
Aucun communiqué officiel, aucune prise de parole des leaders et des élus du parti… Le Tavini reste discret depuis la signature, après dix jours de discussions à huis clos, et après plus d’un an de crise économique et politique sur le Caillou, d’un accord [1]entre les chefs de file indépendantistes et loyalistes calédoniens, ainsi que l’État. Un accord qui prévoit la création d’un État de Nouvelle-Calédonie [2], doté d’une nationalité propre, d’une loi fondamentale et d’une reconnaissance internationale, mais avec toujours un statut inscrit dans la Constitution française, plaçant donc le nouvel Etat dans le périmètre de la République.
Au Tavini, où l’on a souvent mis en avant la convergence des luttes kanak et maohi, cet accord, qui pose une nouvelle forme de compromis dans l’objectif indépendantiste – le FLNKS estime avoir "pris ses responsabilités" [3], avec cette signature qui permet "d’avancer sur la trajectoire vers la souveraineté" – a de quoi faire débat. Mais le parti ne le commentera pas avant d’en avoir officiellement discuté dans ses instances, explique Tony Géros, qui était présent ce lundi aux célébrations du 14-Juillet. Il s’agira bien sûr de "respecter la décision qui a été prise" par les signataires, mais le président de l’assemblée et aussi vice-président du parti bleu ciel confie déjà des interrogations profondes.
Sur le fond d’abord : "D’un point de vue intellectuel, c’est un peu ambigu, dans un pays souverain d’avoir deux nationalités, on n’arrive pas comprendre. Il y en a forcément une qui est plus forte que l’autre, on ne peut pas avoir deux nationalités, explique l’élu. Bon maintenant ils vont nous expliquer ce que ça veut dire réellement parce que jusqu’ici on a beau tourner l’accord qui est dessiné dans tous les sens, on n’arrive pas à en dégager la substantifique moelle qui puisse nous donner satisfaction dans la définition de ce que serait cette nouvelle identité nationale calédonienne ".
Mais c’est surtout sur la concrétisation de cet accord que Tony Géros partage ses doutes. Car avant d’entrer en vigueur, l’accord de Bougival doit être soumis pour approbation aux Calédoniens – probablement en début d’année prochaine – et être acté dans une loi organique spéciale. Les évolutions statutaires envisagées par le texte passeront nécessairement par une révision de la Constitution et donc, à moins d’un référendum national, par la réunion d’un Congrès rassemblant les élus de l’Assemblée nationale et et du Sénat à Versailles, avec un vote à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Une procédure longue et un exercice difficile dans le contexte politique français actuel, très instable. " Honnêtement, réunir un congrès dans une instabilité comme celle-là, changer la Constitution pour faire adopter les grandes lignes de cet accord, excusez moi, mais je sais pas de la tête de qui on se fout. C’est utopique. Réunir le congrès d’ici février c’est infaisable. L’embryon est mort dans l’œuf, il faut être raisonnable ".
Si le Tavini a toujours soutenu avec force le FLNKS, "partenaire" et "frère de lutte du Pacifique" son président, Oscar Temaru, s’est régulièrement montré, particulièrement ces dernières années, critique des choix qui ont été faits par les leaders kanak. Et notamment des compromis trouvés dans les accords de Matignon (1988), au sortir de plusieurs années de violences sur le Caillou, et de Nouméa (1998). "Ils se sont fait avoir", avait-il par exemple déclaré en 2022 sur le plateau de Radio 1. Des critiques qui sont aussi, pour le parti bleu ciel, une façon de conforter sa stratégie onusienne, bien qu’elle n’ait jamais réussi à contraindre l’État à ouvrir des discussions de décolonisation en Polynésie.
L'accord de Bougival, signé vendredi soir par les indépendantistes et loyalistes calédoniens, ainsi qu'avec l'État, va-t-il faire des émules en Polynésie ? " Tout le monde se pose la question ", reconnait Moetai Brotherson. Le président du Pays était interrogé sur cet accord – qui prévoit la création d'un État de Nouvelle-Calédonie, doté d'une nationalité propre, d'une loi fondamentale, et d'une reconnaissance internationale, mais avec toujours un statut inscrit dans la constitution française – à l'occasion des célébrations du 14 juillet sur l'avenue Pouvanaa a Oopa, un évènement auquel il a " participé à chaque fois qu'il a été invité ". " C'est une fête d'indépendance et comme tout indépendantiste qui se respecte, c'est une fête qui à laquelle j'attache de l'importance ", a-t-il précisé à l'issue des défilés militaires et civiles de la matinée.
L'accord de Bougival, il l'a " lu neuf fois " depuis samedi, et l'a déjà " fait analysé par [s]es juristes ". " Pour l'instant ce que je peux en dire c'est que c'est un texte innovant, un texte qui pousse la Constitution jusqu'à ses limites. En revanche, ce n'est toujours pas un texte de souveraineté, c'est un texte de fédéralisme. Et puis ce que je trouve dommage c'est qu'il est fallu une collectivité à feu et à sang pour qu'on arrive à faire bouger les lignes ".
Dans le paysage politique polynésien, on répète depuis cette signature, aussi inattendue que " historique " pour les commentateurs, que les dossiers polynésiens et calédoniens sont très différents. Mais Bougival peut-il donner des idées à certains indépendantistes maohi ? Ouvrir des nouvelles portes de négociations avec l'État ? " Ça donne des perspectives, mais on a un chemin, nous, qui est un peu différent, répond le chef du gouvernement. On a une histoire qui est différente de celle de la Calédonie. Un contexte économique et social qui est différent également. " La signature sera tout de même un " sujet de discussions " avec Manuel Valls, qui doit atterrir mardi soir à Tahiti. Moetai Brotherson trouve quelques " éléments intéressants " dans le texte. " Cette citoyenneté réaffirmée, par exemple pour la protection de l'emploi local ou du foncier, qui donne des perspectives. Il y a une forme de reconnaissance à l'international, amis qui en lecture du droit international ne vaut rien… Il y a des éléments intéressants. "
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/sommet-sur-l-avenir-institutionnel-un-accord-a-ete-signe-a-bougival
[2] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/ce-que-contient-l-accord-signe-a-bougival-sur-l-avenir-institutionnel
[3] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/pour-le-flnks-l-accord-sur-l-avenir-institutionnel-permet-d-avancer-vers-la-pleine-souverainete
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