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    Nouvelle Calédonie
  • Par Anthony Tejero anthony.tejero@lnc.nc | Crée le 14.03.2023 à 18h30 | Mis à jour le 02.10.2023 à 09h11
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    Photo Anthony Tejero
    Fruits, légumes, artisanat... Le long des routes de Brousse, les petits marchés fleurissent un peu partout au fil des tribus. Ces étals sont souvent la seule source de revenus de familles entières. Reportage sur la côte Est, à Touho et à Poindimié.

    « Même si on ne gagne pas beaucoup d'argent, c'est déjà ça. On se contente du peu qu'on a. » Au détour d'un virage de la transversale, à la tribu de Pombéi, Davina tente d'attirer l'attention des automobilistes en dressant une rangée des plus belles fleurs de son jardin : des heliconias aux formes variées et aux couleurs éclatantes. Sur le comptoir, à l'abri d'un toit en tôles, trônent quelques régimes de bananes des plus vertes aux plus noires, qui finiront probablement données aux cochons si elles ne trouvent pas vite preneur. Un marché de bord de route comme il en existe des centaines, si ce n'est des milliers dans le pays et plus particulièrement sur la côte Est où ces petites constructions sommaires font désormais partie du paysage. Mais que rapportent-elles vraiment aux habitants des tribus ?

    Si cette économie informelle est loin d'être miraculeuse, elle permet de gagner « quelques pièces » salvatrices. Et reste indispensable à bon nombre de foyers aux (très) faibles revenus. « Je vis toute seule avec ma sœur qui est handicapée et on partage ce marché avec la grand-mère d'à côté. Aucune d'entre nous ne travaille, alors c'est une petite aide pour le quotidien », explique timidement Davina, qui a bien du mal à chiffrer les gains qu'engendre cette activité. « Peut-être », 4 500 francs « au mieux » par personne et par mois. « On se satisfait de ça. Petit à petit, ça remplit le porte-monnaie pour acheter les aliments de base : le riz, le café, le sucre, etc. En cas de besoin, on a un peu de sous. Si on n'avait pas ce marché, ce serait vraiment la galère, assure la jeune femme de 29 ans, qui tente comme elle peut de tirer son épingle du jeu face à la multitude d'étals qui fleurissent un peu partout aux alentours. On essaie de bien décorer pour donner envie aux gens de s'arrêter. On fixe nous-mêmes les prix, mais on ne peut pas faire trop cher, sinon les voitures iront toutes ailleurs. »


    À la tribu de Pombéi, Davina est « fière » de son petit marché construit par son oncle. Photo Anthony Tejero

    Et si chaque pièce, chaque billet déposé est on ne peut plus précieux pour ces familles, encore faut-il compter sur l'honnêteté des gens. Une confiance qui semble s'éroder au fil du temps et qui contraint certains vendeurs à sécuriser leur caisse. « Les vols de produits et d'argent, ça arrive chaque année et à tout le monde à la tribu. C'est pourquoi on a décidé de mettre un cadenas sur la boîte où on dépose les pièces, déplore Davina, décontenancée par ces comportements. Quand ça se produit, on est découragées. C'est comme si on volait notre sueur. C'est désespérant. Ce marché, c'est notre seul gagne-pain. »

    Quelques encablures plus loin, à Tiwaka, même constat chez Appolinaire et Ludivine, 23 ans, qui guettent patiemment l'arrivée d'éventuels clients. « On est surtout là pour surveiller le marché. Afin de ne plus perdre d'argent, on a changé la caisse en la remplaçant par une boîte à lettres qui ferme à clef, regrette ce jeune couple. Avant ce système, les vols étaient fréquents, plusieurs fois par an. Maintenant, ça concerne plus les fruits, les légumes et même les plantes. Ils ne volent pas les pots, mais ils cassent les fleurs et s'en vont avec. On sait que ce sont des gens de la vallée qui marchent au bord de la route. Ce n'est pas normal de devoir être méfiants, d'autant plus quand on se vole entre nous. On ressent de la colère car ces petits marchés sont la seule source de revenus de ceux qui n'ont pas de travail. »


    À Tiwaka, Appolinaire et Ludivine, 23 ans, proposent « un peu de tout » : des taros, des feuilles, des bananes, des piments et même des palourdes « de temps en temps ». Photo Anthony Tejero

    Mais pas de quoi décourager ces jeunes qui entendent bien perpétuer une tradition à laquelle ils sont profondément attachés. « On aime être là, on discute avec les gens, on rencontre des touristes qui s'arrêtent pour regarder, on a nos habitués. On fait en sorte que ce ne soit jamais vide, on a toujours quelque chose à proposer, expliquent Appolinaire et Ludivine, dont le marché fait vivre une dizaine de personnes au total. L'activité est vraiment variable. Certains jours, il n'y a personne. Cela dépend de la météo, de la période de l'année, etc. Ça marche mieux les week-ends et avant les fêtes de Noël. Pendant les confinements, on a également eu du monde car de nombreux commerces étaient fermés. Mais globalement, ça ne suffit pas pour vivre. Disons que ça couvre en partie nos besoins pour les courses et l'essence. »

    Selon la saison, ces étals peuvent néanmoins être une bénédiction pour les chanceux qui ont en abondance certains fruits très recherchés. À l'image de ces gros avocats vendus pour une bouchée de pain (100 francs pièce) et qui s'arrachent. C'est le cas devant la maison de la famille Pabou, au sud de Poindimié, où le stand a déjà dû être réachalandé à plusieurs reprises en seulement quelques heures. « C'est notre premier jour de vente et on a beaucoup de demandes. À peine on les a mis sur la table qu'on a eu des clients. Nos arbres donnent tellement qu'on ne sait plus quoi en faire. On est fatigués d'en manger, sourient Laëtitia et Henri, conscients que cette phrase fera bien des jaloux. On les propose à bas prix pour que toutes les familles puissent en profiter. Ça évite le gaspillage et on se dégage un revenu. En une matinée, on a déjà vendu pour 6 000 francs. On peut espérer gagner 60 000 francs en deux ou trois semaines rien qu'avec les avocats. C'est beaucoup pour une famille qui n'a pas d'emploi. »


    Ces deux sœurs, désormais basées à Nouméa, sont ravies de tenir le marché familial lorsqu'elles passent leurs vacances à Poindimié. Photo Anthony Tejero

    Si les denrées sont légion au fil de ces étals, certains préfèrent se spécialiser dans d'autres produits, au premier rang desquels l'artisanat. Comme en témoigne la famille Napoera, à la tribu de Paama, qui arbore fièrement ses flèches faîtières et cases en bois sculpté. « Nos créations dépendent essentiellement des visiteurs : les Métropolitains de passage dans la commune comme les infirmiers, les médecins ou les gendarmes, et les touristes qui veulent un souvenir du pays. Pendant la Covid, avec la fermeture des frontières, ça a été difficile. Depuis l'an dernier, ça repart tout doucement mais sûrement. En temps normal, ça marche bien. Notre foyer peut espérer tirer de ce marché environ 30 000 francs par mois. »


    À Touho, difficile de rater le stand traditionnel de Nelsonne, situé face à la mer au lieu-dit Patoine. Photo Anthony Tejero

    Pour certains créateurs, ces stands rudimentaires peuvent même être un tremplin vers la professionnalisation. C'est l'ambition de Nelsonne, qui s'est lancée depuis peu dans la fabrication et la vente de robes mission, au lieu-dit Patoine, au nord de Touho. « Je les vends sur mon petit marché depuis septembre et ça prend bien. En cinq mois, j'ai gagné près de 300 000 francs. Comme les affaires sont bonnes, c'est motivant. J'aimerais bientôt faire une demande à l'Adie afin d'acquérir un meilleur équipement et produire davantage, mais je ne me sens pas encore prête, confie cette artisane en devenir. Actuellement, les revenus de notre stand ne sont pas suffisants pour subvenir aux besoins du foyer tant la vie est devenue chère. Là, ça va permettre de payer le car des enfants par exemple. »

    Mais au-delà des retombées économiques, ces marchés représentent bien plus aux yeux de leurs propriétaires qui mettent souvent un point d'honneur à y ajouter une touche personnelle. « On a grandi avec, c'est un peu notre identité, estime Nelsonne. J'ai opté pour une construction traditionnelle avec un toit en niaouli. Cela représente mon ethnie, mes traditions et ma culture avec des robes 100 % locales. Et cela plaît aussi beaucoup aux touristes. »


    Ce marché de la Koné-Tiwaka est si fourni qu'il a des airs de petite pépinière. Photo Anthony Tejero


    Rares sont les étals où les propriétaires sont présents. Photo Anthony Tejero

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