
Il n’y avait qu’un endroit quasiment désert, ce samedi 12 juillet, au parc de Rivière-Salée : l’espace aménagé devant la scène musicale, où seuls les plus téméraires osaient quelques timides pas de danse, quand la plupart des visiteurs prenaient soin de contourner la zone.

Partout ailleurs, c’était l’effervescence dans ce lieu devenu depuis quelques mois le poumon du quartier. Des dizaines de stands de nourriture et de vêtements ont attiré plusieurs centaines de personnes toute la journée. Aux manettes de l’évènement, l’association Solidarité RS, devenue incontournable dans le quartier, célébrait son premier anniversaire.
Officiellement fondé en juillet 2024, le collectif est réellement né dès les premières semaines des émeutes, quand les barrages d’habitants et la présence des militaires faisaient encore de Rivière-Salée un quartier coupé du monde. Alors que les derniers magasins et supérettes incendiés fumaient encore, une poignée de résidents s’est organisée pour procéder à la distribution de paniers alimentaires, seul moyen de vaincre la faim qui s’emparait d’une partie des familles du quartier. "On est parti de pas grand-chose", remarque rétrospectivement Francis Maluia, président et fondateur de Solidarité RS.

Depuis, le chemin a été tortueux mais "cohérent". "On est parvenu à se structurer et on porte aujourd’hui quelque chose qui fonctionne je pense. C’est un an de résilience, toujours dans le mouvement."
L’association continue de distribuer à manger, mais a largement diversifié son champ d’action. Tous les samedis, un marché est organisé au parc de Rivière-Salée pour proposer des produits accessibles aux habitants, tout en permettant à d’autres de vivre de leurs récoltes. C’est ici également que l’association tente de "retisser le lien social" qui s’est délité durant les violences, à travers notamment des cafés solidaires. "Il faut que les cœurs brisés se reconstruisent, qu’on puisse se retrouver et sortir de l’isolement moral ceux qui y ont plongé, pense le président de Solidarité RS. C’est important qu’on soit là, même si on n’a pas réponse à tout, pour que les gens voient qu’ils ne sont pas seuls."
Après un an d’engagement, "on a réussi à se débarrasser du rejet et de la distanciation qui s’était installée", constate Francis Maluia. "Qui aurait cru, il y a un an, qu’on réunirait autant de personnes au parc de Rivière-Salée ?" L’association s’est aussi construit une réputation auprès des responsables politiques, pour lesquels elle est devenue une porte d’entrée dans le quartier. "Pour eux c’est un moyen de reconnexion avec la population", devenue encore plus méfiante depuis les émeutes de mai 2024. "Il faut faire comprendre à nos politiques qu’il y a toujours ici des gens qui n’ont plus rien et qui tentent simplement de s’en sortir", insiste Francis Maluia. Les maigres gestes des collectivités, tels que le retour du Néobus annoncé cette semaine [1], ne suffisent pas à effacer un sentiment d’abandon prédominant. La venue de la maire de Nouméa, Sonia Lagarde, ce samedi matin pourrait permettre "d’insuffler un message positif" sur la prise en considération du quartier dans "la reconstruction de la ville", espère le président de Solidarité RS.

Reste que parmi les habitants, on sait qu’il faudra d’abord compter les uns sur les autres pour s’en sortir. "Les problématiques, comme la vie chère et le fait de ne pas réussir à se nourrir correctement, ça fait 40 ans qu’on les vit. Ici, on subit le réel", déplore Edmond Wea, figure connue de Rivière-Salée. Actif au sein de Solidarité RS, il s’est donné comme mission de "garder la maison". "Ici, on est une grande famille, on doit faire attention à tout le monde." Une manière, aussi, de se protéger "de la politique, qui nous a salis". Le bouillonnement actuel de son quartier pourrait servir d’exemple, juge Edmond. "Il faut se réconcilier, c’est la priorité."
D’ici là, Solidarité RS va continuer de voir plus grand. "Les paniers de nourriture, ça ne peut pas être une fin en soi", estime Francis Maluia, qui travaille déjà sur un projet de "champ partagé" afin de garantir une "autosuffisance alimentaire" aux familles du quartier les plus démunies.
