des coutumiers, des élus. Je crois que cette crise a été le révélateur d'un mal plus profond qui touche la société calédonienne.
Nous avons un dispositif considérablement renforcé, avec la présence de vingt escadrons de gendarmerie mobile, soit 1 500 gendarmes mobiles, ainsi qu'une centaine de renforts dans le domaine de la police judiciaire, afin de nous aider à traiter le contentieux lié à l'insurrection. Nous avons aussi 16 Centaure et une trentaine d'autres blindés plus classiques. Aujourd'hui, nous sommes encore dans la phase de stabilisation de la situation.
La tribu de Saint-Louis est composée d'une grande majorité de personnes qui n'aspirent qu'à une chose, vivre en paix, mais elle compte un certain volume de jeunes déboussolés, qui échappent à tout contrôle social et qui, pour beaucoup, consomment de l'alcool, du cannabis et qui ont sombré dans la violence la plus radicale et la plus lâche, en s'attaquant à des automobilistes, en prenant en otage 15 000 personnes qui vivent de l'autre côté. Je pense qu'il y a entre 200 et 250 jeunes qui posent problème. Ils sont connus de la gendarmerie et de la justice. Nous avons interpellé 80 personnes de la tribu entre mai et décembre 2024. Un certain nombre d'entre elles sont encore en détention.
Nous sommes obligés de maintenir un dispositif important en raison d'une menace qui persiste. Près de 230 gendarmes sont engagés chaque jour pour garantir la sécurité des usagers de la route. Nous savons que si nous dégradons notre dispositif, nous pourrions de nouveau être confrontés à des problèmes. Mais nous avons moins de difficultés qu'avant et nous travaillons avec les autorités coutumières, qui s'attachent aussi à reprendre en main cette jeunesse qui leur a échappée. La situation n'est cependant pas réglée. Le problème est profond. Et je ne vois pas de solution qui ne soit qu'une solution d'ordre public.

Nous avons plusieurs zones d'instabilité de différentes natures. Il y a une instabilité en termes de délinquance sur le Grand Nouméa. Mais également sur la côte Est, où nous avons encore des difficultés, à Thio, qui sont d'ordre public. Et puis, nous avons une instabilité liée à des conflits coutumiers, comme à Touho il y a quelques jours. Nous avons des dispositifs adaptés pour faire face à la menace.
Globalement, sur la zone de gendarmerie, les cambriolages sont stabilisés. Maintenant, ils sont quand même à un niveau bien plus élevé que la moyenne nationale, de 50 à 60 % de plus, et ils connaissent une évolution défavorable depuis une quinzaine d'années, avec une répartition sur tout le territoire qui est assez équitable, il n'y a pas que le Grand Nouméa qui est concerné par ce fléau. Et nous voyons des choses que nous ne voyions pas avant, notamment des cambriolages liés à la faim, des gens qui volent pour se nourrir, sur l'ensemble du territoire et de manière plus marquée dans le Nord.
Nous constatons une augmentation des violences intrafamiliales et, ce qui est inquiétant, une hausse des violences envers les enfants au sein des familles. C'est un phénomène plutôt nouveau que je détecte depuis quatre mois environ. Je tiens à souligner que l'alcool est la cause majeure de tous ces comportements. On parle de cambriolages, de violences, de braconnages, de Saint-Louis, d'insécurité routière... Mais le point commun de toutes les formes d'insécurité, c'est la consommation excessive d'alcool. Et malheureusement, la situation ne s'améliore pas.
On constate une hausse du nombre de violences urbaines depuis la fin des émeutes. Elles se traduisent par des obstacles sur la route, des incendies, des dégradations d'édifices publics, en particulier des écoles, et puis par des violences contre les gendarmes. Ces violences urbaines, qui n'existaient pas avant 2024, traduisent un rapport très décomplexé d'une certaine jeunesse vis-à-vis des forces de l'ordre. Il y a une espèce de tabou qui semble avoir sauté et certains jeunes recherchent l'affrontement avec les gendarmes. Depuis le début de l'année, j'ai une centaine de gendarmes blessés. J'en avais moins de 25 en 2023 à la même époque. Principalement par des jets de pierre. Voilà un peu la physionomie aujourd'hui du Grand Nouméa, avec deux formes d'insécurité, la nuit des violences urbaines, le jour des cambriolages.
On manque de recul pour le dire. Ce qui est sûr, c'est que ces vols avec violence, braquages, intrusions dans les commerces, vols à l'arraché, sont des faits inhabituels et nouveaux. Nous mettons des moyens importants pour les résoudre, identifier et interpeller les auteurs, et éviter qu'ils se reproduisent. Après, l'évolution globalement négative de l'insécurité depuis quinze ans en Nouvelle-Calédonie pourrait laisser penser que de nouvelles formes de délinquance vont émerger, des formes plus violentes. C'est quelque chose qui m'inquiète.
Effectivement, il y a beaucoup d'armes en Nouvelle-Calédonie. La tentation peut exister de se défendre, de se faire justice soi-même. Nous ne pouvons pas l'accepter, parce que sinon, c'est la fin de l'État de droit. Nous demandons à la population de nous faire confiance. Nous avons des patrouilles engagées en permanence sur le terrain, disponibles pour traiter ce genre de situation.
La gendarmerie est engagée en force d'interposition dans ces conflits coutumiers. Pour nous, ce sont des situations qui sont souvent très compliquées parce que très vite, il peut y avoir des accès de violence. Notre première mission est de protéger les personnes. Cela a été fait à Touho, à Yaté, à Hienghène, à Kaala-Gomen, à Bélep. Notre capacité à intervenir en force permet d'éviter des morts. Mais la gendarmerie ne peut pas régler ces conflits. Nous travaillons avec les autorités coutumières, dont c'est la responsabilité, pour que des solutions pérennes puissent être trouvées. Mais souvent, les problèmes sont complexes et les autorités coutumières ne sont pas en mesure d'apporter des solutions immédiates, d'où la persistance d'un certain nombre de conflits. Une trentaine sont actuellement en gestation à des niveaux de basse intensité.
Nous mettons tout en œuvre pour retrouver les fuyards [2]. Sous l'autorité du procureur public, nous maintenons un dispositif de recherche. Nous avons augmenté nos contrôles dans les zones probables de repli des trois fuyards. L'enquête avance, nous avons des pistes et je pense que nous pourrons rapidement interpeller ces personnes.
Nous ne voyons pas, en zone gendarmerie, d'augmentation de la consommation de cocaïne. Notre principal sujet reste le trafic et la consommation massive de cannabis. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas vigilants sur l'éventuelle arrivée de drogue dure, de cocaïne ou d'ice, sur le territoire. Cela fait partie des menaces. Mais, le cannabis est vraiment un des maux de la société qui compromet l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, un problème de santé publique et de cohésion. C'est une des racines de ce qui s'est produit l'année dernière. Quand je parlais de cette jeunesse perdue, elle s'est d'abord perdue parce qu'elle a commencé à fumer du cannabis très jeune, dès 12-13 ans. Et on fume beaucoup, avec un taux de THC à 25 % qui favorise en plus les maladies mentales à un très jeune âge. La responsabilité de tous est engagée.
Je suis confiant. J'ai partagé les tourments, les inquiétudes des Calédoniens pendant ces quatre années. J'ai un attachement profond pour ce territoire, pour ce qu'il est et pour ceux qui le font, les Calédoniennes et Calédoniens, et je sais qu'ils ont en eux des ressources pour rebondir. Je veux garder à l'esprit cette formidable humanité que j'ai pu rencontrer partout. Ce courage aussi, parce que la Calédonie est faite de gens courageux. J'ai confiance dans ces hommes et ces femmes qui, je crois, ont des qualités qu'on ne voit pas ailleurs. Ici, on sait qu'il faut du temps pour construire les choses, pour les reconstruire. Il y a cette conscience aussi de vivre dans un territoire qui est exceptionnel. Les Calédoniens ont la capacité d'aller au-delà des tourments actuels.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/grand-noumea/paita/faits-divers/justice/paita-plusieurs-coups-de-feu-tires-pour-proteger-une-station-service
[2] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/faits-divers/prison-de-kone-qui-sont-les-trois-evades-recherches-par-les-forces-de-l-ordre
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