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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 30.04.2024 à 05h00 | Mis à jour le 30.04.2024 à 16h36
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    Laurent Vigliola est chargé d'études à l'IRD et l'un des rares experts des squales en Nouvelle-Calédonie. Photo Anthony Tejero
    Une vaste étude, inédite sur le Caillou, est lancée pour suivre pendant quatre ans 200 requins tigres et bouledogues dans le lagon de la province Sud. Si l’objectif de cette mission menée par l’IRD en partenariat avec la Maison bleue et l’État, vise à connaître les déplacements et mieux comprendre les comportements de ces squales, une technologie aussi innovante qu’expérimentale, basée sur l’ADN environnemental, pourrait également permettre d’évaluer l’abondance de ces deux espèces dans nos eaux. Entretien avec Laurent Vigliola, chercheur écologue en charge de piloter cette mission ambitieuse.

    Une première étude sur l’écologie des grands requins avait été annoncée et lancée en 2019 avant finalement d’être annulée. Pourquoi ?

    Cette étude concernait uniquement Nouméa et a été gelée car elle avait démarré quelques jours seulement avant l’attaque du petit Anthony (en baie de l'Orphelinat). Néanmoins, quelques animaux avaient été marqués et un réseau d’hydrophones se trouve toujours autour de Nouméa. L’IRD a donc essayé d’analyser ces données parcellaires pour néanmoins donner des informations concernant les requins bouledogues dans cette zone, mais ce n’était pas une étude scientifique dans le sens où il n’y avait pas suffisamment d’animaux marqués.

    En quoi cette étude est-elle inédite ?

    Elle est plus ambitieuse déjà parce qu’elle concerne sept sites en province Sud (Prony, grand lagon Sud, Grand Nouméa, baie de Saint-Vincent, régions de La Foa, Bourail, et Thio) sur lesquels nous nous rendrons deux fois par an. Cela permettra, en cas d’empêchement dans une zone, s’il y a un accident dans une commune par exemple, de pouvoir continuer notre étude qui doit durer quatre ans. Ce travail s’appuiera sur plusieurs technologies : de la vidéo, du marquage télémétrique, et de l’ADN environnemental.

    Dans le détail, comment comptez-vous vous y prendre ?

    Nous allons d’abord faire fabriquer les équipements, ceux pour marquer les animaux étant conçus au Canada par exemple, puis les faire venir en Nouvelle-Calédonie. Ensuite, grâce aux financements débloqués, nous allons former les équipes, puis nous irons en mer, d’ici 2 à 3 mois, pour mettre en place un réseau d’hydrophones à l’échelle de la province Sud.

    Actuellement, une quarantaine d’hydrophones sont déjà déployés autour de Nouméa. Nous allons donc redéployer certains d’entre eux, et il y aura, au total, une centaine d’hydrophones répartis dans tout le lagon de la province Sud. Ce réseau permettra de suivre les mouvements des requins marqués.

    Nous allons travailler de la côte vers le large. Certains hydrophones seront ainsi situés près des baies et des estuaires pour cibler plutôt les requins bouledogues qui sont très côtiers. Nous passerons par le milieu du lagon, avec les îlots qui sont des zones à enjeux. Et puis, notre réseau s’étendra jusqu’aux passes où il y a davantage d'enjeux pour les tigres.

    Quand un requin se déplace à moins de 300 mètres d'une borne, son passage est enregistré.

    Comment se déroulera le marquage des requins ?

    Il s’agira avant tout de pêche. Pour cela, il y aura une bouée en surface attachée à une ancre au fond, avec une seconde bouée dotée, elle, d’un hameçon rond qui va s’accrocher sur la joue des requins pour ne pas les blesser, ce qui est très important. Nos équipes resteront près de ces bouées et dès qu’un animal sera attrapé, nous le ramènerons près du bateau.

    Ce sont des spécimens qui peuvent mesurer 4 mètres de long et qui sont donc très puissants, ce qui implique d’avoir une équipe de cinq personnes. Nous les positionnerons le long du bateau avec un bout (un cordage) qui va accrocher sa queue et l’hameçon qui lui tiendra la bouche. Nous allons alors le retourner et lui poser une marque satellite dans sa cavité abdominale.


    Cent requins bouledogues et cent requins tigres seront bagués et équipés d'émetteurs sur leur abdomen afin de suivre leurs déplacements. Un travail "de longue haleine et difficile", reconnaît Laurent Vigliola.  Photo D.R.

    Cet équipement dure dix ans, émet toutes les minutes et est détecté par le réseau d’hydrophones. Autrement dit, quand un requin se déplace à moins de 300 mètres d’une borne, son passage est enregistré. Et ce sont les mêmes hydrophones qui sont utilisés partout dans le monde, c’est-à-dire que si nous marquons un requin tigre à Nouméa et qu’il est détecté à Brisbane, nous le saurons car nous travaillons évidemment à l’international.

    Une autre technique sera d’ailleurs également déployée pour détecter les requins tigres…

    Oui. C’est l’une des rares espèces de requin qui remontent à la surface régulièrement, un peu comme les tortues bien que ce ne soit pas pour respirer. Ces squales auront donc également une marque satellite. Il s’agit d’un appareil électronique que l’on met sur la nageoire dorsale de l’animal et à chaque fois qu’il fait surface, il indique sa position à un satellite. C’est intéressant car s’il traverse la mer de Corail pour aller en Australie ou s’il va au Vanuatu ou vers Fidji, nous le verrons et pourrons le suivre durant ces longues traversées.

    En quoi est-il important de comprendre l’écologie de ces requins ?

    Ces animaux sont grands et se déplacent sur de grandes distances mais nous avons très peu d’informations sur eux actuellement. Les interrogations soulevées lors de cette étude sont vraiment des questions de base, notamment sur leur abondance pour savoir s’ils sont plus nombreux ici ou ailleurs. Si nous décelons des sites très fréquentés à une certaine période de l’année, ce seront des informations très importantes pour la gestion de ces zones. Et nous saurons qu’il y a une vigilance particulière à porter sur cet endroit-là.

    Nous allons essayer de développer un outil expérimental basé sur la filtration de l'eau.

    Comment comptez-vous évaluer l’abondance de ces squales dans le lagon ?

    Cette abondance, nous allons essayer de la mesurer à travers deux techniques, à savoir avec des vidéos appâtées, mais également avec l’ADN environnemental. Nous allons essayer de développer un outil expérimental basé sur la filtration de l’eau.

    C’est-à-dire ?

    Les animaux qui sont dans l’eau perdent des bouts de peau, etc. Et il y aura des cellules que nous récolterons dans nos filtres d'eau que nous passerons ensuite dans un séquenceur qui nous indiquera la présence de ces animaux. Le but, c’est de parvenir à obtenir un indice relatif d’abondance, c’est-à-dire une mesure de référence qui indique le niveau de fréquentation classique. Or dans le cadre d’analyses régulières, si à un moment donné nous décelons une anomalie, nous pourrons tirer la sonnette d’alarme. Par exemple, il y a quelques années à Poé, huit requins tigres étaient rentrés dans le lagon. Si nous avions filtré de l’eau à ce moment-là, nous aurions probablement eu un fort signal sur leur ADN environnemental.

    Cet outil expérimental pourrait ainsi permettre de proposer une météo des plages de la présence de requins.

    Enfin, cet indice d’abondance sera également évalué à travers les déplacements. Nous utiliserons donc ces trois technologies pour pouvoir cartographier les zones à enjeux, c'est-à-dire où les requins sont le plus présents, au cours du temps et dans l’espace en province Sud.

    On parle de la même problématique avec le loup, le lynx ou encore le lion à l'échelle mondiale.

    L’objectif, à terme, est également de fournir des données fiables aux collectivités pour mieux orienter les politiques publiques…

    Notre rôle à l’IRD, c’est d’apporter de la connaissance. Nous ne faisons pas de politique. Les collectivités nous demandent un apport de connaissances sur ces animaux de manière qu’elles puissent mieux conduire et penser les politiques publiques. Or les informations de base, nous ne les connaissons pas encore pour ces animaux, qui sont à la fois importants pour la biodiversité et importants parce qu’ils sont facteurs de risques. Nous espérons donc que les informations de cette étude seront utiles à la fois pour gérer ce risque mais aussi pour préserver la biodiversité.

    Car les squales jouent un rôle majeur dans les écosystèmes marins…

    Les requins font partie de la biodiversité et par ailleurs sont vulnérables. Il faut donc faire attention à ces prédateurs. On parle de la même problématique avec le loup, le lynx ou encore le lion à l’échelle mondiale.

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