
Ce bureau local du WWF avec ses missions avait été un coup de cœur. En 2011, j’étais venue assez rapidement, donc je voulais constater, dans un temps plus long, ce qui a bougé, ce qui a avancé, les problématiques qui restent et celles qui sont apparues, etc. Et puis, j’avais aussi l’envie de naviguer ici pour découvrir les Îles Loyauté et la province Sud.
Ce déplacement comportait deux séquences, celle plus institutionnelle, qui est importante pour porter des sujets, mais où il y a moins d’émotion, et le terrain. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le retour dans la tribu de Gohapin, à Poya, où les gens ne m’ont pas oubliée et où j’ai reçu un accueil plus que chaleureux. Ils ont continué le travail et nous, le nôtre. Pouvoir inscrire des missions dans ce temps long est très important pour une ONG. Il y a tellement d’ONG qui passent un an ou deux sur place puis, pour différentes raisons, suspendent leurs programmes après avoir créé un espoir.
Au WWF, notre force, c’est qu’on ne s’est pas arrêté. Et ce travail porte ses fruits. Il s’agit en l’occurrence de restaurer cette forêt abîmée par les feux, à travers un programme de pépinières tenues par les femmes de Gohapin, qui permettent de produire des jeunes plants d’arbres locaux et endémiques qui serviront à des plantations sur place ou dans d’autres endroits. Après toutes ces années, ces femmes sont très compétentes, ça marche bien et cela représente aussi des revenus pour la tribu.
Ce qui était assez symbolique aussi, c’est le Ouen Toro. Il y a 14 ans, j’avais crevé de chaud en montant parce que les arbres faisaient 1 cm de haut. Il y avait plein d’endroits où ça n’avait pas du tout été replanté. Quand j’y suis retournée, j’étais à la fraîche sous de grands arbres magnifiques. Ce n’est pas terminé, mais il y a déjà un vrai changement qui bénéficie à tout le monde. C’est une belle réussite. Ce qu’on veut au WWF, ce sont des résultats concrets. On n’est pas là pour faire la morale aux gens en leur disant "il n’y a qu’à, il faut qu’on". Et quand on montre ces résultats, on peut imaginer reproduire l’expérience ailleurs. C’est ce qu’on a fait, samedi, à La Coulée, où on a planté de jeunes arbres dans cet endroit dévasté par le feu.
Enfin, ce que je retiens, quand on se balade en bateau autour de la Nouvelle-Calédonie, ce sont toutes ces terres dégradées, entre le minier et le feu, qui descendent avec ces grandes coulées rouges jusque dans le lagon. Ça fait mal.
Il y a 14 ans, j’avais volé en ULM et j’avais été hallucinée de tous les dégâts. C’est hyper impressionnant, d’autant plus qu’on est dans un contexte de réchauffement climatique et, qu’on le veuille ou non, la Nouvelle-Calédonie va être de plus en plus sèche, avec une occurrence des feux qui risque encore d’augmenter.
Il est vrai qu’il y a un fatalisme sur ce sujet, mais il faut lutter contre, en montrant tous les bienfaits qu’on perd à cause des incendies. C’est ce qu’on appelle globalement les services écologiques rendus par la nature. À La Coulée par exemple, c’est un captage d’eau qui est quasiment foutu parce que la forêt n’existe plus. Ça veut dire que dans ces endroits, l’eau va être plus chère pour les gens, parce qu’il va falloir aller la chercher ailleurs avec des pompes, des tuyaux, alors qu’avant, l’eau coulait directement de la montagne et on n’avait rien à faire. C’est aussi notre boulot de montrer qu’au quotidien, dans la vie de tous les jours, cela a des conséquences pour les gens.
Il faut continuer à marteler ce message et puis continuer ce qu’on fait au WWF, c’est-à-dire d’essayer de voir comment les ONG peuvent venir en appui, notamment des pompiers pour surveiller, alerter et donc traiter les feux le plus vite possible.
Cela doit être évidemment corroboré par les scientifiques, mais je ressens que c’est encore super beau ici et qu’il y a encore beaucoup de choses dans l’eau. J’ai eu la chance de me rendre dans un certain nombre d’endroits qui ressemblent plus ou moins à la Nouvelle-Calédonie, où il y a aussi des barrières de corail, mais je n’ai jamais vu, par exemple, autant de tortues dans l’eau. Dans beaucoup d’endroits, on ne les voit plus. Donc, c’est un enjeu de conservation majeur. C’est le sens aussi de ce qu’on fait au WWF sur les programmes marins pour continuer à bien comprendre comment ces espèces évoluent. On a mené ce travail sur les migrations des tortues, et aujourd’hui, on voit les résultats. C’est aussi le cas sur le site de ponte de Bourail depuis qu’on a recréé des lisières d’arbres et sécurisé les plages.
Pour le dugong, c’est malheureusement plus compliqué, avec une population qui a considérablement régressé. On se doit d’identifier pourquoi ces phénomènes se produisent, pour essayer d’y remédier tant qu’il y a encore du vivant. Pour les dugongs, il faut s’accrocher.
Sur le marin, et selon l’expérience que j’ai acquise d’autres endroits, la vie reprend très vite ses droits quand on arrive à faire baisser les pressions, comme la pêche, le braconnage, etc. Au WWF, on a cette dimension scientifique : identifions les problèmes et parlons des choses concrètes. On compte, on mesure, on comprend. On fait de la science avant de faire de la politique.
Je vais porter le message de ce lagon immense, relativement encore en bonne santé, beaucoup moins affecté qu’en Australie ou ailleurs. Ici, on a encore un cycle naturel qui n’est pas trop perturbé. Ce qui me vient aussi évidemment, c’est le taux d’endémisme exceptionnel. Quand on arrive d’ailleurs et qu’on se balade ici, on ouvre grand les yeux parce que ce sont des espèces qu’on n’a jamais vues et qui n’existent qu’ici. Mon message tournera donc autour de cette richesse, de cette relative bonne santé, et des enjeux de conservation qui restent très forts.
C’est un sujet dont on a discuté dans les rendez-vous institutionnels. Ce qu’on défend, c’est de dire que la Calédonie est à un tournant de sa reconstruction. Ne refaisons pas comme avant, essayons de faire comme demain, notamment en s’orientant plus vers les solutions fondées sur la nature. Par exemple, on veut redévelopper du tourisme, mais de quel type de tourisme parle-t-on ? Est-ce que c’est bétonner du littoral ? Est-ce que c’est faire de l’écotourisme pour que ce soit aussi mieux approprié par les tribus et les gens du coin plutôt que d’accueillir des énormes paquebots déversant des gens qui vont faire n’importe quoi ? C’est une vision de comment la Nouvelle-Calédonie veut s’inscrire dans l’avenir et elle ne s’inscrira bien dans l’avenir que si ces solutions sont développées.
C’est pareil sur la question des feux. Garder de l’eau au profit des habitants, dans une période de plus en plus sèche sous l’effet du changement climatique, cela implique qu’il faut encore plus protéger et défendre la forêt pour avoir de l’eau en quantité et de qualité.
Nos vies sont au cœur de l’environnement. On fait partie de l’écosystème. Souvent, on dit que le développement durable, c’est l’intersection entre l’environnement, le social et l’économique, mais c’est une fausse vision, parce qu’il n’y a pas d’économie sans biodiversité. Il faut donc avoir la vision inverse. D’abord, il y a l’environnement et à partir de ça, les communautés humaines construisent des organisations économiques, politiques, de l’agriculture, etc. La base, c’est bien l’environnement. Il faut vraiment remettre les choses dans le bon ordre. Et c’est pour ça que dans un endroit comme la Nouvelle-Calédonie où l’environnement reste très fort, particulier, et très lié à la vie des gens, avec une connexion à la nature encore existante, il faut d’abord s’accrocher à ça.
Au WWF, on essaye de faire des points d’ancrage et de montrer ce qui marche, mais tout seul, on ne va pas faire la révolution. On a besoin des pouvoirs publics, des entreprises, des citoyens, etc. Ne restons pas à pleurer chacun dans son coin, en disant que tout va mal. Il y a des solutions, donc maintenant, il faut se battre ensemble pour les faire exister.

Je peux vous dire qu’au WWF France, on a vraiment fêté ce moratoire. La Nouvelle-Calédonie est pionnière sur cette question, car elle s’inscrit dans le temps long. On va pouvoir continuer à expertiser ces fonds marins : faire des plongées profondes pour aller voir ce qu’il s’y passe. Car on ne sait rien de ces milieux. Et c’est ça qui est terrible. À terre, Dieu sait qu’on a suffisamment bousillé des trucs avant même d’avoir compris ce qu’il y avait et comment ça marchait. Ne reproduisons pas la même chose dans les océans.
Le Congrès vote un moratoire contre l’exploitation et l’exploration des fonds marins pendant 50 ans [3]
Au WWF, évidemment, on est pour un moratoire mondial. On a beaucoup poussé au niveau politique et la France s’est positionnée d’ailleurs de manière assez forte, au moins pour l’exploitation. La Nouvelle-Calédonie nous offre un exemple. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que quand on fait tomber une pièce de monnaie dans les grands fonds, qui sont un milieu incroyable que l’on découvre à peine scientifiquement, cela génère un nuage de poussière qui va peut-être impacter jusqu’à un kilomètre carré. Alors imaginez une drague. N’allons pas commencer à tout foutre en l’air avant même d’avoir un peu essayé de comprendre ce qu’il y a.
C’est une autre bonne nouvelle, à condition de voir la question globalement, car il y a aussi des gens qui pêchent. Il faut donc mettre tout le monde autour de la table, parce qu’une aire marine protégée sans règles fortes ne sert à rien. En France, on a un peu la politique du chiffre. On fait des aires marines protégées partout, sauf qu’on y fait à peu près la même chose qu’avant, à quelques exceptions près. Du coup, ça ne marche pas bien. Or, quand on met des règles fortes, et que ces règles sont créées avec les gens du coin, ça marche génialement bien.
10 % du parc naturel de la mer de Corail est désormais hautement protégé [4]
Et c’est là l’espoir : la nature est vigoureuse. Quand on lui fiche un peu la paix, quand on fait diminuer les menaces, elle reprend la main. Disposer de réserves intégrales, c’est donc intéressant, parce qu’on est sûr que ça va marcher. On l’a vu dans de nombreuses réserves du monde : les espèces reviennent, les tailles augmentent, la biodiversité commence à se reformer en un écosystème, et au final, les gens qui pêchent à côté en bénéficient aussi.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/pays/environnement/la-question-des-feux-m-a-beaucoup-frappe
[2] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/environnement/les-dugongs-sont-plus-menaces-que-jamais
[3] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/environnement/sciences/le-congres-vote-un-moratoire-contre-l-exploitation-et-l-exploration-des-fonds-marins-pendant-50-ans
[4] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/environnement/10-du-parc-naturel-de-la-mer-de-corail-est-desormais-hautement-protege
[5] https://www.lnc.nc/user/password
[6] https://www.lnc.nc/user/register
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