Les Nouvelles Calédoniennes
Published on Les Nouvelles Calédoniennes (https://www.lnc.nc)

Accueil > Nouvelle Calédonie > Société > Nicolas Matthéos : "L'évolution de l'insécurité laisse penser que de nouvelles formes de délinquance plus violentes vont émerger" > Nicolas Matthéos : "L'évolution de l'insécurité laisse penser que de nouvelles formes de délinquance plus violentes vont émerger"

Nicolas Matthéos : "L'évolution de l'insécurité laisse penser que de nouvelles formes de délinquance plus violentes vont émerger"
Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat | Crée le 26.06.2025 à 05h00 | Mis à jour le 30.06.2025 à 11h48

3b93f4b64a5863f9313a3fv_00133801.jpg

Après quatre années passées en Nouvelle-Calédonie, marquées notamment par les émeutes de 2024, le commandant de la gendarmerie Nicolas Matthéos est muté à Paris, "dans l'administration". Photo A.-C.P.
Nicolas Matthéos, arrivé en 2021, quitte le territoire le mois prochain, après quatre années passées à la tête de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie. Un séjour marqué par la crise insurrectionnelle de 2024, un "révélateur d'un mal plus profond qui touche la société calédonienne", estime le général de division, même si "nous sommes dans la phase de stabilisation". Malgré une augmentation de la délinquance et des violences urbaines, le commandant a "confiance dans l'avenir".

Que retenez-vous de votre séjour en Nouvelle-Calédonie, après presque quatre années passées sur le territoire en tant que commandant des forces de gendarmerie ?

Je retiens la situation de crise insurrectionnelle de 2024, qui a été l'élément marquant de mon passage. Mais, plus généralement, je retiens que la société calédonienne est confrontée à une délinquance qui augmente, à des difficultés sociales, économiques et de cohésion. Et cela se traduit par un très fort sentiment d'insécurité qui s'est installé dans la population. C'est pour moi le changement majeur par rapport à la Nouvelle-Calédonie que j'ai connue il y a vingt ans, lors de mon premier séjour, entre 2004 et 2007.

Vous parlez des émeutes comme de l'élément marquant de votre passage. Comment avez-vous vécu cette période ?

Pour nous, cela a été une période redoutablement complexe. Nous savions que la crise allait être longue et difficile. Nous avons perdu deux gendarmes et plus de 550 ont été blessés. Il a fallu rétablir l'ordre républicain dans des conditions extrêmement compliquées face à 10 000 insurgés dans le Grand Nouméa, mais aussi face à des blocages ailleurs sur le territoire. Cela a été d'une violence assez inouïe, en particulier à Saint-Louis, où nous avons essuyé près de 700 tirs. Mais, la gendarmerie a pu rapidement monter en puissance et atteindre le seuil qui nous a permis de reconquérir le terrain.

Je retiens également l'immense solidarité des Calédoniens qui étaient dans la détresse, entre eux, mais aussi avec les gendarmes, parce que la population savait que nous étions éprouvés. J'ai été marqué par la confiance et l'amitié manifestées par la population à notre égard et par l'engagement des élus, des maires notamment, qui nous ont aidés à remplir nos missions.

Plus d'un an après, quelle est votre lecture des événements, comment analysez-vous cette crise ?

Cette crise plonge ses racines dans une histoire ancienne qui n'a pas été soldée, dans une histoire plus récente liée aux évolutions institutionnelles. Elle a aussi dévoilé le fait qu'il y avait une jeunesse en perdition, perdue dans l'alcool, le cannabis, qui pouvait facilement être manipulée et se livrer à une contestation systématique et radicale de toute forme d'autorité, qu'elle vienne de l'État, des coutumiers, des élus. Je crois que cette crise a été le révélateur d'un mal plus profond qui touche la société calédonienne.

Je pense qu'il y a entre 200 et 250 jeunes qui posent problème à Saint-Louis. Nous avons interpellé 80 personnes de la tribu entre mai et décembre 2024. Un certain nombre d'entre elles sont encore en détention.

Quelles sont les forces de gendarmerie présentes en Nouvelle-Calédonie actuellement ?

Nous avons un dispositif considérablement renforcé, avec la présence de vingt escadrons de gendarmerie mobile, soit 1 500 gendarmes mobiles, ainsi qu'une centaine de renforts dans le domaine de la police judiciaire, afin de nous aider à traiter le contentieux lié à l'insurrection. Nous avons aussi 16 Centaure et une trentaine d'autres blindés plus classiques. Aujourd'hui, nous sommes encore dans la phase de stabilisation de la situation. 

Jusqu'à quand le dispositif de la gendarmerie va-t-il être maintenu sur la route du Mont-Dore, à Saint-Louis ?

La tribu de Saint-Louis est composée d'une grande majorité de personnes qui n'aspirent qu'à une chose, vivre en paix, mais elle compte un certain volume de jeunes déboussolés, qui échappent à tout contrôle social et qui, pour beaucoup, consomment de l'alcool, du cannabis et qui ont sombré dans la violence la plus radicale et la plus lâche, en s'attaquant à des automobilistes, en prenant en otage 15 000 personnes qui vivent de l'autre côté. Je pense qu'il y a entre 200 et 250 jeunes qui posent problème. Ils sont connus de la gendarmerie et de la justice. Nous avons interpellé 80 personnes de la tribu entre mai et décembre 2024. Un certain nombre d'entre elles sont encore en détention.

Nous sommes obligés de maintenir un dispositif important en raison d'une menace qui persiste. Près de 230 gendarmes sont engagés chaque jour pour garantir la sécurité des usagers de la route. Nous savons que si nous dégradons notre dispositif, nous pourrions de nouveau être confrontés à des problèmes. Mais nous avons moins de difficultés qu'avant et nous travaillons avec les autorités coutumières, qui s'attachent aussi à reprendre en main cette jeunesse qui leur a échappée. La situation n'est cependant pas réglée. Le problème est profond. Et je ne vois pas de solution qui ne soit qu'une solution d'ordre public.


Un dispositif permanent de sécurité de gendarmerie est maintenu sur la RP1 dans le secteur de Saint-Louis, au Mont-Dore. Photo Anthony Tejero

À part Saint-Louis, est-ce que d'autres zones restent problématiques ?

Nous avons plusieurs zones d'instabilité de différentes natures. Il y a une instabilité en termes de délinquance sur le Grand Nouméa. Mais également sur la côte Est, où nous avons encore des difficultés, à Thio, qui sont d'ordre public. Et puis, nous avons une instabilité liée à des conflits coutumiers, comme à Touho il y a quelques jours. Nous avons des dispositifs adaptés pour faire face à la menace. 

Nous voyons des choses que nous ne voyions pas avant, notamment des cambriolages liés à la faim, des gens qui volent pour se nourrir, sur l'ensemble du territoire et de manière plus marquée dans le Nord.

Est-ce que, depuis les émeutes, la nature des actes de délinquance a évolué, est-ce que leur nombre a augmenté ?

Globalement, sur la zone de gendarmerie, les cambriolages sont stabilisés. Maintenant, ils sont quand même à un niveau bien plus élevé que la moyenne nationale, de 50 à 60 % de plus, et ils connaissent une évolution défavorable depuis une quinzaine d'années, avec une répartition sur tout le territoire qui est assez équitable, il n'y a pas que le Grand Nouméa qui est concerné par ce fléau. Et nous voyons des choses que nous ne voyions pas avant, notamment des cambriolages liés à la faim, des gens qui volent pour se nourrir, sur l'ensemble du territoire et de manière plus marquée dans le Nord.

Avez-vous remarqué la recrudescence d'autres faits ?

Nous constatons une augmentation des violences intrafamiliales et, ce qui est inquiétant, une hausse des violences envers les enfants au sein des familles. C'est un phénomène plutôt nouveau que je détecte depuis quatre mois environ. Je tiens à souligner que l'alcool est la cause majeure de tous ces comportements. On parle de cambriolages, de violences, de braconnages, de Saint-Louis, d'insécurité routière... Mais le point commun de toutes les formes d'insécurité, c'est la consommation excessive d'alcool. Et malheureusement, la situation ne s'améliore pas.

Qu'en est-il dans les communes du Grand Nouméa, à quoi les gendarmes sont-ils confrontés au quotidien ?

On constate une hausse du nombre de violences urbaines depuis la fin des émeutes. Elles se traduisent par des obstacles sur la route, des incendies, des dégradations d'édifices publics, en particulier des écoles, et puis par des violences contre les gendarmes. Ces violences urbaines, qui n'existaient pas avant 2024, traduisent un rapport très décomplexé d'une certaine jeunesse vis-à-vis des forces de l'ordre. Il y a une espèce de tabou qui semble avoir sauté et certains jeunes recherchent l'affrontement avec les gendarmes. Depuis le début de l'année, j'ai une centaine de gendarmes blessés. J'en avais moins de 25 en 2023 à la même époque. Principalement par des jets de pierre. Voilà un peu la physionomie aujourd'hui du Grand Nouméa, avec deux formes d'insécurité, la nuit des violences urbaines, le jour des cambriolages.

La tentation peut exister de se défendre, de se faire justice soi-même. Nous ne pouvons pas l'accepter, parce que sinon, c'est la fin de l'État de droit.

Il y a eu plusieurs braquages ces derniers mois, est-ce que ce sont des actes isolés ou un phénomène qui pourrait s'amplifier ?

On manque de recul pour le dire. Ce qui est sûr, c'est que ces vols avec violence, braquages, intrusions dans les commerces, vols à l'arraché, sont des faits inhabituels et nouveaux. Nous mettons des moyens importants pour les résoudre, identifier et interpeller les auteurs, et éviter qu'ils se reproduisent. Après, l'évolution globalement négative de l'insécurité depuis quinze ans en Nouvelle-Calédonie pourrait laisser penser que de nouvelles formes de délinquance vont émerger, des formes plus violentes. C'est quelque chose qui m'inquiète.

Un individu a tiré des coups de feu à Païta pour "protéger la station-service" [1], a-t-il expliqué. Alors que les armes circulent largement dans le pays, doit-on craindre que ce genre de situations se multiplient ?

Effectivement, il y a beaucoup d'armes en Nouvelle-Calédonie. La tentation peut exister de se défendre, de se faire justice soi-même. Nous ne pouvons pas l'accepter, parce que sinon, c'est la fin de l'État de droit. Nous demandons à la population de nous faire confiance. Nous avons des patrouilles engagées en permanence sur le terrain, disponibles pour traiter ce genre de situation. 

D'importants conflits coutumiers ont eu lieu ces derniers temps, notamment à Touho. Comment intervient la gendarmerie ?

La gendarmerie est engagée en force d'interposition dans ces conflits coutumiers. Pour nous, ce sont des situations qui sont souvent très compliquées parce que très vite, il peut y avoir des accès de violence. Notre première mission est de protéger les personnes. Cela a été fait à Touho, à Yaté, à Hienghène, à Kaala-Gomen, à Bélep. Notre capacité à intervenir en force permet d'éviter des morts. Mais la gendarmerie ne peut pas régler ces conflits. Nous travaillons avec les autorités coutumières, dont c'est la responsabilité, pour que des solutions pérennes puissent être trouvées. Mais souvent, les problèmes sont complexes et les autorités coutumières ne sont pas en mesure d'apporter des solutions immédiates, d'où la persistance d'un certain nombre de conflits. Une trentaine sont actuellement en gestation à des niveaux de basse intensité. 

Trois des cinq détenus qui se sont évadés du centre pénitentiaire de Koné dans la nuit du 12 au 13 mai sont toujours en fuite, où en sont les recherches ? 

Nous mettons tout en œuvre pour retrouver les fuyards [2]. Sous l'autorité du procureur public, nous maintenons un dispositif de recherche. Nous avons augmenté nos contrôles dans les zones probables de repli des trois fuyards. L'enquête avance, nous avons des pistes et je pense que nous pourrons rapidement interpeller ces personnes.

Le cannabis est vraiment un des maux de la société qui compromet l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, un problème de santé publique et de cohésion. C'est une des racines de ce qui s'est produit l'année dernière. 

Il y a eu récemment une saisie record de cocaïne en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre d'une opération anti-drogue régionale. Le territoire est-il davantage confronté aux drogues dures ?

Nous ne voyons pas, en zone gendarmerie, d'augmentation de la consommation de cocaïne. Notre principal sujet reste le trafic et la consommation massive de cannabis. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas vigilants sur l'éventuelle arrivée de drogue dure, de cocaïne ou d'ice, sur le territoire. Cela fait partie des menaces. Mais, le cannabis est vraiment un des maux de la société qui compromet l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, un problème de santé publique et de cohésion. C'est une des racines de ce qui s'est produit l'année dernière. Quand je parlais de cette jeunesse perdue, elle s'est d'abord perdue parce qu'elle a commencé à fumer du cannabis très jeune, dès 12-13 ans. Et on fume beaucoup, avec un taux de THC à 25 % qui favorise en plus les maladies mentales à un très jeune âge. La responsabilité de tous est engagée.

Quelle est votre vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, êtes-vous confiant malgré tout ?

Je suis confiant. J'ai partagé les tourments, les inquiétudes des Calédoniens pendant ces quatre années. J'ai un attachement profond pour ce territoire, pour ce qu'il est et pour ceux qui le font, les Calédoniennes et Calédoniens, et je sais qu'ils ont en eux des ressources pour rebondir. Je veux garder à l'esprit cette formidable humanité que j'ai pu rencontrer partout. Ce courage aussi, parce que la Calédonie est faite de gens courageux. J'ai confiance dans ces hommes et ces femmes qui, je crois, ont des qualités qu'on ne voit pas ailleurs. Ici, on sait qu'il faut du temps pour construire les choses, pour les reconstruire. Il y a cette conscience aussi de vivre dans un territoire qui est exceptionnel. Les Calédoniens ont la capacité d'aller au-delà des tourments actuels.

MERCI DE VOUS IDENTIFIER
X

Vous devez avoir un compte en ligne sur le site des Nouvelles Calédoniennes pour pouvoir acheter du contenu. Veuillez vous connecter.

J'AI DÉJA UN COMPTE
Saisissez votre nom d'utilisateur pour LNC.nc | Les Nouvelles Calédoniennes
Saisissez le mot de passe correspondant à votre nom d'utilisateur.
Mot de passe oublié ? [3]
JE N'AI PAS DE COMPTE
  • Vous n'avez pas encore de compte ?
  • Créer un nouveau compte [4]

Vous avez besoin d'aide ? Vous souhaitez vous abonner, mais vous n'avez pas de carte bancaire ?
Prenez contact directement avec le service abonnement au (+687) 27 09 65 ou en envoyant un e-mail au service abonnement [5].

Source URL:https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/societe/nicolas-mattheos-l-evolution-de-l-insecurite-laisse-penser-que-de-nouvelles-formes-de-delinquance-plus-violentes-vont-emerger asdasdasdad

Links
[1] https://www.lnc.nc/article/grand-noumea/paita/faits-divers/justice/paita-plusieurs-coups-de-feu-tires-pour-proteger-une-station-service [2] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/faits-divers/prison-de-kone-qui-sont-les-trois-evades-recherches-par-les-forces-de-l-ordre [3] https://www.lnc.nc/user/password [4] https://www.lnc.nc/user/register [5] https://www.lnc.nc/formulaire/contact?destinataire=abonnements