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  • Marion Durand / Outremers360 | Crée le 18.03.2024 à 05h00 | Mis à jour le 18.03.2024 à 05h00
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    Au CMS de Bélep, en province Nord, la pénurie de médecins est particulièrement marquée. Photo Eric Del'Erba
    Médecins généralistes, infirmiers, cancérologues, radiologues, sages-femmes… Les outre-mer subissent une pénurie de professionnels de santé avec de fortes disparités selon les communes. Les territoires ultramarins seraient-ils devenus moins attractifs ? Tour d'horizon des raisons qui expliquent ce désamour dans ce nouveau volet du dossier "santé en outre-mer" réalisé par Marion Durand pour notre partenaire Outremers360.

    Une musique entraînante, des paysages paradisiaques, un médecin qui s'éclate en kitesurf ou lors d'une virée familiale à Sydney… Nous ne sommes pas dans un film mais dans la dernière campagne publicitaire du Centre hospitalier territorial Gaston-Bourret de Nouvelle-Calédonie. Romain, cardiologue fraîchement débarqué de l'Hexagone vante les mérites de son nouveau poste et de la vie sur le Caillou. " Vous souhaitez changer de vie, comme Romain ? ", propose le Médipôle en partageant cette vidéo sur ses réseaux sociaux. Cette campagne publicitaire teintée d'humour cache une réalité à laquelle sont confrontés la plupart des hôpitaux, cabinets et centres de santé dans les outre-mer : une pénurie de soignants.

    Partout, il manque des médecins généralistes, des spécialistes, des infirmiers ou des sages-femmes. Aucun territoire ultramarin n'est épargné même s'ils ne sont pas tous dans une situation critique. Mayotte demeure le plus grand désert médical de France. L'île compte, en 2023 selon l'Insee, 49 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 147 dans l'Hexagone, soit trois fois moins. " Tous les services de l'hôpital sont en difficulté parce qu'on manque de médecins, d'infirmiers, de sages-femmes mais aussi de professionnels spécialisés ", alerte le directeur du Centre hospitalier situé à Mamoudzou, Jean-Mathieu Defour.

    Des pénuries de spécialistes à Nouméa

    La Guyane compte 123 médecins généralistes pour 100 000 habitants, La Martinique 152, la Guadeloupe 150 et la Nouvelle-Calédonie 122. Seule La Réunion est sur-dotée, avec 176 généralistes. Dans la plupart des territoires, il existe de fortes disparités territoriales dans la répartition de ces médecins. En Guadeloupe, " les densités varient de 84 à 2 médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants selon les communes ", informe l'Agence régionale de santé. Vingt et une communes, les plus touchées, sont classées comme zone d'intervention prioritaire (ZIP).


    La Nouvelle-Calédonie compte 122 médecins généralistes. Photo Archives LNC / Th. P.

    Dans les grandes villes, où sont souvent situés les hôpitaux, cliniques ou cabinets, la pénurie concerne surtout les médecins spécialistes. Nouméa manque, en ce moment, d'ophtalmologues, de dermatologues ou de gastro-entérologues. En Guadeloupe, certaines spécialités comme l'oncologie, la chirurgie vasculaire et thoracique ou la chirurgie pédiatrique, compte moins de cinq professionnels sur l'ensemble du territoire. D'autres spécialités sont aussi concernées par la pénurie selon l'ARS : la cardiologie, l'ophtalmologie et la radiologie. Mais si la Guadeloupe souffre d'une pénurie de médecins, tous les professionnels de santé ne manquent pas à l'appel. " La densité pour les infirmiers est supérieure à la densité moyenne en France hexagonale. "

    Isolement et incertitude institutionnelle

    Mais pourquoi les territoires d'outre-mer manquent-ils de professionnels de santé ? L'ancien directeur adjoint en charge de la santé publique de la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass) en Nouvelle-Calédonie, Jean-Paul Grangeon, rappelle tout d'abord que " la pénurie de professionnels de santé, et particulièrement les médecins, touche tous les pays du monde ". En ce qui concerne le Caillou, le médecin généraliste avance des pistes : " L'incertitude institutionnelle en Nouvelle-Calédonie n'incite pas les professionnels à venir s'installer. Ensuite, les médecins veulent venir à Nouméa mais sont plutôt réticents à s'installer en Brousse. C'est d'abord moins connu, ils craignent un manque de sécurité, ce qui est très subjectif, ou d'être isolé. Les rémunérations ne sont pas toujours attractives. "

    Le docteur Pierre-Emmanuel Bourgeois, secrétaire général adjoint à l'Ordre des médecins de Nouvelle-Calédonie remarque lui aussi que la province Nord est davantage touchée par ces pénuries : " Dans le Nord, les professionnels de santé dans les dispensaires doivent prendre en charge les urgences, assurer les consultations, faire de nombreuses gardes. La pression est importante et l'isolement requiert une certaine expérience professionnelle. "


    Le dispensaire de Houaïlou, sur la côte Est. Photo Anthony Tejero

    L'Agence régionale de santé de Guadeloupe estime qu'il est difficile " de donner des réponses objectives " pour expliquer le manque d'attractivité du territoire pour les soignants mais ce désamour pourrait " être lié à l'éloignement par rapport à l'Hexagone ". L'isolement des territoires d'outre-mer apparaît comme le frein principal à l'installation. Les professionnels de santé venant de Métropole y laissent souvent des proches et de la famille. Dans le Pacifique, l'éloignement est d'autant plus important. " La grosse difficulté c'est de trouver des professionnels qui restent longtemps, mais c'est difficile car on est loin de tout ", observe Teanini Tematahotoa, directrice de l'Institut du cancer de Polynésie française.

    Un manque de formation et la crainte de l'insécurité 

    Pierre-Emmanuel Bourgeois précise qu'en Nouvelle-Calédonie, 50 % des médecins sont mobiles, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas installés définitivement sur le territoire. " Il y a un turn-over certain, c'est sans doute inhérent à cette génération, les jeunes médecins viennent en Nouvelle-Calédonie pour voir ce qu'est l'outre-mer mais ne restent pas toujours très longtemps ". 

    " L'isolement, l'insécurité, les embouteillages, les difficultés pour trouver un logement sont autant de facteurs qui rendent nos territoires peu attractifs pour les médecins, infirmières et autres personnels de santé ", juge de son côté le directeur de l'hôpital de Mayotte. Alors que l'île subit depuis plusieurs mois une intense crise, de nombreux professionnels de santé ont quitté le territoire, d'autres ont annulé leur venue. Une situation désastreuse pour le système de santé de ce territoire qui peine à recruter. Si le cadre paradisiaque des territoires d'outre-mer fait souvent rêver, l'instabilité politique, économique ou sociale repousse certains professionnels de santé.

    Aussi, l'accès à des formations au sein même des territoires est assez rare, ce qui représente un autre frein à l'installation. Pour Pierre-Emmanuel Bourgeois, " les lourdeurs administratives empêchent les professionnels d'envisager la possibilité de faire six mois en France et six mois en Nouvelle-Calédonie ", ce qui pourrait être, selon lui, une réponse à la pénurie de médecin.


    Photo Romain Miot

    Des évacuations sanitaires pour faire face à la pénurie

    La pénurie n'est pas nouvelle. Les territoires ultramarins ont adapté leur système de santé pour faire face à ce manque de médecins car certaines spécialités sont parfois totalement absentes. À Wallis-et-Futuna, deux hôpitaux, celui de Sia à Wallis et celui de Kaleveleve à Futuna assurent les soins généralistes. Les médecins spécialistes (ophtalmologues, cardiologues, rhumatologues, psychiatres, etc.) ne résident pas sur place mais effectuent des visites selon un calendrier pluriannuel.

    Le Médipôle, en Nouvelle-Calédonie, reçoit lui aussi régulièrement la visite de professionnels dans leur domaine. " Nous allons par exemple accueillir une équipe de cardiologues, chirurgiens et anesthésistes de l'hôpital Montsouris à Paris. Durant trois semaines, ils réaliseront une trentaine d'interventions de haute chirurgie cardiaque ", indique le médecin Jean-Paul Grangeon. Des ophtalmologues ou des pédiatres australiens viennent régulièrement sur le Caillou dans le cadre de visites ou d'interventions précises. 

    En plus des visites médicales ponctuelles, des évacuations sanitaires permettent de transférer vers des hôpitaux français ou étrangers mieux équipés en soignants et en matériels. Ces " Evasan ", des transports médicalisés de patients hospitalisés, permettent l'accès à une meilleure offre de soins (diagnostic, traitement ou suivi thérapeutique). Les hôpitaux wallisiens effectuent régulièrement ces évacuations de malades vers les hôpitaux calédoniens ou vers la Métropole.


    Une évacuation sanitaire inter-îles en Polynésie. Photo archives LDT

    Ces Evasan sont aussi très nombreuses en Polynésie, où les établissements de santé sont concentrés sur l'île principale, Tahiti. Les habitants des 76 îles habitées sur 118 au total peuvent compter sur les infirmeries ou les postes de secours disséminés dans tous les archipels mais des évacuations sanitaires sont nécessaires pour les consultations avec des spécialistes ou des interventions. " Chaque année, environ 27 000 évacuations sanitaires inter-îles ou internationales sont réalisées ", note un rapport de la Croix rouge publié en juin 2022. Les patients sont transférés à Tahiti, en Métropole ou en Nouvelle-Zélande.

    Mais ces vols médicalisés coûtent cher à l'État. Il arrive aussi que les malades préfèrent abandonner les soins plutôt que d'être transférés loin de leurs proches. Alors, quelles sont les solutions pour endiguer durablement la pénurie ? Pour Mathieu Nacher, directeur du Centre d'investigation clinique Antilles Guyane, à Cayenne, les territoires doivent offrir des possibilités de formations aux étudiants. " Si nos futurs médecins sont formés ici, on parviendra à les convaincre de rester, surtout si on développe les structures de recherche ", espère le chercheur.

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