- LNC | Crée le 16.11.2025 à 10h00 | Mis à jour le 16.11.2025 à 10h00ImprimerMaria Blanc et Giacomo Vico, les grands-parents paternels de Rémy, se sont mariés à Ouégoa en 1905. Les ancêtres de Maria sont originaires de Paulhaguet, en Haute-Loire, dans le Massif central.Des montagnes des Alpes italiennes à celles du nord de la Chaîne, il n'y a qu'un crime. Celui d'Angelo, commis en 1885, est un recel de bijoux qui lui vaut dix années de bagne. Décidé à ne jamais se soumettre à ses geôliers de l'ile Nou, Angelo connaîtra le sort des durs à cuire : les " contrats de chair humaine " et le labeur éreintant au fond des mines de cuivre de Ouégoa. Sa tentative d'évasion n'ira pas bien loin, sa descendance non plus. Rémy Vico, arrière-petit-fils d'Angelo, habite encore à Ouégoa. Il raconte avec émotion une histoire qu'il a découverte récemment. Retour sur la vie d'Angelo Vico dans ce 78e et dernier épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne. Cet article est une archive parue dans Les Nouvelles calédoniennes le samedi 18 juin 2016.
"C'était dans les années 1990. Mon papa m'avait donné pour mission de retrouver nos origines dont il ne connaissait quasiment rien. Il n'était âgé que d'un an quand son propre père est décédé, et du côté de sa mère, dans la famille Blanc, on refusait tout simplement de parler du passé. Bien plus tard, quand j'ai découvert que mon ancêtre Blanc était aussi un bagnard, j'ai compris l'origine de cette culture du silence.

Rémy Vico, arrière-petit-fils d'Angelo, et sa femme Karine, habitent encore à Ouégoa.Moi, j'étais à Vannes, en Bretagne, affecté à la 1* compagnie du 3° régiment d'infanterie de marine, surnommé " Les Forbans ". J'aurais pu profiter d'être en Métropole pour aller aux Archives de l'outre-mer, à Aix-en-Provence. Mais pendant très longtemps, je n'ai pas trouvé le temps de faire ces recherches. C'est un travail tellement long, tellement compliqué... Ce n'est que l'an dernier, en avril 2015, que j'ai trouvé le courage de m'attaquer à ce chantier immense. J'avais le soutien de ma femme, qui se lançait elle aussi dans des recherches sur son ancêtre, Bertrand Delrieu. Ensemble, nous avons fouillé, et nous avons trouvé, même s'il reste encore beaucoup à découvrir.
J'ai découvert que mon ancêtre était un bagnard italien.
C'est José Raillard qui m'a emmené sur la bonne piste. Grâce à son arbre généalogique des familles de Ouégoa, il est facilement remonté jusqu'à mon arrière-grand-père. J'ai découvert que mon ancêtre était un bagnard italien.
L'affaire des bijoux
" Angelo, le fils de Giacomo Vico et de Maria Macarino, est né le 7 juin 1859 à Vezza d'Alba. Ce village se trouve dans la province de Turin, la grande ville où il vivra à l'âge adulte. Angelo exerce le métier de marchand ambulant.
Angelo est arrêté à Genève, en Suisse, en possession de bijoux dont il ne peut pas justifier de la propriété.
Il est marié à Victoria Morello. Ils ont deux enfants : mon grand-père Giacomo et son frère, que je tente encore de retrouver. C'est à Turin que mon arrière-grand-père fait connaissance avec une cour d'assises pour la première fois, pour des faits qui me sont encore inconnus. J'ai ensuite retrouvé sa trace en France, du côté de Lyon, pour sa deuxième et dernière rencontre avec la cour.
Angelo est arrêté à Genève, en Suisse, en possession de bijoux dont il ne peut pas justifier de la propriété.
Le bijoutier Faure les reconnaît. Ce sont les objets qu'on a dérobés dans sa boutique lyonnaise, dans la nuit du 18 au 19 décembre 1885. Le montant du vol représente entre 25 000 et 30 000 francs, une somme considérable. " Le 13 août 1886, la cour d'assises du Rhône livre un verdict sans surprise. Pour s'être rendu coupable de complicité de vol qualifié par recel, Angelo, 27 ans, écope d'une peine de dix ans de travaux forcés et de dix ans d'interdiction de séjour. Dans les motifs de sa décision, la cour prend soin de préciser ceci : "Voleur habile et audacieux, très dangereux, doit subir toute sa peine."

Rade de Nouméa, 14 octobre 1882. Une des rares photographies du Fontenoy, le navire qui emmena Angelo Vico jusqu'au bagne de Nouvelle-Calédonie. Crédit photo : Allan Hugman, ADCK-CCT:Comme on pouvait s'y attendre, le pourvoi est rejeté, le 16 septembre 1886, et Angelo est écroué au dépôt le 30 octobre. Le 27 décembre, il est embarqué sur le Fontenoy, au sein du 59° convoi de transportés. Après trois longs mois en mer, le navire accoste à Nouméa.
Nulle part où aller
" Nous sommes le 29 mars 1887. Angelo Vico rejoint le pénitencier de l'ile Nou pour y devenir le matricule 17 429. Il est ensuite envoyé au pénitencier de Ouégoa, où il est intégré en tant que " main-d'œuvre pénale ". Mon arrière-grand-père fait ainsi partie d'un groupe de 300 forçats mis à la disposition de la société minière Higginson par un " contrat de chair humaine ".

Le pénitencier du Diahot.Il souffre dix heures par jour dans les mines de cuivre du Diahot. Probablement pas dans les mines Balade, qui auraient fermé en 1886, mais plutôt dans celles d'Ao, Mura et Pilou, à Pam. Tout au long de sa peine, sa conduite au bagne sera très mauvaise et lui vaudra une quantité incalculable de punitions disciplinaires. Les motifs : vol, ivresse, paresse persistante, insubordination et même tentative d'évasion le 27 juillet 1892.
Une nouvelle vie à Monéo
" La fuite ne durera même pas un jour complet. Il sera repris le soir même. Je me mets à sa place : où aurait-il pu aller ? Nulle part. Vivre dans la brousse, dans un endroit infesté de moustiques, c'était tout simplement impossible.
Les conditions de vie de nos anciens méritent un profond respect et je souhaite que l'État reconnaisse un jour que cette tragique période a contribué à la construction du Caillou. Que la souffrance, que la destruction de l'être humain par les chaînes soient représentées par une magnifique sculpture en mémoire de ces hommes de l'ombre.
Puis en 1899, il fait l'acquisition pour 5 000 francs du lieu dit Pouroua à Monéo, Ponérihouen
" Malgré l'accumulation de sanctions, Angelo est finalement libéré, avec le matricule 10110. Le 16 septembre 1896, il est assigné à résidence à Pam-Pilou, où il restera cinq ans. D'après les renseignements que j'ai pu recueillir, il semble qu'il fasse preuve d'assez bonne conduite et qu'il se montre très assidu au travail. Il gère d'abord un petit commerce. Puis en 1899, il fait l'acquisition pour 5 000 francs du lieu dit Pouroua à Monéo, Ponérihouen, propriété agricole d'Adolphe Unger et de son épouse Louise Mercier. En 1900, Angelo fait une demande de rapatriement en Italie, qui est rejetée par une décision locale, au motif qu'il doit rester dans la colonie et qu'il a besoin d'être surveillé.

Une centaine de cousins Vico ont répondu à l'appel de Rémy pour se retrouver en famille, le 14 mai 2016, à Amos. La précédente édition avait eu lieu en 2008, à Koumac.D'après l'acte de décès, c'est à Monéo qu'il termine ses jours, à l'âge de 45 ans, le 16 février 1904. Je n'ai pourtant trouvé aucune trace de sa tombe dans les environs. Il est difficile de vérifier s'il a pu être enterré sur ses terres. Elles sont devenues la propriété de Jules Lacariat, puis de Clément Brunelet, puis de la société minière Yvan-Ohlen. Elles appartiennent aujourd'hui au clan
Moereo. Cela fait partie des zones d'ombre que je tente encore d'éclaircir. "
Giacomo a rejoint son père

Ouégoa, 1965. L'ancien hôtel-bar Le Diahot, où habitait Giacomo." Je me souviens du jour où j'ai retrouvé l'acte de naissance de Giacomo. Il était deux heures du matin, j'étais seul devant l'ordinateur. Et là, j'ai pété un cri de guerre ! Je venais de retrouver l'acte de naissance de mon grand-père zoreille ! C'est le document qui m'a aidé à dénouer une grande partie de l'énigme de notre histoire. Repartons d'Angelo, qui a longtemps espéré rentrer au pays. Son épouse ne l'a pas rejoint, et à ma connaissance, il ne s'est pas remarié en Calédonie. Si une branche Vico existe ici aujourd'hui, c'est parce que Giacomo, l'un de ses deux fils restés en Europe, a rejoint son père dans les dernières années de sa vie. Il s'est installé à ses côtés, et a fondé une famille de neuf enfants avec Maria Blanc. J'ai mis du temps à remonter le fil de cette histoire. Je suis tombé sur un visa italien donnant à Giacomo la permission de se rendre en Australie. J'ai ensuite découvert une lettre dans laquelle Angelo dit avoir finalement décidé de rester en Calédonie, car il a investi 25 000 francs dans l'hôtel-bar Le Diahot, tenu par un certain... Giacomo Vico. "
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé.
Cet article est paru dans le journal du samedi samedi 18 juin 2016.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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